C’est en substance l’une des principales conclusions préliminaires de l’enquête menée par la police haïtienne sur la mort du président Jovenel Moïse, assassiné dans sa résidence privée à Pèlerin 5, près de Port-au-Prince dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021. Sa femme, grièvement blessée lors de l’attaque et qui a été évacuée en Floride pour des soins, est désormais hors de danger.
Christian Emmanuel Sanon, âgé de 63 ans, né en Haïti et qui a longtemps vécu en Floride (États-Unis), est rentré au pays au début du mois dernier. Celui qui se fait passer à la fois pour un médecin et un pasteur chrétien, se voyant il y a quelques années investi d’une mission pour réformer le pays, aurait, selon l’enquête officielle, planifié, recruté les mercenaires colombiens présumés à travers une entreprise vénézuélienne de sécurité nommée CTU, basée en Floride et ensuite dirigé le commando qui a attaqué la résidence privée du président haïtien, selon la police haïtienne qui croit qu’il serait l’un des cerveaux, sinon l’instigateur principal de l’attaque au cours de laquelle Jovenel Moïse a été sommairement exécuté, son corps criblé d’une douzaine de balles. Après son audition, Christian Emmanuel Sanon a été placé en détention.
En difficulté financière, Christian Sanon opte pour le coup de force militaire ?
Les derniers éléments de l’enquête en cours qui lève le voile sur ce personnage atypique jettent en même temps le doute sur le passé instable et trouble de Christian Emmanuel Sanon et sur les mobiles de son projet. Des révélations du Miami Herald nous apprennent notamment, après avoir creusé sur son passé, qu’il n’avait pas les moyens de financer l’opération qui a conduit à l’assassinat du président haïtien et que l’exécution de Jovenel Moïse n’était pas également dans son plan initial. Christian Emmanuel Sanon était dans une situation financière difficile aux États-Unis au chômage, sans domicile fixe, son entreprise en faillite, ce qui aurait freiné ses ambitions politiques, selon des détails révélés par le Miami Herald et n’aurait, selon le journal américain, pas pu lui permettre de financer en personne ce projet funeste. Revenu le mois dernier en Haïti, à bord d’un avion personnel en compagnie d’agents de sécurité privée de nationalités colombiennes pour assurer sa garde, Christian Emmanuel Sanon avait pour but de « procéder à l’arrestation du président haïtien et de reprendre le pouvoir…. Mais la mission a ensuite changé », révèle Léon Charles, directeur de la police nationale haïtienne en charge de l’enquête. Ce qui devait être un coup d’État militaire sans effusion de sang va se solder finalement par l’assassinat du président.
Selon les conclusions préliminaires de l’enquête menée par la police nationale haïtienne, et officiellement admise pour le moment par les autorités haïtiennes qui tiennent le pays après la disparition du président, « il s’agit d’un groupe de personnes qui s’exprimait en anglais et en espagnol, muni d’armes de guerre qui a tué le président de la République » (affirmation du premier ministre par intérim, Claude Joseph). Pour sa part, Léon Charles, le directeur de la police nationale a annoncé l’arrestation dès le jeudi 8 juillet, des mercenaires présumés que le premier ministre présentait comme des anglophones et hispanophones et comme étant les membres du commando composé de 28 hommes dont 26 ressortissants colombiens, qui ont mené le raid contre la résidence du président haïtien. « Au total, 18 mercenaires colombiens (dont d’anciens membres de l’armée) et 3 Haïtiens (dont deux de nationalité américaine) ont été arrêtés. Quatre autres membres sont en fuite tandis que trois mercenaires colombiens présumés ont été tués dans des échanges de tirs avec les forces de police haïtiennes…les armes et les matériels utilisés par les assaillants ont été récupérés », soutien le directeur de la police nationale.
Les États-Unis et la Colombie ont décidé d’apporter leurs appuis aux autorités haïtiennes sur la demande de ces dernières pour faire avancer l’enquête grâce notamment au partage de renseignements. Cette démarche aurait surtout permis aux enquêteurs de retracer le parcours des membres présumés du commando colombiens et le périple qui les a conduits jusque sur le territoire haïtien. Cela a par ailleurs permis d’identifier de manière précise l’identité et le passif de plusieurs d’entre eux. Ils auraient globalement, selon les renseignements généraux colombiens, transité en république dominicaine, au départ de l’aéroport de Bogota avant d’entrer en Haïti et d’après l’armée colombienne, les instigateurs présumés de l’attaque auraient fait recours au service de quatre entreprises colombiennes pour recruter ces hommes dont deux sont des anciens militaires, tous retraités et dont l’un est ancien membre des forces spéciales colombiennes.
La piste de la complicité interne ?
Cependant, les failles sécuritaires qui ont permis d’accéder facilement à la résidence du président, le niveau de préparation technique et financier du commando, la facilité avec laquelle Jovenel Moïse a été abattu sans résistance majeure tandis que sa femme a survécu, laissent beaucoup d’observateurs perplexes. Laissant entrevoir l’éventualité que Christian Emmanuel Sanon n’aurait pas agi seul en tant qu’architecte et soutien financier et logistique de l’attaque. Mieux, qu’il aurait probablement été aidé de l’intérieur, mais aussi depuis l’étranger. Une position qui remet en cause la version officielle.
La piste d’une complicité interne est d’autant plus persistante que le journal haïtien Ayibopost a révélé que le chef de l’unité de la sécurité générale du Palais national (USGPN), Dimitri Herard, fait « l’objet d’une enquête aux États-Unis pour trafic d’armes » tandis que les responsables de l’unité qu’il dirige ont été désarmés et placés sous surveillance. Ayibopost a même remis en cause la note vocale attribuée à la première dame, Martine Moise, qui a fait le tour de la toile et qui a notamment été relayée sur des canaux officiels le 10 juillet, notamment sur son compte Twitter officiel. Selon le journal haïtien, cet audio où l’on entend la première dame appeler » à poursuivre le combat mené par son mari » laisse suggérer, selon la conclusion des experts mis à contribution par Ayibopost, un « doute raisonnable » sur son authenticité et « pourrait avoir été manipulée ». Par qui ? La police haïtienne n’en fait pas pour le moment sa priorité. Mais toujours est-il que le doute et la suspicion vont crescendo à mesure que de nouveaux éléments tendent vers l’hypothèse d’une complicité interne, tel le fait que la maison qui a servi de lieu de séjour au commando appartienne à une dame qui serait proche des autorités gouvernementales haïtiennes.
Malgré des avancées notoires dans l’enquête et l’arrestation de l’un des cerveaux présumés de l’attaque, de nouveaux éléments viennent chaque jour alourdir le mystère autour de l’assassinat de Jovenel Moïse et sur d’éventuelles implications au sein de l’appareil Étatique. Fait troublant : Bogota a fait part de sa solidarité aux familles des présumés mercenaires tués par la police haïtienne, qui selon Radio Tele Metronome, n’auraient pas fui après l’assassinat, ou que 11 des supposés mercenaires se seraient seulement réfugiés à l’ambassade de Taïwan voisine de la résidence du président Jovenel Moïse. Une information confirmée par l’ambassade taïwanaise dans un communiqué de presse diffusé le 8 juillet 2021, au lendemain du drame.
Quatre hauts officiers de la garde rapprochée de Jovenel Moïse visés par l’enquête
Les autorités qui enquêtent sur l’assassinat veulent entendre les quatre plus hauts officiers responsables de la sécurité du président Jovenel Moïse dont le premier le numéro un, Dimitri Herard. Chef de l’Unité de sécurité générale du Palais national (USGPN), il fait l’objet d’une enquête aux États-Unis pour trafic d’armes en lien avec des sociétés de sécurité qu’il aurait créées, avec des associés américains et des membres de sa famille en flagrante position de conflits d’intérêts avec sa fonction d’officier supérieur de la sécurité présidentielle. Ces informations révélées par Center for Economic and Policy Research (CEPR) basé à Washington DC, sont corroborées par Ayibopost. Selon Radio Telemetronome, le responsable de la police colombienne Jorge Luis Vargas a également annoncé ce mardi 13 juillet, que Bogota enquêterait sur les voyages effectués par Dimitri Hérard en Colombie et dans d’autres pays de l’Amérique du Sud cette année à la suite des révélations du journal colombien Semana.
Radio Telemetronome qui cite une source proche du dossier soutient même que 21 policiers étaient présents dans la résidence du président Moïse lors de son assassinat par les supposés mercenaires. 7 agents USP, 6 USGPN et 8 CAT Team. Ces agents auraient déjà été entendus par la DCPJ, leurs armes de service et leurs portables confisqués. La chaîne américaine CNN révèle pour sa part que certains des hommes liés à l’assassinat servaient auparavant d’informateurs au FBI et à la DEA. Des Informations qui ont également été corroborées par la DEA dans un communiqué, qui confirme qu’au moins un des assaillants l’avait déjà servi effectivement de source confidentielle.
Bedford Claude, le procureur du gouvernement à Port-au-Prince, a déclaré au quotidien haïtien « Le Nouvelliste » qu’après avoir passé une journée dans la résidence du président assassiné en compagnie du juge de paix : « je n’ai vu aucune victime policière à part le président et son épouse. Si vous êtes responsable de la sécurité du président, où étiez-vous ? Qu’avez-vous fait pour éviter ce sort au président ? », ajoutant qu’il avait demandé au commissaire Jean Laguel Civil, coordinateur de la sécurité du président, une liste de tous les agents de sécurité présents à la résidence du président la nuit de l’assassinat, mais qu’il n’avait pas encore reçu de réponse. « Je dois l’avoir. Ils doivent me dire où ils étaient », persiste le chef du parquet de Port-au-Prince.
Bedford Claude a par ailleurs invité ainsi Dimitri Herard et Civil Laguel à répondre aux interrogatoires de la direction centrale de la police judiciaire à qui il a conféré une délégation de pouvoir pour les interroger sur l’affaire de l’assassinat du président Moïse ce mardi 13 et mercredi 14 juillet. Les chefs de deux autres unités de police de la sécurité présidentielle, à savoir, le responsable de la ‘’CAT Team’’, l’inspecteur Principal Amazan Paul Eddy, et le responsable de l’unité de Sécurité du Palais National (USPN), le commissaire de police Leandre Pierre Osman seront également interrogés.
L’incertitude politique plane sur Haïti
Un calme précaire règne à Port-au-Prince plongée dans une incertitude politique angoissante où le vide étatique a atteint son paroxysme. Pour le moment, c’est Claude Joseph, le ministre des affaires étrangères qui occupe le poste de premier ministre par intérim d’Haïti depuis le 14 avril 2021, suite à la démission de Joseph Joute, et qui tient les rênes du pouvoir. Il est celui qui a annoncé officiellement la mort de Jovenel Moïse. Claude Joseph semble avoir pris de la dimension pour assurer la transition en déclarant être de concert avec le Conseil supérieur de la police nationale, et en tentant de rassurer les Haïtiens à travers un appel au calme, annonçant que la situation sécuritaire du pays est sous contrôle et que la continuité de l’État sera assurée, malgré toute la confusion qui règne autour de la conduite des affaires de l’État.
Même si la constitution haïtienne de 1987 en son article 148 dispose que, c’est le premier ministre qui remplace le président en cas d’absence, Claude Joseph avait déjà présenté sa démission à Jovenel Moïse, et avait été remplacé par Ariel Henri, le 5 juillet 2021 et ce dernier était en train de former son gouvernement. Malheureusement, il n’a pas été officiellement confirmé dans ses fonctions puisque que son installation n’interviendra pas avant l’assassinat du président. Le mandat des députés avait expiré depuis le 13 janvier 2020. Le président défunt lui-même exerçait au-delà de son mandat légal ayant expiré selon la constitution haïtienne en vigueur, le 7 février 2020. Il avait considérablement affaibli les pouvoirs législatifs et judiciaires et entrevoyait l’organisation d’un référendum constitutionnel pour modifier les textes afin de se maintenir au pouvoir. Ce qui laisse place aujourd’hui à un débat qui fait rage sur qui devrait légalement être le successeur légitime du président défunt. Les institutions haïtiennes souffrantes d’illégitimité, l’actuel premier ministre est accusé par l’opposition de s’arroger le leadership de la transition de façon illégale, puisque démissionnaire, à la tête d’un gouvernement démissionnaire et exerçant pour le compte d’un régime en dehors des limites constitutionnelles.
Pour éviter d’envenimer la situation dans un pays au bord de la guerre civile avec un débat houleux sur la succession de Jovenel Moïse, la communauté internationale ne s’y est pas invitée pour le moment. Le conseil de sécurité s’est contenté d’appeler à la retenue et à travers un communiqué, a exigé à ce que « les auteurs de l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse soient rapidement traduits en justice pour ce crime odieux » tout en invitant au rétablissement rapide de l’ordre constitutionnel. Le premier ministre par intérim Claude Joseph s’est manifestement autoproclamé président de la transition en décrétant deux semaines de deuil national, soit jusqu’au 22 juillet prochain et un État de siège de 15 jours. Les médias d’État ont par ailleurs annoncé au Journal officiel que « le Conseil des ministres, sous la présidence du premier ministre exercera le pouvoir jusqu’à l’élection d’un autre président » annoncée en septembre prochain par le gouvernement. Le tout, dans un contexte d’insécurité et de violence généralisée où les bandes armées font régner la terreur sans que la police ne soit en mesure d’assurer son rôle régalien de maintien d’ordre.