De notre corespondent permanent à Bamako.
Au Mali, la pilule est amère, la désillusion grande. Tel un de ces vents secs du désert, l’ordre fragile de la transition a été interrompu dans l’après midi du lundi 24 mai. Les maliens ont été renvoyés à leur charte du Mandé. Le mythe persiste. La réalité, elle, est beaucoup plus dure. Plusieurs Etats et organisations internationales ont condamné le coup de force intervenu dans l’après-midi du 24 mai 2021 avec, avouons-le, un peu de lassitude. Il s’agit notamment de la mission de l’ONU au Mali (Minusma), de la Communauté des États ouest-africains (Cédéao), de l’Union africaine, de la France, des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de l’Union européenne. Dans cet article, Financial Afrik met la lumière sur l’identité des putschistes et les motivations de leur coup de force.
Dans un communiqué conjoint, les chefs d’Etat de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union Africaine (UA) ont condamné avec énergie un “acte d’une gravité extrême qui ne peut en aucun cas être toléré au regard des dispositions pertinentes de la CEDEAO et de l’Union africaine”. Les deux institutions demandent aux militaires de retourner dans les casernes.
De son côté, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres a, à travers un tweet, appelé «au calme» et à la «libération inconditionnelle» des dirigeants civils arrêtés par les militaires.
«Je suis profondément préoccupé par les informations sur l’arrestation des dirigeants civils chargés de la transition au Mali », a déclaré le SG de l’ONU. Bref, la communauté internationale rappelle son soutien à la Transition qui doit maintenir comme priorité l’organisation de l’élection libre dans le délai imparti.
A son tour, le chef de la Minusma, le mauritanien El Ghassim Wane, qui vient juste de prendre service dans l’organisation onusienne, est rentré en urgence à Bamako, lundi soir, alors qu’il effectuait une visite dans le centre Mali. Aussi, il faut le rappeler, le médiateur de la Cédéao dans la crise malienne et ex-président nigérian, Goodluck Jonathan, est attendu à Bamako ce mardi.
Réaction de la classe politique Malienne
Un temps frappé de stupeur, la classe politique malienne a vite retrouvé de la voix. Ainsi, Housseyni Amion Guindo, président de la CODEM (Convergence pour le Développement du Mali), est le premier homme politique malien à condamner le coup de force. «Je condamne avec la plus grande fermeté les événements en cours dans notre pays. J’exige la libération immédiate et sans conditions du Président de la Transition, son excellence Bah N’Daw, et du Premier Ministre Moctar Ouane », a-t- il déclaré. Son message a été suivi par celui de l’ancien premier ministre, Moussa Mara, «triste d’apprendre les arrestations du Président de la transition, du Premier ministre et de certains de leurs collaborateurs» et condamnant sans équivoque toute prise de pouvoir par les armes, que cela soit dans une transition ou dans un régime constitutionnel ».
A son tour, le comité local de suivi de la transition composé de tous les représentants de la communauté internationale au Mali a exigé «la libération immédiate et inconditionnelle» des autorités de transition arrêtées.
«Cet acte est condamnable, cela décrédibilise tout le processus, affaiblit les processus en cours et affaiblit l’autorité de l’Etat, donc indignons-nous », Martèle Yeah Samaké, ancien Ambassadeur du Mali en Inde et chef du PACP (Parti Pour l’Action Civique et Patriotique). Pendant ce temps, les intrigues se nouent et se dénouent. Pick up et 4×4 se croisent et se décroisent. La garnison de Kati redevient le nombril du Mali réel comme il l’est dans le Mali de l’épopée Manding de Djibril Tamsir Niane, l’écrivain qui a tiré sa révérence il y a quelques semaines sans doute pour ne pas voir ce que l’empire de Soundjata est devenu.
Incertitudes et rumeurs
Bref, la réalité est dure. Après l’arrestation du Président Bah NDaw et du Premier ministre Moctar Ouane lundi soir, par les militaires, Bamako s’est réveillée dans l’incertitude sur le sort de la transition. Au terme d’une nuit calme, sans manifestations, sans violence ni scènes de pillages, aucune démission n’a été actée pour l’heure. Mais avant d’aller au lit hier soir, les maliens ont eu la confirmation que plusieurs responsables militaires et politiques ont été arrêtés.
Réunions nocturnes
Tard dans nuit du lundi au mardi, nous avons appris que de l’ex Comité national pour le salut du peuple (CNSP), a entamé des échanges avec des hommes politiques. Ainsi,, le M5-RFP, mouvance hétéroclite proche de l’imam Mahmoud Dicko, a été longuement reçu à Kati. Pour rappel, le Mouvement du 5 juin, (M5-RFP) est la seule organisation associative qui s’opposait à la transition s’estimant floué par des militaires qui ont récolte le fruit mûr qu’il avait semé.
Le Mouvement est composé de plusieurs associations, partis politiques et groupements divers. Il est actuellement dirigé par Dr Choguel Kokala Maiga, président du comité stratégique. Pour l’instant, rien n’a filtré de cette rencontre nocturne.
Qui sont les putschistes ?
Il s’agit d’abord du colonel Modibo Koné, ancien ministre de la sécurité et de la protection civile. Le second n’est autre que le colonel Sadio Camara, ancien ministre de la défense et des anciens combattants. Selon plusieurs sources sécuritaires, ce dernier est l’un des hommes forts de la garnison militaire de Kati.
Quant au colonel Modibo Koné, il est de la même promotion que le colonel Sadio Camara, un pur produit de la Russie.
Les deux hauts gradés accusent le président et son premier ministre d’avoir été écartés sur la liste du gouvernement.
Aux yeux des auteurs du coup de force, la première liste préétablie a été changée au détriment de la junte. “Une chose qui est inadmissible”, selon des sources militaires proches des putschistes. Aussi, la nouvelle junte accuserait notamment le premier ministre d’avoir fait le jeu de la France dans l’achat des armements militaires au détriment de la Russie. Des informations difficiles à confirmer dans un contexte d’ébullition en cours. À noter qu’un grand rassemblement est prévu ce soir à la bourse du travail de Bamako. Selon les organisateurs, le but est de dénoncer le coup de force, un énième du genre, au Mali.