Par Christine Holzbauer, à Paris.
Alors que s’ouvre à Paris, ce 18 mai, une conférence internationale pour redéfinir «les règles du financement de l’économie africaine», des jeunes experts du continent publient un livre blanc sur la dette et les politiques publiques en matière d’aide internationale. Détonnant.
L’initiative est suffisamment rare pour être soulignée. Alors que s’ouvre ce 18 mai à Paris un sommet à l’initiative de la France pour sortir l’Afrique de la crise et financer son développement, de jeunes experts du continent, réunis au sein de l’incubateur «Je m’engage pour l’Afrique » (JMA), ont décidé de faire entendre leur voix. Le résultat est détonnant que ce soit sur la dette de l’Afrique, la monnaie, le financement des PME, l’aide publique au développement ou les transferts de fonds de la diaspora.
Selon ses deux fondatrices, Ileana Santos et Amina Zakhnouf, JMA est un incubateur de politiques publiques destiné à tous les afro-optimistes, -d’où qu’ils viennent-, qui se veut le porte-voix d’une jeunesse «qui partage notre ambition pour l’Afrique». Créée en décembre 2020, cette association apolitique, à but non-lucratif, vise à susciter un débat public, souhaité entre l’Afrique et l’Europe, «par la valorisation des innovations, l’influence et la co-construction de solutions ayant un impact », précisent les deux jeunes expertes.
La dette, au cœur de la réflexion sur le refinancement de l’Afrique
Dans cette perspective, JMA a souhaité ouvrir la réflexion sur la dette des pays africains et ses conséquences pour les économies africaines au travers d’un Livre Blanc intitulé « Contresens ». Tout un programme ! Mais, comme l’avait annoncé il y a six mois Emmanuel Macron, il s’agit maintenant de redéfinir « les règles du financement de l’économie africaine », dans l’objectif d’établir un cadre de financement «plus assaini» et «équitable» avec l’Afrique.
Au cœur de cette réflexion, le «pardon» de la dette ou son rééchelonnement ainsi que les enjeux de développement qui vont être abordés par la vingtaine de dirigeants africains ayant accepté de faire le déplacement, avec leurs homologues européens et les dirigeants de institutions multilatérales. Pour Ileana Santos, les jeunes ne pouvaient pas être absents de ce débat car s’ils s’engagent sur le terrain, «nous contribuons à faciliter le financement de nos économies», aime-t-elle à répéter.
Divisé en trois chapitres traitant respectivement du «sens» de l’Etat, de la monnaie et de l’économie réelle, les auteurs de « Contresens », publié ce 18 mai, abordent l’essentiel des grandes questions économiques pertinentes à l’Afrique, sans n’en omettre aucune. Hormis peut-être, les fluctuations erratiques des commodités sur les marchés mondiaux. Celles-ci, comme dans le cas du pétrole, constituent encore, à ce jour, l’essentiel des rentrées de devises des économies africaines.
En revanche, la question épineuse du Performance Based-Budgeting (PBB), «une réforme nécessaire pour permettre aux citoyens africains de s’emparer des politiques publiques» est traitée par Yassine Taleb. Les banques centrales : «comprendre les politiques monétaires non-conventionnelles en Afrique», l’est par Ange Bouyou-Mananga. Sans oublier «La monnaie, levier oublié ou mal-aimée ? », une réflexion sur le franc CFA par Thomas Bajas & Raony Cabra-Silva à un moment où le débat continue de faire rage dans la perspective de l’avènement retardé de l’Eco, la monnaie unique de la CEDEAO.
Les transferts de fonds de la diaspora, la grande oubliée ?
Mais c’est sur le chapitre de l’économie réelle et notamment l’aide au développement (Faut-il la repenser en urgence ?) par Maya Tira ou bien le financement des PME (Fer de lance de l’économie réelle ?) par Mamadi Condé ou encore les réflexions sur la viabilité́ de l’Impact Investing en Afrique par Mélanie Keita que ce livre blanc fait la différence. Et, notamment, la contribution d’Amina Zakhnouf, lead éditorial de JMA, sur « Le transfert de fonds des diasporas, filet de sauvetage ou cadeau empoisonné ? Réflexions sur le futur de l’espace économique des diasporas. »
Interrogée sur les raisons d’un tel choix, cette « littéraire dans l’âme, animée par une forte appétence pour l’innovation, le financement des PME, l’économie politique et l’engagement des diasporas », comme elle se décrit, se souvient de ses années d’étudiante. « J’étais la seule de ma classe d’âge à recevoir de l’aide. Tout le monde autour de moi, au contraire, envoyait de l’argent au pays. Ça m’a interpellé », confie-t-elle. La jeune Marocaine essaie d’abord d’imaginer un système de transfert d’argent via le téléphone qui soit moins onéreux que ce que propose Western Union ou Moneygram, les deux poids lourds du secteur. « Très vite, on se heurte de la part des utilisateurs à un problème de confiance », regrette-t-elle.
Une expérience de bi bancarisation en cours aux Pays-Bas, où réside une forte diaspora maghrébine, lui redonne espoir. D’autant que, selon la Banque mondiale, les fonds envoyés par les migrants « sont restés solides en 2020, avec un fléchissement plus faible qu’anticipé », malgré la crise sanitaire mondiale. Pour Amina Zakhnouf, même si elle a légèrement baissé (-12,50%) en 2020 du fait d’une baisse des transferts vers le Nigéria, cette manne de 42 milliards de dollars rien que pour l’Afrique subsaharienne, reste encore trop souvent ignorée dans les politiques d’aide publique. « Aux Etats africains et à leurs bailleurs à faire en sorte que l’argent de la diaspora soit mieux utilisé et mieux investi sur place. La résilience dont ont fait preuve les migrants malgré le Covid 19 montre, en tous cas, qu’eux sont toujours présents. »
Un commentaire
Bonjour,
Merci à l’auteure pour cet article intéressant à bien des égards. Je ne m’attarde pas sur la sémantique du « refinancement », mais sur un point qui n’est pas repris: la gestion de l’aide par les états bénéficiaires.
La question de la gestion des fonds divers et plus précisément des aides par les Etats ne doit pas être occultée. Le continent fait preuve d’inventivité, mais reste au point de départ: les systèmes de sécurité sociale, quand il en existe, sont financés par l’aide tout comme les appointements des fonctionnaires… Cependant, nous observons un train de vie des Etats et de leurs représentants, politiques et administrateurs de sociétés publiques, en décalage avec la réalité socio-économique des citoyens. Les outils et mécanismes proposés n’auront de sens que si, à un moment, nous nous attardons sur la gestion des africains des aides octroyées et la gestion des revenus procurés par les productions nationales…