«Le développement des PMEs et le recours aux Partenariats Publics Privés seront au cœur de la nouvelle approche de développement économique»
Diplômé à l’école polytechnique de Paris, Kane Ousmane a occupé plusieurs fonctions prestigieuses au niveau international et national. Ancien vice- président de la Banque Africaine de Développement, Gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie puis ministre des Finances, l’économiste a aujourd’hui en charge le ministère de l’Economie et de la promotion des secteurs productifs. Dans cet entretien, il est question de la stratégie de relance post-pandémie en Mauritanie et, à plus long terme, de la Stratégie de croissance accélérée et de prospérité partagée ainsi que des investissements prévus, à la mesure des ambitions affichées par le président Mohamed Ould Cheikh Ghazouani.
A l’instar de la plupart des pays africains, quelles sont le grandes réformes entamées en Mauritanie pour moderniser les mécanismes de partenariat et diversifier le mode de financement de grands projets stratégiques ?
L’Afrique avait besoin de susciter beaucoup d’investissement, elle en a encore plus besoin maintenant, pour surmonter les effets néfastes de la pandémie sur l’économie mondiale. Notre pays a pris sa part de ces contreperformances, avec une baisse de 2,2% de la croissance en 2020. Dans l’urgence, il fallait faire face à l’atonie de l’économie avant d’élaborer un plan d’investissement beaucoup plus substantiel à la mesure des ambitions affichées par le Président de la République SEM Mohamed Ould CHEIKH GHAZOUANI. C’est ainsi qu’un Programme Prioritaire Elargi, d’un montant équivalent à environ 10% du PIB, à mettre en œuvre sur une période de 30 mois,a été élaboré et adopté par le Gouvernement. Il vise essentiellement à apporter un soutien aux plus affectés par les effets de la pandémie, à créer des emplois et à impulser la croissance à travers la mobilisation du secteur privé national.
Pour le moyen et le long terme, il convient de rappeler que la Mauritanie s’est dotée d’une Stratégie de développement à long terme (SCAPP – Stratégie de Croissance Accélérée et de Prospérité Partagée). Elle se met en œuvre à travers l’exécution de plans d’actions quinquennaux. Celui qui est en cours d’élaboration tirera les leçons de la pandémie et mettra en avant les priorités retenues par le Président de la République (la Croissance durable et inclusive, le Capital Humain et la Solidarité avec les moins favorisés). Cette approche se manifestera à travers un rôle accru du secteur privé en tant que moteur de la croissance et une meilleure valorisation de notre potentiel en ressources naturelles, notamment dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche.
Le développement des PMEs et le recours aux Partenariats Publics Privés seront au cœur de la nouvelle approche de développement économique. Après la création de l’Agence de Promotion des Investissements en Mauritanie (APIM), nous avons conscience que l’espace économique a besoin de disposer rapidement de fonds d’investissement, de fonds de garantie et d’un mécanisme de mise à disposition de ressources longues. Nous espérons combler ces lacunes dans le courant des prochains mois. Quant aux PPP, un nouveau cadre législatif est en place depuis février 2021. Il permet une plus grande fluidité dans le traitement des dossiers relatifs à de tels projets.
L’Etat Mauritanien a mis en place un fonds destiné à la relance économique post COVID. Pouvez-vous nous en parler ?
J’ai dit un mot plus haut sur la dimension économique de la réaction du Gouvernement aux effets de la pandémie. Pour ce qui est de la dimension sociale de cette réaction, l’Etat a mis en place très tôt un fonds spécial de solidarité et de lutte contre le coronavirus. Celui-ci est doté d’une contribution du Trésor Public et ouvert à la participation des acteurs nationaux et des partenaires au développement. Cet instrument intervient principalement dans les domaines de la santé, de l’hydraulique et de l’électricité en allégeant les charges de ces services vitaux sur les groupes vulnérables en particulier les plus affectés par les effets la COVID19. Il a permis d’accompagner efficacement les efforts déployés par le Gouvernement pour limiter les effets néfastes de la pandémie sur les conditions de vie des populations. Sa gouvernance implique les élus et les acteurs de la société civile. Des rapports bimestriels sont publiés par le Ministère des Finances, et partagés avec les services du FMI. Toutes les précautions sont ainsi prises pour assurer la transparence dans la gestion de ces ressources.
Les secteurs productifs bien que créateurs d’emplois et de croissance ont été toujours sous-estimés en Mauritanie. Qu’est-ce qu’il faut pour en faire de vrais moteurs de développement ?
Permettez-moi de m’appesantir davantage sur cette question consacrée aux secteurs productifs qui constituent les piliers essentiels de l’économie d’un pays comme le nôtre. A ce jour, des efforts couronnés de résultats ont été déployés en faveur des secteurs minier et de la pêche. Même si ces résultats sont encore bien en dessous des potentiels en question. Les gisements non exploités de minerai de fer et d’or, en particulier ; sont nombreux et en attente d’investisseurs. Une restructuration du Ministère en charge des mines met en avant la fonction Promotion du potentiel minier national. L’environnement politique et économique du pays d’une part et l’envol des cours de ces produits miniers d’autre part font espérer un regain d’intérêt des investisseurs miniers pour notre pays. De même la faiblesse de la transformation des produits de la pêche n’aide pas à la valorisation de ce secteur. La préservation du patrimoine halieutique et de l’environnemental marin ainsi que l’intégration accrue du secteur à l’économie nationale et mondiale sont des priorités du gouvernement. De même, y compris dans le cadre du Programme Prioritaire Elargi, la pêche continentale connaît un regain d’intérêt.
La nouveauté dans ce domaine est cependant la priorité accordée par le Président de la République à l’élevage et à l’agriculture. Des départements ministériels distincts ont été récemment créés en vue devaloriser au mieux le potentiel de chacun d’entre eux.
Le pays est pourvu d’un cheptel très important, plus de vingt millions de têtes. Un important fonds vient d’être mis en place par l’Etat pour appuyer le développement de la filière. L’Etat s’est organisé, sur le plan institutionnel, de façon à intervenir, au besoin, dans le processus de la valorisation des produits de l’élevage. Le système bancaire mauritanien a décidé, à travers des annonces publiques, d’accompagner les efforts du gouvernement en faveur de l’élevage par la mise en place de lignes de crédit aux conditions adaptées aux besoins des acteurs du secteur.
Quant à l’agriculture, irriguée en particulier, elle a longtemps souffert de problèmes liés à la problématique de la propriété foncière, du financement et de l’expertise. Plusieurs tentatives ont été mises en avant par les différents gouvernements qui se sont succédés à la tête du pays au cours des dernières décennies. Le résultat est là : malgré l’importance des ressources mobilisées (par l’Etat essentiellement), la contribution du secteur au PIB (moins de 5%) ou à la couverture des besoins alimentaires du pays est très en deçà du potentiel national. Cette situation n’est pas tenable. On le savait avant la pandémie ; cela est encore plus vrai avec les leçons tirées de la pandémie. Une nouvelle approche s’impose. Un partenariat clair et transparent, entre l’Etat, les populations locales et le secteur privé (national et international) est la voie retenue par le Gouvernement. La terre doit être source d’emplois de qualité et de richesses pour le pays, non un prétexte pour des divisions stériles. L’Etat accompagnera ceux qui le souhaiteront et qui se seront convenablement organisés à valoriser leurs terres, avec l’appui d’investisseurs privés (choisis avec la participation des concernés, sur la base de critères transparents), et à obtenir les certificats de propriété nécessaires. C’est la seule voie envisageable, à court et moyen terme, pour susciter un engouement international pour ces terres fertiles qui n’attendent qu’à être mises en valeur, et tourner la page du statu quo actuel.
Quels sont les vrais enjeux du projet Gazier GTA sur l’économie Mauritanienne dana les prochaines années?
C’est connu, le pays recèle de nombreux indices miniers et un potentiel gaziers important.
Le développement du projet Gazier GTA, en partenariat avec nos frères sénégalais, avance bien ; même si la pandémie a occasionné une année de retard. Les attentes sont, bien sûr, importantes. Pour le Trésor mauritanien et pour la Banque Centrale certainement. Il reste à définir un cadre propice à des retombées
importantes de GTA sur l’emploi et sur le reste de l’économie nationale. GTA ouvre en particulier des opportunités industrielles intéressantes en aval de la production du gaz.
Vous venez de créer l’agence chargée de la promotion du secteur privé. Quelles sont les incitations offertes aux PME et PMI en vue de promouvoir des champions nationaux?
La Mauritanie vient, en effet, de créer une Agence en charge de la promotion des investissements(APIM). Elle a pour missions importantes de contribuer à la mise en œuvre de la politique nationale dans le domaine de la promotion des investissements. Nous savons que les opportunités d’investissement sont nombreuses dans le pays. La création de l’APIM est une étape dans
la mise en place de tout un dispositif favorable au développement des PME/PMI dans le pays. D’autres initiatives devraient donc suivre très bientôt.
L’APIM poursuit les objectifs spécifiques suivants:
(i) Positionner la Mauritanie comme une destination d’investissements attrayante (ii) Créer des opportunités d’investissements notamment dans les secteurs productifs pour attirer le maximum d’investisseurs
(iii) Assister les investisseurs dans les démarches administratives pour la réalisation de leurs projets d’investissement y compris le bénéfice des avantages du code des investissements (iv) Assurer le suivi de la réalisation des projets d’investissements et de l’exécution des engagements souscrits par les entreprises agréées au code des investissements et (v) Faire le plaidoyer pour la création d’un climat général propice aux investissements.
Certains pays africains ont pu réussir dans le schéma des PPP. Qu’est ce qui a été fait aujourd’hui en Mauritanie pour mieux clarifier cette forme de partenariat entre le public et le privé ?
Comme vous le savez, le Partenariat Public-Privé constitue de nos jours une tendance quasi universelle ayant démontré ses performances au-delà même des sphères des pays en développement, confrontés généralement aux problèmes de financement de l’économie.
En dehors de la révision du cadre législatif qui régit les PPP, il est bon de souligner que le Ministère en charge de l’Economie a créé en son sein une Direction Générale en charge des PPP. Un travail intense est en cours pour bâtir un portefeuille de projets pouvant faire l’objet de ce type de financement. De même, des contacts tout azimut sont développés en direction de promoteurs privés qui pourraient être intéressés par des opportunités d’investissement en Mauritanie. Il faudra bâtir sur la confiance rétablie entre le pays et Arise Mauritania, le développeur d’un terminal à conteneurs dans le projet de Nouakchott.
Un commentaire
La voix vers le développement a été dans l’histoire un perpétuel recommencement pour plusieurs pays africains du fait de la politique du copier-coller des choix et des orientations économiques.
Que de ressources investies sans résultats ni sur les infrastructures, ni sur la formation de haut niveaux, ni sur le renforcement de capacités, ni sur la santé, ni sur l’autosuffisance alimentaire, ni sur l’emplois, ni sur la recherche etc. ….
Que de projets nés, mis en œuvre et clôturés sans un impact concret sur le niveau de vie, sur le développement des secteurs clés de l’économie.
La création du « Ministère des Affaires Economiques et de la Promotion des Secteurs Productifs » dont le champ englobe tous les compartiments de l’économie mauritanienne est à saluer. Seulement, la qualité des résultats attendus se mesure non dans le titre des acteurs chargés de la mise en œuvre, ni dans la quantité de fonds mobilisés mais surtout dans la pertinence des choix et des orientations économiques, dans leur contextualisation aux réalités et tissu économique mauritanien, dans leur suivi par des indicateurs pertinents prédéfinis.
La notion de secteurs productifs est relative du fait qu’un secteur productif aujourd’hui peut marquer le pas et même régresser demain. La réflexion est à étendre aux secteurs non productifs mais essentiels et qui ne demandent qu’un diagnostic et une relance pour décoller. Le champs d’intervention du Ministère est à étendre à tous les secteurs de l’économie.
La base de réflexion et des actions doit toujours être calquée sur la durabilité, la sauvegarde des acquis et leur archivage physique ou électronique afin que les générations puissent gagner du temps avec ce patrimoine d’acquis laissé à leur Actif pour une continuité à moindre coût de la mise en œuvre des affaires publiques.
La Mauritanie regorge de potentialités culturelles, énergétiques, de cadre de vie, de mines, de capacités intellectuelles, de ressources halieutiques, de potentialités dans l’aquaculture, de mémoristes hors pairs du Saint Coran, de superficie exploitables au profit du développement agricole, de l’élevage, etc….
L’optimisation de l’utilisation de ces acquis pourrait propulser le pays dans le rang des pays à haut niveau de développement et de référence.
La mise à contribution des mauritaniens de la diaspora à travers leur connaissances, leçons apprises est encore une autre aubaine à intégrer dans les stratégies de recherche de développement et de bien être des populations.