Par Pierre Delval.
Expert en criminologie et auteur de plusieurs livres sur la question, Pierre Delval, qui anime une rubrique dédiée sur Financial Afrik depuis cinq ans, braque le projecteur sur la « crimino-covid ». Entre vente de faux tests, de médicaments falsifiés, vaccins factices, corona-phishing et huiles « non » essentielles, voilà comment la pègre s’est recyclée durant les périodes de confinement et de restrictions sanitaires. Des centaines de millions de dollars en jeu.
Le monde entier fait face depuis plus d’un an à une crise sanitaire sans précédent due à la pandémie de COVID-19. Au 9 juin 2021, l’OMS dénombre plus de 173.514.237 cas de coronavirus à travers le monde et 3.753.768 décès. Si de nombreux pays semblent connaître une baisse significative des contaminations. D’autres au contraire voient leur courbe exploser. C’est le cas de l’Inde et de plusieurs pays d’Amérique latine. Les organisations sanitaires restent donc vigilantes et la très grande majorité des États accélère la campagne mondiale de vaccination.
A la fin du 1er semestre 2021, les pays sortent progressivement de leur torpeur. Les comptes publics sont exsangues, de nombreuses filières et entreprises financièrement fragilisées et des pays, aux frontières longtemps fermées, au bord de la faillite. Comme à chaque grande crise, nationale, régionale ou mondiale, le criminel analyse le bon moment pour frapper. La COVID ne fait pas exception à la règle et les bandits n’ont pas attendu une année pour agir.
Comme je l’ai souvent indiqué dans mes précédentes chroniques, le bandit est un prédateur opportuniste. Son domaine de chasse est quasi-infini mais ses méthodes sont souvent stéréotypées et son horizon limité. Le bandit est donc d’une certaine manière « prédictif » et ses méfaits sont sans surprise. De même, à quelques exceptions près, il n’est pas un spécialiste. Le bandit va là où la tendance du marché le guide, avec toujours cette même logique : le rapport coût/bénéfice. Un jour les stupéfiants, le lendemain les contrefaçons et le surlendemain le proxénétisme. Le profit maximum est son crédo, rapide et sans détour : mieux vaut 10.000 euros aujourd’hui que 100.000 euros demain. Et son environnement préféré est celui d’une bonne crise, lorsque la détresse facilite l’escroquerie. Ainsi, dans un contexte où tout lui est favorable, le bandit prédateur évolue hors des lois, des décrets et des arrêtés, arbitre et décide. Pour arriver à ses fins, il compte sur son instinct de chasseur, son flair forgé dans le « Milieu », sa science des règles de la concurrence criminelle et de la survie en zone hostile.
Ainsi, dès que la pandémie COVID 19 a commencé sa mondialisation, le bandit a changé de spécialité. Il a très vite compris que le confinement est un obstacle sérieux à ses activités illégales classiques, au commerce transnational illicite, à la mondialisation du crime. Pour les criminels en bande organisée, trop de contrôles aux frontières et dans les rues, trop de forces de l’ordre mobilisées, et leurs cibles obligées de se terrer chez elles, massivement astreintes au télétravail ou au chômage technique. Il était donc urgent pour le bandit de se recycler, de changer pour un temps ses sources de revenus, de s’adapter et de moderniser ses outils de vente. Un exercice de survie qu’il n’a pas eu de mal à mettre en œuvre. La COVID 19 devient alors un extraordinaire et inépuisable terreau de reconversion en matière de distribution de masques non agréés, de vaccins contrefaits, d’escroqueries en ligne, de fraudes au chômage partiel, de faux résultats de tests, de « corona-phishing », de « covidpreneurs » … La liste est longue.
Aussi évident que cela puisse paraître, il n’est pas inutile de rappeler qu’il n’existe pas à ce jour d’aliments, de purificateurs d’air, de lampes, de compléments alimentaires, d’eau bénite, ni d’huiles essentielles qui ne protègent ni ne permettent de guérir du Coronavirus. De même, des sites Internet proposant des kits de dépistage sans autorisation de mise sur le marché, des médicaments miracles anti-virus, des attestations de déplacement payants, des offres de services pour « décontamination obligatoire » ou des valeurs refuges mirifiques capables de sauvegarder le patrimoine des détenteurs ne sont que de pures forfaitures. Les fraudes diverses et variées peuvent sembler grossières et parfois ridicules. Et pourtant, en période de grands doutes comme celle de la COVID, la pléthore d’escroqueries fonctionne très bien. Alors que les populations cherchent à préserver leur sécurité et leur santé, les malfaiteurs profitent de cette vulnérabilité et se livrent à diverses infractions aussi absurdes que dangereuses afin d’exploiter la peur et l’incertitude. Les exemples ne manquent pas.
C’est le cas des faux tests PCR. L’obligation de présenter aux frontières un certificat dont le résultat est négatif a conduit à une activité lucrative de vente de résultats falsifiés. C’est ainsi que des réseaux ont été démantelés à l’aéroport Charles de Gaulle à Paris, à l’aéroport de Luton au Royaume-Uni ou ceux en Espagne. Au Pays-Bas, plusieurs comptes sur les réseaux sociaux offrant de faux certificats ont été repérés comme Vliegtuig Arts (le médecin de l’avion) ou Digitale Dokter (le médecin numérique). Au Mexique, les faux tests sont vendus 40 US$. Au Chili, un centre médical de Santiago offrait des tests falsifiés pour 85 US$. Selon Europol, un réseau criminel d’origine irlandaise, le Rathkeale Rovers, propose dans les aéroports et dans certains centres de voyage en Europe, à qui le demande, de fausses attestations sanitaires pouvant atteindre 300 euros. Ce groupe criminel est impliqué dans l’utilisation d’une application mobile qui permet de falsifier les résultats des tests. IATA, l’Association internationale du transport aérien, reconnaît qu’il s’agit là d’un « problème croissant dans le monde entier ».
Autres cas, autres délits. Les campagnes de vaccination étant lancées massivement dans la majorité des pays contaminés, de nouvelles formes d’escroqueries ont vu le jour. Contre de l’argent, des sites internet illégaux proposent de faciliter l’enregistrement des candidats à la vaccination dans les régions où les doses sont limitées. Dans une démarche tout aussi illégale, de fausses entreprises proposent sur des sites en ligne ou sur les réseaux sociaux des vaccins inexistants dans le but de récupérer des coordonnées bancaires. Le « corona-phishing » est né. Mais les escrocs ne se sont pas arrêtés en si bon chemin. L’OMS a ainsi émis sur son site en mars dernier un avertissement pour signaler l’usage abusif de son nom afin de collecter de faux dons pour lutter contre la COVID et de voler des données d’identité. Plus insidieux encore, les organisations criminelles ont utilisé les réseaux sociaux de certaines banques en Argentine pour vider les comptes de leurs clients. Les escrocs ont contacté les victimes en utilisant ces réseaux sociaux pour signaler un problème sur leur compte. Comme il était impossible de régler sur place le différend pour cause de quarantaine, les clients se sont résignés à faire confiance en remettant aux faux représentants des institutions financières concernées les coordonnées de leur compte. Par la banque en ligne, les arnaqueurs ont ensuite retiré l’ensemble des fonds de leurs victimes et ont demandé en leur nom un prêt préautorisé. Les victimes se sont retrouvées ainsi sans argent et surendettées à leur insu.
Quant aux vaccins, les arnaques se multiplient depuis les lancements de campagnes de vaccination à travers le monde. Interpol fait ainsi état de nombreuses tentatives de contrefaçons. Le 3 mars dernier, 2500 doses ont été saisies dans un hangar en Afrique du Sud, et plus de 3000 dans une usine en Chine. En février 2021, les autorités chinoises ont arrêté l’instigateur d’un réseau de distribution de faux vaccins qui avait fait fabriquer près de 60.000 flacons à partir d’une solution saline. Le contrefacteur en avait déjà vendu pour plus de 2,7 millions US$. Une clinique privée de Monterrey au Mexique proposait, quant à elle, des injections de faux vaccins de Pfizer-BioNTech pour 2000 US$ l’acte.
Tout récemment, la volonté de tromperie monte d’un cran et s’attaque dorénavant aux États. Plusieurs affaires similaires ont été ainsi rapportées auprès d’Europol et de l’Office européen de lutte anti-fraude concernant des offres frauduleuses de vente de plusieurs millions de doses de vaccins faites à des ministères de la Santé et à des organisations gouvernementales de plusieurs États membres. Parmi les arnaques, les escrocs n’hésitent pas non plus à en livrer une première quantité modeste pour percevoir le premier acompte, puis disparaître.
Lors d’une conférence de presse tenue le 26 mars dernier, l’OMS a mis en garde l’ensemble de ses membres contre ces vaccins COVID-19 vendus sur le Dark Web. Elle a exhorté l’ensemble des pays à ne pas acheter de vaccins en dehors des programmes de vaccination gérés par le gouvernement. C’est dans le cadre de cette conférence que le Directeur Général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a mentionné une technique bien connue des services de répression et qui consiste à récupérer tous les flacons vides pour les remplir à nouveau de faux vaccins. Détruire l’ensemble des flacons usagés tient du bon sens.
Les chiffres commencent à tomber. Ainsi, les forces de l’ordre au Royaume-Uni ont déjà répertorié pour l’année 2020 plus de 6000 cas de fraude liée au COVID pour un montant de 48 millions US$. Les américains auraient, pour leur part, perdu 382 millions US$ à cause de la fraude liée à la pandémie. Plus de 217.000 plaintes en rapport au COVID-19 ont été déposées à la Federal Trade Commission depuis janvier 2020.
Indirectement, la pandémie suscite aussi beaucoup d’intérêt. Le scandale des « Covidpreneurs » en Afrique du Sud ou celui du sauvetage financier des entreprises italiennes au bord de la faillite avec de l’argent sale démontre, si besoin était, que la crise attire toujours les convoitises, au détriment des plus démunis. En Afrique du Sud, par exemple, 17 millions US$ ont été détournés des budgets publics destinés à la lutte contre l’épidémie. Pays le plus touché du continent africain, l’Afrique du Sud avait déboursé 2 milliards US$ dans des achats liés à la pandémie entre les mois d’avril et de novembre 2020. A l’été 2020, le mari de la porte-parole du gouvernement aurait bénéficié illégalement de contrats d’équipements de protection sanitaire pour 8 millions US$. Cette affaire n’est que la première d’une longue série de scandales « Covidpreneurs », éclaboussant toutes les strates politiques du pays, notamment au sein de l’ANC, le parti au pouvoir. En Italie, la situation est d’une autre teneur. Beaucoup d’entreprises ne se sont pas remises de la politique drastique de confinement et de l’arrêt brutal de l’économie locale. Confrontées aux besoins urgents de trésorerie pour relancer leur activité, les entreprises italiennes se heurtent aux lenteurs bureaucratiques des instituts de crédits et à leur extrême prudence. Une situation rêvée pour les mafias qui sont en perpétuelle recherche de nouveaux moyens de blanchiment d’argent. Elles voient en cette manœuvre deux avantages : recycler l’argent sale évidemment, mais aussi et surtout infiltrer de nouveaux secteurs de l’économie tout en renforçant leur emprise sur les nombreuses PME qui leur sont, de fait, redevables. Une entreprise sur dix dans les domaines de l’agriculture, du commerce et des services aurait ainsi préféré se tourner vers les usuriers des mafias locales, peu scrupuleuses, plutôt qu’avoir recours à des banquiers réticents.
Plus que jamais, et au-delà des menaces qui nous assaillent de toute part avec et à cause de la Pandémie de COVID-19, la CRIMINO-COVID est une réalité qu’il ne faut surtout pas écarter. « Gouverner, c’est prévoir » disait le journaliste Émile de Girardin au XIXe siècle. Une dimension trop souvent oubliée par nos gouvernements, qui n’ont toujours pas compris l’importance décisive de le surveillance, de la « vigie » dirait le criminologue Xavier Raufer : « placée haut, la vigie regarde devant elle, discerne, puis signale avec expertise ce qui lui semble périlleux ». La COVID-19 n’est pas qu’une pandémie. Elle est une menace réelle portée par les prédateurs qui nous entourent. C’est sur ce champ de bataille que se trouve aussi l’ennemi ; C’est là qu’il faudra désormais lutter et vaincre.
A propos de l’auteur
Pierre Delval est un criminologue et criminaliste français, spécialiste en matière de contrefaçon et de crime-contrefaçon. Président de la Fondation suisse WAITO, première ONG à traiter au niveau international l’aspect criminel de la contrefaçon, de la contrebande et de la fraude alimentaire. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la contrefaçon des produits de grande consommation et des documents fiduciaires.Pierre Delval a suivi un cursus universitaire scientifique, juridique et littéraire: licences d’histoire des arts (musicologie, histoire de l’art et archéologie) et d’histoire, une Maitrise de sciences et techniques pour la conservation des œuvres picturales et des documents graphiques, un troisième cycle en chimie minérale et une spécialité en criminologie. En 1984, il est affecté, comme doctorant durant seize mois au Laboratoire de Police scientifique de Paris, alors appelé Laboratoire d’Identité Judiciaire de Paris. Il continue son cursus à l’Institut de Criminalistique de Lausanne, première école de Police scientifique au monde, afin de se spécialiser sur l’analyse scientifique des faux documents et se forme aux nouvelles méthodes d’investigation forensique sur la fausse monnaie. Pierre Delval est nommé Ingénieur à la Sous Direction de la PTS, chargé de développer les nouvelles technologies d’investigation criminelle au sein des cinq laboratoires nationaux et de prendre la responsabilité scientifique du service des faux documents au Laboratoire de l’Identité Judiciaire nouvellement renommé Laboratoire de Police Scientifique de Paris, en introduisant des nouveautés technologiques. Pierre Delval quitte la PTS en 1987 et intègre le Groupement d’Intérêt Economique (GIE) Cartes Bancaires. Il a en charge la sécurité des cartes à puce et son déploiement sur tout le territoire national et devient expert dans la lutte contre les contrefaçons monétiques. Il y met en place la politique d’homologation sécuritaire des sites de production des cartes bancaires à puce et de personnalisation. Il crée en janvier 1989, son propre bureau d’études, Saqqarah, spécialisé dans la protection des documents de haute sécurité, tout en poursuivant ses actions d’Inspecteur Général pour le compte du GIE « Cartes bancaires ». En 2003, Pierre Delval quitte Saqqarah International pour devenir le Conseiller spécial en matière de lutte contre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle et industrielle du Président de l’Imprimerie nationale. En janvier 2009, Delval a été nommé Président du Comité Suisse de Normalisation, au sein de la SNV (Association Suisse de Normalisation), en charge de la collaboration sur les nouvelles normes internationales ISO PC246 et TC 247 pour la prévention technique et la dissuasion contre la contrefaçon et la fraude en général . Ces normes s’inspirent largement de l’Accord AFNOR AC Z60100 de 2006. Il a également été mandaté par l’UNICRI (Institut interrégional de recherche des Nations Unies sur la criminalité et la justice) pour travailler à la création d’un forum international chargé de la lutte contre les contrefaçons dangereuses et a commencé à établir liens entre les droits des consommateurs et les droits de l’homme avec le Conseil de l’Europe. En décembre 2010 – avec le soutien de banques implantées en Suisse, du canton de Genève, de criminologues de renommée internationale et de parlementaires européens – Delval crée la Fondation WAITO : la première ONG internationale dédiée à la lutte contre la contrefaçon et chargée de mener des actions concrètes face au crime organisé et pour la protection des citoyens consommateurs. Il est nommé Président du Conseil de la Fondation, chargé de coordonner les politiques de prévention et de dissuasion contre la menace des contrefaçons dangereuses, pour le compte des Etats, des organisations internationales, des fédérations interprofessionnelles et des grandes entreprises. Depuis 2015, Pierre Delval anime une chronique dans Financial Afrik.