Par Mohamed H’MIDOUCHE, ancien banquier, CEO de la société de conseils Inter Africa Capital Group, Vice-Président de l’ASMEX (Association marocaine des exportateurs), Vice-Président Exécutif de l’Académie Diplomatique Africaine, membre du conseil d’administration de l’Institut Africain de la Gouvernance.
La conclusion récente du nouvel accord de partenariat entre l’Union Européenne (UE) et l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP, une organisation internationale comptant 79 membres dont 44 pays situés en Afrique subsaharienne créée en avril 2020 et anciennement connue sous le nom de groupe des États ACP) nous offre l’opportunité de nous interroger d’une part sur les bénéfices que les pays africains concernés tireront d’un tel Accord et d’autre part sur les avantages qu’offrirait l’implication des pays d’Afrique du Nord dans le succès de ce partenariat dans le cadre de la coopération triangulaire associant les pays d’Afrique du Nord qui forment une partie intégrante de la nouvelle zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
En effet, par un communiqué daté du 21 avril 2021, l’Union Européenne nous apprenait que sa Commissaire aux partenariats internationaux, Mme Jutta Urpilainen, et le ministre togolais des affaires étrangères, de l’intégration régionale et des Togolais de l’extérieur et président du groupe central de négociation ministériel, M. Robert Dussey, ont paraphé le nouvel accord de partenariat entre l’Union européenne (UE) et les membres de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique qui fixe leur cadre de coopération politique, économique et sectorielle pour les vingt prochaines années (2021-2041), marquant ainsi la conclusion officielle des négociations de l’accord post-Cotonou.
Au cours de la cérémonie de signature, Madame Jutta Urpilainen avait déclaré que «Ce nouveau partenariat global conclu avec le plus grand groupe de pays partenaires constitue une avancée politique majeure et marque un tournant. Au plus près des réalités et défis internationaux les plus récents, l’accord devrait changer la donne en ce qui concerne le renforcement des relations bilatérales que l’UE entretient avec chacun des États OEACP et leurs régions respectives, érigeant le partenariat OEACP-UE en une force internationale pour faire progresser les ambitions communes des parties sur la scène mondiale.».
Pour sa part, le ministre Robert Dussey avait déclaré que «le nouvel accord incarne les ambitions des deux parties de renouveler les modalités de leur coopération et de repositionner leur partenariat pour l’axer sur de nouveaux objectifs dans un monde qui a profondément changé et est en constante mutation. Le processus de négociation a certes été ardu, mais je me réjouis du résultat final et je félicite tous les acteurs qui y ont participé et dont le travail a débouché sur un accord constitué d’un socle commun et de trois protocoles régionaux. Le nouvel accord prend en considération les préoccupations et les attentes des États de l’OEACP et constitue une base solide pour un futur renforcement des liens déjà étroits mis en place avec l’UE. Nous travaillerons de concert pour relever les défis mondiaux, et nous le ferons en étroite coopération avec d’autres partenaires sur la scène mondiale.».
En dépit de la prévalence de la pandémie du Covid-19, la conclusion du nouvel accord témoigne d’une solidarité «géopolitique» entre les deux parties et constitue un acte de confiance dans le multilatéralisme.
Avec ce nouvel accord, le regard de l’UE et des ACP se porte au-delà du commerce et de la coopération au développement, « beyond trade » et désormais « beyond aid ». Les partenaires partagent des valeurs et des objectifs communs, un dialogue structuré et une longue habitude de la coopération dans tous les domaines. C’est sur ces bases qu’ils restent engagés ensemble dans la poursuite des 17 Objectifs de Développement Durable (ODDs) des Nations-Unies.
En regardant de très près les contours de ce nouvel accord, on se rend compte que sa structure et la façon dont se sont déroulées les négociations suggèrent qu’un changement de logiciel s’est produit par rapport aux Conventions de Lomé et Cotonou puisque les deux parties ont convenu de bâtir leurs nouveaux rapports de coopération en les faisant passer d’une relation préférentielle et asymétrique axée sur le développement des ACP à un partenariat centré sur les intérêts mutuels et réciproques de l’Europe et des ACP en privilégiant un dialogue de plus en plus «politique».
Changement de cap dans les relations UE-Afrique et remise à plat des anciens instruments de coopération
Des changements profonds ont été introduits dans le nouvel accord de partenariat dont les principaux points à retenir sont résumés ci-après:
- l’accord est conclu pour une durée de 20 ans, comme l’accord de Cotonou, et pourrait être prolongé de 5 années par accord tacite. Une révision à mi-parcours, prévue en 2030, coïncidera avec l’échéance des Objectifs de Développement Durables (ODD) adoptés par les Nations Unies en 2015 et permettra d’actualiser l’accord et d’y intégrer les nouveaux engagements convenus au plan mondial.
- au niveau de la coopération financière, on enregistre le démantèlement pure et simple du principal guichet de financement entre les deux parties à savoir le Fonds européen de développement (FED) et son intégration dans le budget de l’UE avec la perte du caractère contractuel de l’aide de l’UE. Par le passé, le FED avait financé pendant 60 ans l’essentiel de la coopération UE-ACP ;
- la coopération financière perd son caractère contractuel puisque le nouvel accord n’aura pas de protocole ou d’annexe financière, par lequel l’UE annonçait le montant global de son aide aux pays ACP. Disparaissent aussi tous les chapitres et annexes qui traitaient de la programmation et de la gestion de l’aide et qui instauraient une véritable cogestion entre la Commission européenne et les pays bénéficiaires, avec des responsabilités étendues pour l’Ordonnateur National.
- Inscrite au budget général de l’UE, l’aide sera régie désormais par la réglementation budgétaire et placée sous la seule responsabilité de la Commission dans le cadre du nouveau mécanisme d’aide baptisé «Instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale » (IVDCI) dont la mise en place est prévue dans le nouvel accord et sera régionalisé et formera un socle commun, appelé « fondation » comportant 3 protocoles régionaux séparés concernant respectivement l’Afrique, les Caraïbes et le Pacifique ;
- Par le passé, 80 % des crédits du FED étaient alloués aux programmes nationaux et 15% à la coopération régionale. Les financements européens en appui à l’UA sont venus principalement du FED et d’un instrument spécifique «panafricain» inscrit au budget de l’UE. A partir de cette année, ces deux sources seront fusionnées dans le nouvel instrument IVDCI.
- le régime commercial ACP-UE se transforme pour se conformer aux règles du libre-échange; avec la disparition du FED et la fin de la cogestion, l’aide n’est plus au centre du partenariat. Dans la plupart des domaines, le traitement accordé aux pays ACP se rapproche de celui des autres régions en développement. La relation privilégiée entre l’UE et les ACP, qui a longtemps fait école, se trouve aujourd’hui normalisée. La régionalisation de l’accord et l’autonomisation des 3 régions auront pour effet de rendre plus visible le poids croissant de l’Afrique dans les relations extérieures de l’Union Européenne.
- pour la première fois, le protocole Afrique fait une large place à l’agenda d’intégration de l’Union Africaine (UA) entrainant un changement majeure passant progressivement d’une relation préférentielle à un cadre réciproque fondé sur l’intérêt mutuel entre les différentes parties prenantes ;
- avec 27 Etats européens et 79 pays ACP, la couverture géographique de l’accord reste stable, malgré le départ du Royaume-Uni. Le Brexit a transformé les priorités de l’UE et les équilibres en son sein alors que le Groupe ACP a gardé sa cohésion et sa stabilité;
- la signature de l’Accord est prévue au second semestre de 2021 au cours de la présidence portugaise et son entrée en vigueur n’interviendra qu’au terme de l’achèvement des procédures de ratification internes de toutes les parties contractantes ;
- le commerce et l’aide au développement, qui se trouvaient au cœur des conventions de Lomé, ont perdu de leur poids et glissé vers les chapitres plus techniques ayant trait à des thèmes à caractère politique tels que la migration, la santé reproductive, les institutions, non-exécution des projets…
- l’accord UE-ACP et son protocole Afrique engagent toute l’Afrique sub-saharienne mais pas l’Afrique du Nord qui est liée à l’UE par des accords bilatéraux séparés. Avant même le début des négociations, la question s’est posée de concilier le cadre juridique UE-ACP avec l’approche de «continent à continent» que l’Europe poursuit avec l’Union Africaine (UA) depuis 2007 et qui s’est consolidée sous l’impulsion de la Commission Juncker. Le choix de «régionaliser» l’accord ACP-UE était précisément une tentative de réponse à ce défi : négocié avec 49 des 54 Etats africains, le protocole Afrique pourrait naturellement accueillir toutes les priorités du continent, et en particulier l’agenda d’intégration conduit dans le cadre de l’Union Africaine. Au niveau politique, le dialogue et les stratégies communes UE-UA serviraient ainsi de cadre à la coopération UE-ACP en Afrique sub-saharienne, en même temps qu’ils s’appliquent à l’Afrique du Nord ;
- à la lecture du protocole Afrique, le rôle de l’UA se trouve reconnu dans ses domaines de compétence politiques (paix et sécurité, droits de l’homme, gouvernance) comme dans ses projets d’intégration économique (Communauté Economique Africaine-CEA, Zone de Libre-Echange Continentale Africaine-ZLECAf, Programme Africain Intégré de Développement Agricole-PDDAA, Programme de Développement des Infrastructures en Afrique-PIDA, etc..).
Que prévoit le protocole conclu entre l’UE et l’Afrique ?
Au début du protocole Afrique, le lien entre l’accord UE-ACP et le dialogue UE-UA a été clairement établi. Les deux parties ont convenu d’assurer la cohérence et la complémentarité entre le Protocole paraphé et le partenariat de continent à continent établi par les sommets UE-UA successifs et les documents qui en sont issus. Elles tiendront compte, dans leur coopération et dans la mise en œuvre du protocole, des orientations stratégiques et politiques données par les sommets UE-UA. En inscrivant ces liens dans le protocole Afrique, les signataires du traité UEACP offrent une forme de consécration juridique au partenariat entre les deux continents et reconnaissent la prééminence politique du Sommet UE-UA.
L’articulation entre l’agenda panafricain et la coopération avec les Etats ACP s’établit dans le respect du principe de subsidiarité. L’UA est le cadre de référence sur les questions continentales et trans-régionales, tandis que l’essentiel de la coopération continuera de s’organiser aux niveaux national et sous-régional. La programmation devra donc répartir les ressources disponibles entre ces différents niveaux.
Le volet économique prévu dans le protocole Afrique met un accent très fort sur la promotion des investissements et le rôle du secteur privé en privilégiant le mixage des ressources financières aux garanties bancaires en vue de mobiliser des ressources additionnelles. Concernant le volet commercial, la priorité sera accordée à la mise en œuvre des APE, qui doivent eux-mêmes contribuer à l’intégration régionale et soutenir l’opérationnalisation de la ZLECAf.
Les secteurs économiques qui feront l’objet de coopération bilatérale entre les deux parties porteront entre autres sur l’agriculture, le tourisme, l’industrie spatiale afin de contribuer à une véritable transformation économique créatrice d’emplois et de valeur ajoutée.
L’approche adoptée est centrée sur la promotion de l’investissement et le rôle du secteur privé comme moteurs de la croissance. Les Etats sont encouragés à assurer un climat favorable aux affaires, tandis que les financements publics, et notamment l’aide de l’UE, seront utilisés de façon innovante sous forme de mixage et de garanties bancaires.
Migration, environnement / climat et transition numérique : les trois défis à relever
La question migratoire est le principal nouveau défi de l’accord, et celui qui a été le plus difficile à négocier. Alors que Cotonou ne lui consacrait qu’un seul article (Art 13), elle fait l’objet de 7 artcles dans le protocole Afrique.
Les causes profondes des migrations et les liens entre migrations et développement sont évoqués. L’accord se concentre surtout sur la gestion des flux migratoires et la lutte contre le trafic et les migrations irrégulières. Tandis que l’UE cherchait à obtenir des engagements fermes de la part des ACP sur le retour et la réadmission des illégaux, les pays ACP ont plutôt mis en avant les avantages et la facilitation de la migration légale, en soulignant son impact économique. Au-delà de principes généraux, la tentative de réguler les flux et de combattre l’immigration illégale dans un accord collectif liant 100 Etats différents ne pouvait guère aboutir à des engagements très concrets. Dans sa récente proposition d’un nouveau “Pacte européen pour la migration et l’asile », l’UE réitère d’ailleurs son souhait de conclure des accords bilatéraux de réadmission avec les pays d’origine et de transit des migrants.
La question de l’environnement et de climat constitue le deuxième défis à relever. Il fait écho au projet européen de « Green Deal » et reflète les engagements pris ensemble à la conférence de Paris en 2015 (COP21) .
La transition numérique constitue un autre défis à relever. Instruits par les récentes pandémies, les textes sur la santé mettent l’accent sur la prévention des nouvelles menaces et la coopération dans la lutte contre les défis sanitaires mondiaux.
Que prévoit le future cadre financier ?
Un Cadre Financier couvrant la période 2021-27 est en cours de finalisation entre les deux parties dans le cadre du nouvel instrument de développement IVDCI. Les allocations géographiques prévues pour l’Afrique subsaharienne, les Caraïbes et le Pacifique s’élèvent à 27,5 milliards d’Euros pour les 7 prochaines années.
Par rapport aux conventions précédentes, le changement le plus important est la disparition du Fonds Européen de Développement (FED) qui a financé pendant 60 ans l’essentiel de la coopération UE-ACP. Les moyens de la coopération seront désormais intégrés au budget général de l’UE. Ils ne feront donc plus l’objet de négociations, et l’ensemble de la coopération financière perd son caractère contractuel par lequel l’UE annonçait le montant global de son aide aux pays ACP.
Statut d’Observateur de l’UA / CER et intégration économique régionale
Afin de pouvoir associer l’Union Africaine et les communautés économiques régionales au fonctionnement de l’accord, un statut d’observateur est prévu pour ces institutions, ce qui leur permettra d’être associés au fonctionnement de l’accord dans le cadre de la mise en œuvre du volet économique qui dominera la coopération avec l’Afrique et qui met un accent particulier sur la promotion des investissements et le rôle du secteur privé.
En passant en revue tous les secteurs économiques, de l’agriculture au tourisme et à l’industrie spatiale, le protocole Afrique du nouvel accord traduit les ambitions du continent pour les vingt prochaines années d’une véritable transformation économique créatrice d’emplois et de valeur ajoutée.
Comme on le sait, l’intégration africaine représente un objectif stratégique de tous les Etats africains et leurs Organisations panafricaines (Union Africaine, le Parlement Africain, le Nouveau Partenariat Economique pour le Développement de l’Afrique (NEPAD), les 8 Communautés Economiques Régionales – CER (UMA, COMESA, CEN–SAD, CAE, CEEAC, CEDEAO, IGAD et SADC) ainsi que les institutions financières africaines (BAD, BOAD, BDEAC, DBSA, EADB, TDB, Banque du CEN-SAD, BMCI).
Un des grands défis qui empêche l’intégration économique rapide du continent, c’est que ce dernier est constitué par un grand nombre de pays, 54 au total, qui forment un véritable puzzle dont 16 pays sont enclavés et 7 sont insulaires peu intégrés faute d’infrastructures régionales les connectant par voie terrestre, ferroviaire, fluviale, maritime ou aérienne. Le passé colonial, l’existence de plusieurs zones monétaires et de monnaies nationales différentes les rendent dépendant des devises étrangères, principalement le dollar US et l’euro. De surcroit, la persistance de l’insécurité dans plusieurs régions du continent (Sahel, grands lacs, Corne de l’Afrique et Libye) constitue une réelle menace qui handicape le développement socio-économique harmonieux et inclusif et occasionne la misère des populations de ces régions avec son lot de réfugiés et d’insécurité. Ces facteurs interpellent le leadership de la Commission de l’Union Européenne dont certains membres, et non des moindres, ont des intérêts géostratégiques et économiques contradictoires en Afrique (exportation d’armes, de machines-outils, d’équipements divers, de produits agricoles, et importations de matières premières agricoles et minières africaines). L’UE, l’UA et les différentes CER se doivent de maintenir et d’approfondir leur dialogue politique afin de relever ces différents défis et d’atteindre les objectifs de développement durables dans un contexte marqué par la prévalence de la pandémie du Covid-19, la récession économique et la paralysie de secteurs stratégiques comme le tourisme et le transport aérien, lourdement sinistrés partout dans le monde.
Partenariat économique avec d’autres blocs régionaux
Il est vrai qu’un seul partenaire comme l’UE ne peut être le principal partenaire économique et stratégique de tout un continent dont les besoins sont multiples et variés. Le développement économique du continent africain exige des ressources financières colossales qu’il convient de mobiliser sur les cinq continents. A cet égard, je suis d’avis que nos Etats se doivent d’intensifier et de diversifier leurs partenariats de co-développement et de co-investissement pour assurer la transformation de nos matières premières et la création de véritables chaines de valeurs complémentaires en faisant appel aux d’autres blocs régionaux, notamment ceux d’Asie et du Pacifique afin de contribuer au développement des domaines de coopération qui demeurent sous-investis. Ces derniers sont nombreux et je me permets d’en citer les dix exemples suivants :
i) faible niveaux des échanges intra africains, ii) absence de système de paiement intégrés en dépit de l’existence à Yaoundé au Cameroun du siège du Fonds Monétaire Africains (dont la l’Accord portant sa création n’est pas encore ratifié par les Etats africains) et de l’Association des Banques Centrales qui est basée à Dakar au Sénégal, iii) absence de liaisons maritimes et aériennes directes entre ls pays africains, iv) engorgement des ports africains entrainant de longs délais pour la sortie des containers, v) infrastructures routières défectueuses, vi) absence de fonds dédiés au financement des études de faisabilité pour rendre les projets bancables, vii) grande dépendance des cabinets internationaux de conseils / d’audit et manque de confiance dans l’expertise locale, viii) absence de transformation locale des matières premières faute d’industrialisation ; ix) évasion fiscale par les entreprises multinationales, x) insuffisance de la mobilisation des ressources domestiques et dépendance des financements étrangers aggravant l’endettement des pays africains.
Impact du nouvel Accord sur la zone de libre-échange continentale africaine
Dans la lignée du Plan Juncker d’Investissement Extérieur (EEIP) de 2018, le nouveau partenariat UE-ACP prévoit le mixage et le recours aux garanties bancaires pour déclencher des ressources financières additionnelles. En matière commerciale, la priorité ira à la mise en œuvre des APE, qui doivent eux-mêmes contribuer à l’intégration régionale et soutenir la mise en place de la ZLECAf.
Un autre sujet qui avait impacté négativement l’intégration régionale en Afrique a trait au non-respect des engagements pris par les Etats membres de l’Union Africaine en matière d’intégration régionale et de promotion des échanges intra-africains en raison des problèmes extra-économiques (instabilité politique, insécurité, pression migratoire, problèmes politiques bilatéraux, etc.). Cette situation s’est traduite par le faible volume des investissements consacré au financement des projets d’intégration économique régionale en Afrique qui ne dépasse guère 10% des investissements de chacun des pays africains. De tels projets ont connu beaucoup de retard dans leur mise en œuvre en raison du manque de volonté politique, de l’instabilité institutionnelle et du manque de ressources humaines compétentes opérant dans les Agences communes chargées de l’exécution de tels projets. Ces facteurs ont également impacté négativement la mise en œuvre des différents projets sectoriels prioritaires inscrits dans le fameux Programme de Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA) dont la vision, les politiques et les stratégies portent sur le développement des infrastructures à l’échelle régionale et continentale notamment le transport, l’énergie, l’eau, les télécommunications et les TIC. Le pilotage de ce programme est assuré par la Commission de l’Union Africaine (CUA), le Secrétariat du NEPAD et la BAD qui en assure le rôle d’Organe d’exécution du projet, responsable de la passation des marchés et de la gestion financière, technique et administrative.
L’UA et ses 8 CER qui la composent portent l’espoir de voir la ZLECAf jouer un véritable levier pour la création de synergies entre leurs Etats membres afin de booster le niveau de leurs échanges commerciaux qui ne dépassent guère 16% contre une moyenne supérieure à 60% en Europe et en Asie. Pour inverser cette situation, le chemin reste encore très long à parcourir. En effet, le démarrage au mois de janvier 2021 de la ZLECAf offre une lueur d’espoir certes mais les défis qui restent à relever sont très nombreux et nécessitent un très fort engagement de la part des Etats Membres pour les surmonter. Par ailleurs, l’entrée en vigueur de la ZLECAf devrait permettre d’accélérer les échanges à l’intérieur du continent, notamment à travers la suppression de 90% des taxes douanières sur les quinze prochaines années. Avec 1,3 milliard de consommateurs et un PIB combiné d’environ 3 500 milliards de dollars américains pour le continent, la nouvelle zone de libre-échange continentale crée le deuxième plus vaste marché mondial derrière le Partenariat régional économique global en Asie et dans le Pacifique.
Il convient de noter que les villes comme Casablanca, Johannesburg, Lagos, le Caire et Nairobi sont les plus attractives en termes d’investissements intra-africains. Ces cinq grandes villes se distinguent par le dynamisme de leur marché de consommation et de leur marché de travail faisant d’elles à la fois la source et la destination d’investissements intra-africains.
Les grandes villes africaines sont, en général, des pôles d’attraction économique et de production de richesse et contribuent fortement aux échanges économiques intra-africains en favorisant la libre circulation des biens et des personnes dans leur espace sous-régional.
Quant aux pays africains de l’hinterland, les grandes villes côtières du continent représentent pour eux la porte de transit des biens de consommation, des matières premières et des produits manufacturiers. A titre d’exemple, le Burundi, le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Rwanda entre autres dépendent pour une grande partie de leurs importations et exportations des ports de Dar Es Salam, Mombassa, Dakar, Abidjan, Conakry, Lomé et Tema.
C’est en Afrique que l’on rencontre la plus forte proportion d’Etats ne disposant pas d’un accès à la mer ou à l’océan. Ils sont 15 en Afrique sur 43 dans le monde. Ils ont un dénominateur commun: privés d’accès direct aux grandes routes maritimes, ils font souvent partie des pays les plus défavorisés mais certains sont classés parmi les plus riches au monde (Autriche, Liechtenstein, Luxembourg, Suisse), preuve que cet inconvénient peut se transformer favorablement en terme de développement.
Quid de la région Afrique du Nord ?
Il est prévu que les pays d’Afrique du Nord participent au prochain Sommet UE-UA de la mi-2021 au cours duquel il sera procédé à la signature du nouvel accord UE-ACP et son protocole Afrique qui engagent toute l’Afrique sub-saharienne mais pas l’Afrique du Nord, une région liée à l’UE par des accords bilatéraux séparés. Avant même le début des négociations, la question s’est posée de concilier le cadre juridique UE-ACP avec l’approche de «continent à continent» que l’Europe poursuit avec l’Union Africaine depuis 2007 et qui s’est consolidée sous l’impulsion de la Commission Juncker. Le choix de «régionaliser» l’accord ACP-UE était précisément une tentative de réponse à ce défi : négocié avec 49 des 54 Etats africains, le protocole Afrique pourrait naturellement accueillir toutes les priorités du continent, et en particulier l’agenda d’intégration conduit dans le cadre de l’Union Africaine. Au niveau politique, le dialogue et les stratégies communes UE-UA serviraient ainsi de cadre à la coopération UE-ACP en Afrique sub-saharienne, en même temps qu’ils s’appliquent à l’Afrique du Nord.
Prise en compte de l’Agenda continental de l’Union Africaine
Le protocole fait une très large place à l’agenda continental de l’Union Africaine. Le rôle de l’UA se trouve ainsi reconnu dans ses domaines de compétence politiques (paix et sécurité, Droits de l’Homme, gouvernance) comme dans ses projets d’intégration économique (Communauté Economique Africaine-CEA, Zone de Libre-Echange Continentale Africaine-ZLECAf, Programme Africain Intégré de Développement Agricole-PDDAA, Programme de Développement des Infrastructures en Afrique-PIDA, etc..).
Le dialogue UE-UA est établi de façon explicite dans le protocole Afrique. Les parties ont convenu d’assurer la cohérence et la complémentarité entre ce Protocole et le partenariat de continent à continent établi par les sommets UE-UA successifs. En inscrivant ces liens dans le protocole Afrique, les signataires du traité UEACP offrent une forme de consécration juridique au partenariat entre les deux continents et reconnaissent la prééminence politique du Sommet UE-UA.
L’articulation entre l’agenda panafricain et la coopération avec les Etats ACP s’établit dans le respect du principe de subsidiarité. L’UA est le cadre de référence sur les questions continentales et trans-régionales, tandis que l’essentiel de la coopération continuera de s’organiser aux niveaux national et sous-régional. La programmation devra donc répartir les ressources disponibles entre ces différents niveaux.
Enseignements tirés des expériences de partenariat entre l’Afrique et l’Union Européenne
Premier partenaire économique de l’Afrique sub-saharienne, les pays membres de l’Union Européenne ont perdu leur poids économique sur le continent au profit de nouveaux acteurs en provenance d’Asie, de la Turquie, d’Amérique Latine et des Etats Unis d’Amérique. Le faible niveau des engagements financiers de l’Union Européenne par rapport aux énormes besoins financiers du continent africain n’a pas permis l’intensification des relations bilatérales marquées par le souvenir des affres de la colonisation, la politique migratoire draconienne, le traitement inhumain réservé aux migrants africains, l’octroi limité de visas aux ressortissants africains, l’absence d’engagements sérieux pour la transformation des matières premières de l’Afrique sur place, l’évasion fiscale à grande échelle pratiquée par les multinationales européennes dans le secteur minier, le soutien aux régimes dictatoriaux, le non-respect des constitutions pour l’alternance politique démocratiques en Afrique, le maintien du franc CFA avec une parité fixe par rapport à l’EURO, etc.
L’image de l’Europe s’est beaucoup détériorée dans les opinions publiques africaines qui regardent de plus en plus vers d’autres horizons, notamment vers l’Asie (Chine, Inde, Japon, Malaisie, Singapour, Corée du Sud, Vietnam, Brésil, Argentine) et le Maroc, premier investisseur dans l’espace CEDEAO et deuxième à l’échelle du continent grâce à la très forte impulsion donnée par le roi Mohammed VI au cours des deux dernières décennies.
Plaidoyer pour une coopération triangulaire EU-ACP-Afrique du Nord dans le contexte du renouvellement de la coopération UE-Afrique
Le renouvellement de l’Accord de partenariat UE-ACP offre aux pays d’Afrique du Nord la possibilité de conclure des accords tripartites avec l’UE et l’Afrique pour l’exécution des programmes et des projets de développement éligibles aux financements de l’UE. A titre d’exemple, l’expertise et le savoir-faire des opérateurs marocains des secteurs hautement prioritaires et stratégiques pour l’Afrique (eau, agriculture, énergies renouvelables, formation professionnelle et technique, renforcement des capacités, partage des bonnes pratiques et gestion axées sur les résultats) constituent autant de domaines de coopération très prisés en Afrique subsaharienne.
Par ailleurs, la pandémie de la Covid-19 constitue un nouveau créneau du partenariat entre l’Afrique et l’Europe dans un contexte actuel de crise et d’incertitude. En effet, l’ émergence depuis le mois de janvier 2020 de la pandémie de la Covid-19 a fortement impacté l’ensemble de la planète. L’Afrique n’y a pas échappé et subit les conséquence négative de la récession économique mondiale et la chute des transferts de la diaspora. Comme conséquence, le secteur de la santé est devenu hautement prioritaire partout dans le monde et plus particulièrement en Afrique. Une telle crise sanitaire offre d’énormes opportunités d’investissements dans des secteurs clés tels que la construction d’hôpitaux, de centres de santé ruraux, de cliniques, la fabrication de médicaments, de vaccins, de consommables ainsi que la formation de médecins et du personnel de la santé etc.). Signe positif résultant de cette crise : un peu partout en Afrique et ailleurs, les dirigeants ont pris conscience qu’investir dans la santé et sauver la vie des populations est devenu une priorité absolue alors qu’avant la survenue de la crise du Coronavirus, les ressources allouées au secteur de la santé constituait le parent pauvre dans les budgets nationaux.
A mon avis, le co-développement et le co-investissement en Afrique ayant pour objectif la transformation des matières premières, la création d’emploi, la collecte d’impôts constituent une réponse adéquate à votre question. En effet, les pays membres de l’UE disposent de la technologie, du savoir-faire et les financements requis pour le développement du continent africain. L’Afrique dispose d’un gisement d’opportunités d’affaires pour les opérateurs du secteur privé européen. Ce dernier est appelé à travailler étroitement avec le secteur privé africain et à promouvoir les partenariats public- privé dans les secteurs à forte rentabilité (agriculture, énergie, infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, santé, TIC et numérique etc.). De plus, il faudra décomplexer les rapports multiples UE-Europe et travailler ensemble la main dans la main dans un esprit « win-win » et respectueux des valeurs et des attentes de chacun.
En encourageant le co-développement et le co-investissement pour la transformation locale des matières premières avec l’implication des acteurs économiques appartenant au triple espace européen, nord-africain et sub-saharien, on atteindrait un niveau de croissance économique et de développement socio-économique très appréciable grâce à cette coopération triangulaire, contribuant ainsi à la transformation économique du continent et à l’émergence d’une nouvelle Afrique, stable et prospère dans un esprit win-win.
De surcroit, compte tenu de leur situation stratégique au carrefour de l’Europe, de la Méditerranée et de l’Afrique, des pays comme le Maroc et l’Egypte disposent d’un grand avantage comparatif qui les qualifie d’une part pour devenir des acteurs de premier plan dans les principales industries régionales dans les pays membres de la CEDEAO, de la CEMAC et de la COMESA et d’autre part, ils pourraient bénéficier d’une restructuration des chaines de valeurs mondiales dans la zone euro-méditerranéenne-Afrique – en termes d’augmentation et de diversification de l’offre exportable, d’attraction de capitaux et de mise en œuvre de grands projets régionaux, structurants et innovants.
Pour conclure, je dirais que l’adoption et l’opérationnalisation de l’approche de coopération triangulaire constitue une piste avantageuse pour toutes les parties prenante et permettrait de contribuer à l’atteinte des objectifs que se sont fixés l’Union Européenne, l’Union Africaine et le Groupe ACP dans le cadre du dialogue et du partenariat stratégique de «continent à continent» et qui figure pour la première fois dans le nouvel accord de partenariat UE-ACP.
Bon vent à ce nouvel accord !