Soupçonné d’avoir détourné près de 111 millions de dollars et plus de 27 millions de livres sterling en guise de compensation, destinés à 300 victimes étrangères de ce qu’on appelle en RD Congo, la « Zaïrianisation » ou nationalisation des biens et entreprises sous le régime du Maréchal Mobutu en 1970, l’ancien premier ministre et sénateur Augustin Matata Ponyo a vu son immunité parlementaire levée début juillet par le Sénat. Son nom est également cité dans le fiasco du projet de Parc Agro-Industriel de « Bukanga Lonzo » dont il est perçu comme étant « l’auteur intellectuel » avec un détournement de plus 7 millions de dollars pour l’achat de matériels agricoles. Des intrants qui ne seront jamais livrés, selon l’inspection générale des finances (IGF), un projet dont l’échec aurait coûté à l’État congolais, des dizaines de millions de dollars. Auditionné, puis placé sous mandat de dépôt, Matata Ponyo a été assigné à résidence surveillée le 13 juillet 2021.
La justice fait machine arrière
Rebondissement. La justice congolaise a décidé d’annuler son assignation à résidence seulement 24 heures après son arrestation au motif que « sa fuite n’est pas à craindre et [qu’il] répondra désormais aux invitations du parquet en homme libre » selon le parquet général.
Un « rétropédalage » judiciaire qui intervient justement au moment où le président de la RDC, Félix Tshisekedi, entamait une tournée ouest-africaine qui l’a conduit notamment le 16 juillet dernier en Guinée chez Alpha Condé, grand admirateur de Matata Ponyo dont il est le conseiller en gouvernance. Et comme par hasard, ce dernier est celui qui avait été désigné en octobre 2020 pour la supervision de la mission d’observation électorale de l’Union africaine (UA) lors de la dernière présidentielle en Guinée, et dont la mission avait validé la « régularité », ce qui avait permis à Alpha Condé de rempiler pour un troisième mandat. Le président guinéen a nommé en mars 2021, l’homme à la cravate rouge à un poste stratégique de la structure gouvernementale de la Guinée. Tellement stratégique que Matata Ponyo est le Coordonnateur de l’action gouvernementale en Guinée en dépit de l’existence du poste de premier ministre, chef du gouvernement. Égérie du concept « gouvernement autrement » initié par Alpha Condé, pour probablement donner une stature démocratique acceptée à la nouvelle gouvernance et au troisième mandat issu de la modification constitutionnelle, l’ancien premier ministre de Joseph Kabila a animé début mars de cette année, à l’intention des membres du gouvernement guinéen, un séminaire sur le même thème. Séminaire au cours duquel il a « enseigné » au gouvernement guinéen, y compris au premier ministre, chef du gouvernement, Ibrahima Kassory Fofana, des thématiques de la bonne gouvernance et de la gestion axées sur les résultats ainsi que du leadership.
L’ombre d’Alpha Condé
Ironie du sort, c’est dans ce rôle de « Monsieur leadership et bonne gouvernance d’Alpha Condé » que l’ancien premier ministre congolais a été épinglé par la justice de son pays. Obligé d’y faire face, il a inopinément écourté son séjour guinéen pour rentrer en RDC. La demande de levée de son immunité parlementaire formulée par le procureur général près la Cour constitutionnelle s’autosaisissant suite au rapport accablant de l’Inspection générale des finances (IGF) publié en novembre 2020, s’est d’abord heurtée à un refus à la mi-mai, de statuer du Sénat, pour vice de procédure; puis à un vote en séance plénière à la mi-juin, des sénateurs, sans la majorité requise pour lui retirer son immunité de parlementaire. Mais le 5 juillet 2021, les choses vont s’accélérer. Sept membres du bureau du Sénat, sous l’impulsion de son président, Modeste Bahati Lukwebo, vont se réunir pour sceller le sort judiciaire de Matata Ponyo. Profitant de l’absence des sénateurs en vacances, le bureau va prendre sur lui la responsabilité de lever l’immunité parlementaire de l’ancien premier ministre, à l’issue d’un vote à l’unanimité qui va le conduire à une assignation en résidence surveillée.
L’on est ainsi en droit de s’interroger sur ce qui a poussé le parquet de Kinshasa à rétropédaler aussi vite. Il est bien plausible que le président guinéen, Alpha Condé, y ait joué un rôle, en plaidant notamment la cause de son conseiller personnel à » la bonne gouvernance » auprès de Félix Tshisekedi qu’il considère comme son fils et dont il revendique la proximité avec le défunt père, l’opposant historique Étienne Tshisekedi. Venu à Conakry pour réaliser une promesse, celle « d’honorer Alpha Condé » après son élection à la présidence en exercice de l’Union africaine, pour dit-il, l’avoir soutenu alors opposant, Félix Tshisekedi pourrait avoir décidé d’intervenir pour alléger les conditions de traitement judiciaire du conseiller personnel de celui qu’il considère comme un « symbole » pour lui faire plaisir avant son récent séjour à Conakry, car cela peut tout à fait être dans ses cordes tout comme offrir toute la latitude à l’ancien ministre des Finances de prouver son innocence.
Par ailleurs, certains observateurs et les partisans de l’ancien premier ministre n’y voient d’ailleurs pour leur part qu’une cabale juridique sans fondement orchestrée par le pouvoir dans le but de mettre hors course, Ponyo Matata, éventuel futur challenger de Félix Tshisekedi aux échéances électorales présidentielles de 2023.