Propos recueillis par Interview réalisée par Issouf Kamagaté.
Député de Seine-Saint Denis à l’Assemblée nationale française, Patrice Anato occupe aussi la fonction de Coprésident du groupe d’étude Diplomatie économique avec l’Afrique. Il est par ailleurs le vice-président du groupe d’amitié France – Côte d’Ivoire à l’assemblée nationale française.
Depuis le 24 mai dernier vous êtes en Côte d’Ivoire ? Quel est l’objet de votre visite en Côte d’Ivoire ?
Je conduis une délégation de parlementaires français composée d’un sénateur et de 4 députés. L’objectif de ce déplacement c’est bien sûr de façon générale l’affirmation de notre attachement à la diplomatie parlementaire et économique entre nos deux pays, donc à l’attachement de la coopération entre les chambres parlementaires de nos deux pays. Nous croyons que les parlementaires de nos deux pays ont des rôles importants dans le rapprochement et les liens bilatéraux. Cela va de la diplomatie traditionnelle jusqu’au relais économique voire social, puisque dans nos territoires respectifs, en tant qu’ élus, nous avons des spécificités, des expériences et des retours d’expérience que nous pouvons partager avec nos homologues ivoiriens. Et apprendre les uns des autres.
Un autre point important de ce déplacement c’est aussi le renouvellement de l’Assemblée nationale ivoirienne. Les Ivoiriens sont passés tout récemment à des élections législatives qui ont permis le renouvellement des membres de l’Assemblée nationale. La particularité de cette élection législative est la grande ouverture remarquée et remarquable, à toutes les sensibilités politiques qui composent l’échiquier politique ivoirien. On a des députés représentant tous les partis de toutes les régions de Côte d’Ivoire. Cela démontre la volonté du Président de la République ivoirienne d’ouvrir le pays à plus de démocratie et de travail de collaboration de toutes les sensibilités et de toutes les catégories socio-professionnelles du pays pour faire encore plus rayonner la Côte d’Ivoire. Nous, élus français, nous avons été sensibles à cela. Ce qui nous a donné encore une bonne raison pour ce déplacement.
Nous avons donc rencontré nos homologues députés. Nous avons eu l’honneur d’être reçus par le vice président de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo. Nous avons pu, lors de cette rencontre, avec les autres représentants des différentes sensibilités qui étaient là, échanger sur des sujets d’intérêts commun. Comme l’industrialisation ou le financement du secteur privé. Nous avons parlé également du climat des affaires, nous avons évoqué les sujets tenant aussi à la diaspora ivoirienne de France et d’autres sujets qui ont été, d’un côté comme de l’autre, appréciés. Mais, nous allons continuer à approfondir, parce qu’un séjour de trois jours ne suffit pas pour aller en profondeur dans ces différentes thématiques. Nous allons continuer ce travail interparlementaire, (entre les assemblées nationales et les sénats) pour que nos deux pays, France et la Côte d’Ivoire, puissent être attractifs et compétitifs, c’est aussi important pour nous concernant le volet économique. Pour finir, je dirai que pour l’aspect politique, il y a vraiment un effort consenti et considérable à travers ces dernières élections. Nous sommes convaincus que la Côte d’Ivoire a pris la bonne direction.
Dans le cadre de la coopération parlementaire, quels sont les secteurs qui vont nécessiter plus d’assistances ?
J’ai été membre de la Commission économique pendant les trois premières années de mon mandat. Depuis le 1er janvier 2021, je suis membre de la Commission des Finances, beaucoup plus dans l’exécution du budget. En tant que coprésident dans la diplomatie économique avec l’Afrique, l’intérêt porté sur le volet économique en Côte d’Ivoire est divers et varié. La Côte d’Ivoire est un pays producteur de café, de cacao. Il y a un fort potentiel touristique qui, comme le disait Adama Bictogo, n’est pas suffisamment développé. Cela peut faire partie des points stratégiques pour le développement de la Côte d’Ivoire. Il a parlé également de la volonté du Président Ouattara à faire émerger des champions ivoiriens. Là encore je pense que la France peut accompagner, par son expérience, la Côte d’Ivoire à faire émerger des champions des secteurs d’activité qui permettent à ce que le pays renforce sa position dans la sous-région. La Côte d’Ivoire et certains pays de l’Uemoa ont réalisé un taux de croissance résilient. Il ne faut pas que cette crise sanitaire et économique vienne tirer vers le bas la croissance enregistrée jusque-là. Nous sommes ouverts à une coopération dans différents secteurs d’activité de production qui puissent permettre à la fois à la France et à la Côte d’Ivoire de mener un partenariat gagnant-gagnant.
Récemment au sommet sur le financement de l’Afrique, le Président Macron a présenté un autre modèle de coopération avec l’Afrique. Et on assiste de plus en plus à un partenariat d‘égal à égal. En tant qu’Elu, quel commentaire faites-vous de cette nouvelle position ?
A l’issue du sommet du 18 mai sur le financement des économies africaines, lorsque vous écoutez les conclusions présentées par le Président Macron, on voit clairement une volonté forte de la France d’accompagner les pays d’Afrique surtout le secteur privé et de lui faire bénéficier de nouveaux outils de financement. Le président Macron a déclaré oar d’ailleurs, et on partage tous ce constat, que le secteur privé est celui qui crée le plus d’emplois, de valeur et de richesses. Et que le développement du continent passe par un meilleur financement du secteur privé. Cette dynamique s’est révélée pendant la Covid 19 où on a vu que l’Afrique, qui est supposée n’avoir pas suffisamment de moyens, s’en est pas mal sortie. Mais les économies du continent restent toujours fragiles, d’où la question du financement du secteur privé lors de ce sommet. Il y a aussi le Fmi qui permet de disposer des Dts nécessaire pour la relance de certains pays en crise. Aujourd’hui, les besoins de financement en Afrique sont estimés entre 24 et 34 milliards de dollars. Le Président Macron a proposé d’aller jusqu’à 100 milliards de dollars. Cette volonté affichée est déjà enclenchée en ce sens où des pays comme le Portugal s’inscrivent déjà dans cette option . Cela va créer un effet levier pour que d’autres pays européens puissent rentrer dans la nouvelle donne, un « New deal » pour l’Afrique avec le partenariat de l’Europe. Parce que ce n’est pas seulement la France qui a le pouvoir de le faire, mais elle le fait de concert avec les autres Etats membres de l’Union européenne. La Côte d’Ivoire comme bien d’autres pays auront le bénéfice de ce new deal qui se fera sentir dans les différentes économies. Une chose dont je suis convaincu, la stabilité de l’Afrique garantira la stabilité de l’Europe et vice-versa versa. Tout comme l’instabilité de l’Afrique engendrera l’instabilité de l’Europe, sur le volet économique et sécuritaire. Aujourd’hui on voit ce qui s’est passé au Mali, on voit la vague de terrorisme dans les régions du G5 Sahel. Si nous ne renforçons pas la coopération franco- ivoirienne ou franco africaine, dans l’aspect militaire, les économies seront de plus en plus fragilisées et cela ne sera ni bénéfique pour l’Afrique ni pour la France et encore moins pour l’Europe.
Parlant de sécurité, le Mali vient encore de subir un putsh déguisé que Macron a qualifié de coup d’Etat. Seulement que le chef de la junte a affirmé maintenir le calendrier des élections en 2022, la feuille de route qui avait été validée par la Cedeao et l’Union africaine. Que pensez-vous de ce nouveau bruit de bottes ?
En tant que parlementaire français, nous tenons notre légitimité de la démocratie, de l’élection qui nous a fait élire représentant du peuple. Donc, ce sont des valeurs et principes républicains que nous portons aussi dans les relations que nous avons avec les différents pays partenaires dont le Mali. Aujourd’hui, nous constatons également que la junte a remanié l’establishment malien et a déclaré être fidèle à ses engagements de faire passer le pays à une élection pour que le peuple choisisse ses dirigeants. Nous ne pouvons qu’encourager cette volonté. Que cela se fasse, le temps de préparation jusqu’à l’échéance, dans le respect de droits individuels et des libertés. Mais il faudra veiller à ce que tout se passe dans la paix, la tranquillité et dans la sécurité des maliens. Il y va des pays voisins. Il est très important que cette transition se j toncf e i le g passe dans les meilleures conditions pour garantir une stabilité de la sous-région. Qui permettra à ce que tous les pays puissent émerger, que les projets de développement soient partagés aussi bien en Côte d’Ivoire que dans d’autres pays.
Quels est le regard du Président Macron sur les élus français d’origine africaines ?
Le Président Emmanuel Macron n’a pas une pensée spécifique à ce qu’un français issue de l’immigration, si je peux m’exprimer ainsi, ou un français de double culture, puisse avoir de hautes responsabilités. C’est d’ailleurs lui qui a encouragé cela. Parce que je me rappelle en 2016, lorsque lui-même était candidat, il disait clairement que son projet est que la représentation nationale soit à l’image de la France, laquelle doit dépasser les clivages pour aller vers une France unie. Cela s’est traduit à travers les choix du président. Les investitures qui ont été accordée par « En marche » à différents français et différents horizons ont permis aujourd’hui qu’il y ait effectivement plus que ce que l’on connait habituellement : plus de députés et plus de personnes issues de l’immigration. Des français qui ont une double culture comme moi peuvent aussi participer à la construction du pays. D’ailleurs, il le dit lui-même : «son projet c’est que la France soit une chance pour tous». Donc c’est une volonté politique inclusive qui est encouragée. Si je suis là aujourd’hui comme député, membre de la majorité présidentielle, c’est aussi grâce à cette volonté du Président Macron, pour faire émerger aussi des talents français bi-culturels. Qui est aussi une chance pour la France.
Dans le cadre du partenariat Nord sud, quelle est votre vision des entrepreneurs africains notamment ceux de la Côte d’Ivoire ?
En France, ce sujet est l’un des axes principaux de la politique internationale du Président de la République Emmanuel Macron. D’ailleurs quand il a mis en place le conseil présidentiel pour l’Afrique (Cpa), c’est aussi dans cette vision d’inclure les diasporas dans le processus de développement du continent. Il encourage beaucoup l’entrepreneuriat avec l’Afrique à travers les franco-africains de France et au-delà, les dispositifs portés par des structures comme l’Afd à travers sa filiale Proparco, pour ne citer que celles-là, participent à ce que des projets typiquement africains soient accompagnés techniquement, financièrement et qu’ils puissent se réaliser en Afrique avec un impact. Aujourd’hui, le pont est à la fois porté par cette politique mais aussi par le rôle que jouent les biculturels (les Français d’origine africaine). Personnellement, à travers cette action de diplomatie économique avec l’Afrique, c’est aussi ce pont que je continue de consolider et de permettre à ce que les partenaires de la France soient fiers.
Donc, quelque part, vous portez la voix de l’Afrique ?
Je porte et la voix de la France et la voix de l’Afrique.
Une thèse différente d’un autre élu qui disait en ces termes « je me sens plus français que mon pays d’origine »…
Je ne dirai pas que je suis plus français ou plus africain ou plus Togolais. Je suis tout simplement convaincu qu’en tant que député français, j’ai un rôle à jouer pour l’avenir des deux continents. Parce que l’Europe et l’Afrique ont un destin commun. Demain si l’Afrique s’effondre l’Europe en pâtira et vice-versa versa. Je crois que cette chance que j’ai d’avoir les deux cultures permet tout simplement de dire qu’il y a la possibilité de travailler en étroite collaboration avec les Etats d’Afrique et la France. Mon souhait est que ce pont demeure et se consolide de plus en plus. Je suis fier d’être français et je suis fiers aussi de mes origines togolaises.
Ces derniers jours, on a assisté à une vague de migration sans précédent dans le nord du Maroc. Plus de 2000 ont tenté de rallier l’Espagne (Ceuta et Melilla) à travers le Maroc. Comment expliquez-vous ce nombre spectaculaire de migrants qui ont tenté de franchir les barrières des îles ?
Les informations que nous suivons à travers les différents médias nous montrent qu’il y a effectivement de façon continue des vagues de migration avec parfois des pics. Cela s’explique simplement par le fait qu’une partie de ces jeunes n’ont pas de perspectives d’avenir ou n’en trouve pas dans leur pays d’origine. Cela se comprend qu’ils puissent aller tenter leur chance en Europe pour trouver une porte de sortie. Mais, sur ce sujet, la France a déjà très longtemps commencé à faire un partenariat avec les pays de provenance pour permettre à ce que ces jeunes puissent avoir de réelles perspectives d’avenir dans leur pays et qu’ils s n’aient pas besoin de prendre des risques, parfois mortels, pour aller de l’autre côté. De façon concrète, des choses sont mises en place pour créer des perspectives d’avenir en Afrique pour ces jeunes à travers des projets de développement associatif impulsés et financés par des organismes français. C’est aussi des projets de renforcement du secteur agricole. On a beau dire qu’en Afrique, il y a beaucoup de minerais et de gisement, avec vous 65% des terres arables de toute la planète. Moi je dis que l’Afrique est le grenier du monde entier en termes d’agro-alimentaire, de développement et de commercialisation des produits agricole. L’Afrique a une sacrée chance à saisir. A travers de projets de formation à ses activités, la France continue de participer à des projets et programmes en partenariat avec les pays africains pour pouvoir maintenir dans leur pays d’origine les jeunes qui seraient tentés par l’immigration. Mais ce n’est pas suffisant. Il Faut aussi des politiques nationales fortes en direction de la jeunesse pour qu’elle puisse reprendre confiance et se dire : «je vais me former ici sur place. Je sais qu’à la sortie, j’aurai un projet professionnel qui va aboutir à un emploi concret ».
Outre les politiques publiques nationales fortes, il faut aussi la coopération qui est un complément pour pouvoir faire sortir la jeunesse africaine de cette difficulté, sachant que l’Afrique sera dans les années à venir le pourvoyeur de compétences et de talents pour le monde entier, sinon elle l’est déjà. Il faut les accompagner pour que cela puisse bénéficier au plus grand nombre.
Quel est aujourd’hui l’avenir politique de Patrice Anato et de son parti « La République en marche » ?
Actuellement, nous sommes dans les élections régionales et départementales. Je suis moi-même candidat dans un des cantons de ma circonscription (Noisy le grand) avec ma binôme. Les régionales aussi se passent au même moment les 20 et 27 juin. Nous y allons dans une formation élargie (la majorité présidentielle), il y a la République en marche certes, mais il y a le Modem, Agir ensemble, Territoire des progrès. C’est un ensemble de sensibilité progressiste qui fait confiance au projet d’Emmanuel Macron et nous comptons en tout cas peser pendant ces élections et avoir, à la sortie, le plus d’élus possibles. L’avenir de cette majorité présidentielle se construit chaque jour individuellement dans nos circonscritptions, collectivement aussi au niveau national. Nous croyons de toute façon que l’échéance de 2022 ne sera pas simple ou facile, mais nous faisons tout pour que les français reprennent confiance et mesurent les réformes que nous avons mises en place depuis 2017 puissent produire des résultats mesurables concrètes et évaluables aussi par chacun de nos concitoyens. Déjà on a beaucoup de résultats qui se font sentir. Nous avons eu différentes mesures : Suppression de la taxe d’habitation, augmentation du minima social, suppression des taxes sur les heures supplémentaires.. on a été plus social que les socialistes.
Vous êtes confiant de votre victoire à ces régionales ?
J’y vais parce que j’ai envie de gagner pour apporter à mon département (Seine-Saint Denis) tout le mérite. Parce que c’est un département qui mérite d’être connu non pas seulement pour ces faits divers ou son statut de département sinistré. Ici se passe énormément beaucoup de chose. Il y a des articulations à avoir dans les politiques publiques qui y sont appliquées pour que ce département puisse émerger. Le mot d’ordre que nous avons choisi pour notre liste (Bâtir ensemble) c’est que nous voulons, dès que nous sommes élus, faire de la Seine-Saint Denis un département fort et innovant. Fort à travers le renforcement de l’accompagnement social. Et innovant à travers l’éducation, le numérique, la culture et également à travers la transitions écologique et numérique. C’est vraiment un projet formidable que nous avons pour les Séquano dionysiens.