Entretien avec Thierry Apoteker, Président de Tac Economics et Ali Benahmed, banquier président du Jury des Financial Afrik Awards.
Face à Adama Wade, l’économiste Thierry Apoteker, président fondateur de Tac Economics et le banquier Ali Benahmed, président du Jury des Financial Afrik Awards, ont répondu à une question fondamentale que l’on oppose souvent le lendemain d’un événement brusque, sur le ton du reproche, aux agences de notation, aux cabinets d’expertise comptable et aux analystes des marchés financiers. La question est simple: la finance peut-elle encore prédire le futur ? La finance a-t-elle des instruments de prévision efficace ? De la même manière qu’on excuserait à Britney Spears de ne pas pouvoir faire du Mozart, accepterait-on des analystes qu’ils ne puissent prédire les événements marquants comme la chute de Lehman Brothers en 2008-2009 ?
“On n’a jamais su prédire le futur”, répond l’économiste en passant en revue les grands chocs globaux comme le printemps arabe, la chute de l’Union Soviétique. “La difficulté de prédire le future n’est pas nouvelle. Ce qui change dans l’incertitude structurelle sur le déroulement des scénarios, c’est la multiplication des événements attendus mais techniquement imprévisibles”, explique M. Apoker. L’on ne sait ni quand, ni comment ni où ils vont arriver. C’est le cas de la pandémie. “Cela fait vingt ans que des scientifiques, s’appuyant, dans une logique causale très convaincante, sur la densification urbaine, la réduction des zones de biodiversité, l’industrialisation de l’agroalimentaire, favorisant la transmission du virus animal à l’homme,parlent de la survenance d’une pandémie de type SRAS ou Covid-19. L’on savait mais on ne savait pas où et comment”, explique M. Apoteker qui fait là une difference entre la crise financière de 2008, prévisible en de nombreux paramètres, “que nous avions prédit”, et la crise sanitaire actuelle.
Il faut le dire, la question de la prévisibilité des phénomènes critiques ne peut ne pas être opposée à Tac Economics, une agence ayant pour fonction de traduire les enjeux macroéconomiques pour les entreprises financières, d’essayer de comprendre pourquoi les évolutions internationales affectent le choix des entreprises en combinant l’analyse fondamentale classique et l’analyse numérique, quantitative. Si les chocs exogènes de type “cygne noir” sont imprévisibles, l’évolution des paramètres quantatitatifs comme le rattrapage de l’Occident par l’Asie ne relève pas, elle, du futur.
La montée en force de l’Asie
Le poids du PIB de l’Asie dans l’économie mondiale augmente. Le phénomène est encore plus visible dans les échanges africains. En effet, l’on est passé d’une Asie représentant 17% des exportations du continent en 2000 à 40% en 2019. Pendant ce temps, l’Union Européenne a vu sa part en Afrique se retrécir, de 47% à 33%. Les deux moteurs du commerce africain sont l’Asie et le commerce régional. L’une des vertus majeures du commerce intrafricain est qu’il est beaucoup plus diversifié que les échanges de l’Afrique avec le reste du monde. L’Afrique est passé de 10 à 16% du commerce intrafricain entre 2010 et 2019. La même evolution est constatée au niveau des fournisseurs. “L’on est bien le temps où 72% des importations africaines venaient de l’Europe”, déclare Ali Benahmend.
L’évolution du risque pays dépend de la gépolitique vaccinale, elle-même dérivée des rapports de force dont la fine lecture proposée par Thierry Apoteker et à laquelle Ali Benahmed apporte un bémol en prenant l’exemple du Maroc, va au delà des déséquilibres classiques entre le Nord et le Sud. Au jour d’aujour’hui, moins de 1% des africains ont été vaccinés. C’est une donne qui risque d’affecter la reprise économique et la resilience même si l’Afrique a fait prevue, à l’exception de quelques zones, d’une capacité endogène certaine face au Covid-19.
En attendant, ces rapports de force sont visibles dans le libellé des lettres de crédit. Les banques internationales exigent dans le cas d’un pays comme le Cameroun 50% du cash collatéral avant le début de l’opération. Un déplacement de risque qui correspond à un asséchement des devises. De plus, poursuit Ali Benahmed, “le pricing est appliqué sur 100% et non 50%, une injustice qui pèse lourd en termes de devises”. Et quand elles ne fixent pas des conditionnalités extrêmes, les banques étrangères mettent en veilleuse leurs lignes de confirmation ou imposent des renouvellement des lignes de confirmation sur une base trimestrielle et non annuelle. Pourtant, le traitement de l’Afrique ne correspond pas à des situations de défauts répétés. Il s’agit souvent d’une vision conservatrice du continent où le décalage est patent entre le pricing et le risque. La perception est plus sévère que la réalité. Hormis l’Ethiopie où deux banques principales ont fait défaut, globalement tout va bien sur le reste du continent. Malgré sa situation de guerre larvaire depuis dix ans, la Libye n’a jamais eu d’impayé sur les lettres de crédit. En fait, rétorque Thierry Apoteker, il faut étendre l’analyse au sein des grandes banques, en se demandant si le financement du commerce international est encore une priorité ? “Quels sont les pays africains qui ont un niveau de réserves de la Libye ?”, lance-t-il en précisant que l’un des critères rois dans la détermination du risque pays repose justement sur les réserves de devises. Le changement de la donne dans le risque pays, la perception et d’autres paramètres objectifs ou subjectifs viendra de l’intégration régionale, levier du développement. Une conclusion partagée par les deux experts.