(1° Partie).
Majid Kamil est banquier, ancien diplomate et passionné de littérature. Sa chronique “Apostrophe” publiée régulièrement dans Financial Afrik, décortique l’actualité de l’Afrique et du monde à travers les dernières parutions (livres et essais).
Il y a cinquante ans, en juillet 1969, des astronautes américains marchaient sur la lune. Depuis quelques semainesle scandale « Pegasus » fait la une de l’actualité.
En ce mois de juillet 2021, ces deux évènements, en apparence éloignés, sont venus nous rappeler la longue marche de la révolution technologique, commencée il y a bien longtemps et qui, en plus d’avoir changé notre quotidien, a bouleversé l’ordre international.
L’historien Yuval Noah Harari rappelle que « trois révolutions importantes infléchirent le cours de l’histoire. La révolution cognitive donna le coup d’envoi à l’histoire voici quelques 70.000 ans. La révolution agricole l’accéléra voici environ 12000 ans. La révolution scientifiques, engagée voici seulement 500 ans, pourrait bien mettre fin à l’histoire et amorcer quelque chose d’entièrement différent » (‘’Sapiens. Une brève histoire de l’humanité’’. Ed. Albin Michel).
Désormais, nous sommes entrés dans ce que Klaus Schwab, le fondateur du ‘’World Economic Forum’’, considère comme « l’aube d’une révolution qui bouleverse déjà notre manière de vivre, de travailler et de faire société » (‘’la quatrième révolution industrielle’’. Ed. Dunod).
« Même à l’échelle des grandes étapes de l’humanité, toutes marquées par de profondes ‘’disruptions’’—chasseurs-cueilleurs, agriculteurs, puis trois révolutions industrielles : vapeur, électricité et numérique— cette révolution revêt un caractère absolument singulier », insiste Maurice Lévy (préface au livre de Schwab déjà cité).
C’est dans cette perspective qu’il faut lire la passionnante ‘’histoire des médias », sous-titrée « des signaux de fumée aux réseaux sociaux, et après’’, (Ed. Fayard), publiée récemment par Jacques Attali. Le livre, à la fois érudit et aisé à lire, décritl’évolution des techniques de l’information et de la communication, des origines à nos jours. Chaque chapitre, ou presque, démontre à quel point notre réalité quotidienne a changé, souvent sans même que nous nous en rendions compte.
Remontant aux origines, l’auteur détaille les différentes étapesde ces changements, depuis le temps ou l’information voyageait « au pas de l’homme ; parfois à la vitesse des signaux de fumée », jusqu’aux réseaux sociaux (Facebook, Linkedin, Twitter, Instagram, TikTok, WeChat). Et au-delà.
Le voyage à travers le temps (et l’espace !) dans lequel nous entraine J. Attali est fascinant. « Le premier signe écrit de communication connu aujourd’hui est un zigzag tracé sur un coquillage il y a 500.000 ans ». Trois révolutions vont tout changer vers –3300, à savoir, « la domestication du cheval, l’invention de la roue et celle de l’écriture ».
L’auteur souligne la contribution décisive de l’écriture. Née àSumer, l’écriture « cunéiforme », est dédiée aux besoins degestion ; « l’alphabet araméen » est utilisé par le roi de Persépolis, Darius 1° ; sur les bords du Nil apparaissent les « hiéroglyphes » ; puis « des esclaves hébreux inventent le premier alphabet ».
En Chine, en –221, des relais postaux sont organisés, « tous les 15 kilomètres », permettant au messager à cheval de transporter les ‘’courriers’’. Et, « au XII° siècle, le papier arrive en Occident par les arabes, qui l’ont reçu des chinois ».
Au fil des pages, l’auteur passe en revue les différents ‘’métiers’’ de l’information, dans l’histoire. Il rappelle, par exemple, que, « à partir du VII° siècle, dans ce qui est aujourd’hui le Sénégal, le Mali, la Guinée, apparaissent des crieurs, chargés de répandre les informations et les décisions importantes. On les nomme les ‘’djeli’’ ; on les nommera plus tard les ‘’griots’’ ».
Puis arrive l’imprimerie. Elle est découverte en Chine, mais n’y est pas développée. En 1448, Gutenberg entreprend de construire « une presse d’imprimerie, avec l’aide du banquier Johann Faust ».
Ce sera alors la presse écrite ; puis la photographie ; la radio ;la télévision ; le cinéma ; et ce qu’on appelle aujourd’hui les réseaux sociaux ; en attendant les nouveaux instruments. Chacune de ses étapes s’inscrit dans un contexte socio-économique exposé avec clarté par L’auteur. On découvreainsi que, dès le début, les Etats Unis ont été (et sont encore)la véritable locomotive de la révolution des technologies de l’information et de la communication.
Cependant, au-delà des progrès, J. Attali s’interroge égalementsur les risques engendrés par le développement des moyens de communication. Se référant au célèbre roman de Georges Orwell, ‘’1984’’, il note que « loin des dictateurs, le big brother moderne n’est ni une personne, ni un Etat, mais un système technique au service de quelques grandes fortunes ». Et de se demander s’il faut « se résigner à la façon dont, depuis vingt ans au moins, on a dévoyé les immenses promesses des technologies numériques ».
L’affaire Pegasus, révélée récemment par certains médias,nous rappelle que cette inquiétude est réelle. Mais, au-delà du scandale des écoutes, force est de constater que ce logiciel (parmi d’autres certainement) bouleverse les mécanismes de lacybersurveillance. Si elle n’est pas complètement obsolète, latechnique des ‘’grandes oreilles’’ pour écouter, pour espionner, apparait bien ringardisée. Grace au système élaboré par la société israélienne NSO, Pegasus peut, à distance, aspirer vos données, mettre votre téléphone sur écoute. En un clic, ou presque.
Loin des émotions légitimes, nul doute que nombre de départements de recherche et développement de sociétés de nouvelles technologies sont déjà à l’œuvre pour décortiquer le logiciel Pegasus.
Dans ‘’l’homme nu » (éd. Robert Laffont), Marc Dugain et Christophe Labbé citent Eric Schmidt, un des responsables de Google : « quand on considère l’avenir, avec ses promesses et ses défis, on voit s’annoncer le meilleur des mondes ». Etd’ajouter, « il sera de plus en plus difficile pour nous de garantir la vie privée. La raison est que, dans un monde de menaces asymétriques, le vrai anonymat est trop dangereux ».
De l’éternel rapport dialectique entre progrès et menace.
La révolution en cours est accélérée par l’intelligence artificielle. Comme l’explique le Dr. Laurent Alexandre, les technologies « NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatiques et sciences Cognitives) » vont « bouleverser l’humanité » (‘’la guerre des intelligences’’. Ed. JC Lattès). Il résume ainsi son constat, « la science du XXI° siècle (sera) structurée autour du réseau internet et de l’intelligence artificielle ».
J. Attali écrit que, « la principale puissance géopolitique d’une époque est la nation qui maitrise le mieux les moyens de communications et d’information du moment et qui sait s’en servir pour rayonner hors de ses frontières ». Aussi, une grande confrontation géopolitique est-elle désormais engagée entre les GAFA américains et les BATX chinois.
Soviétiques et américains hier, Chinois et américains aujourd’hui, se livrent un combat sans merci pour la domination technologique du monde.
Une révolution dans la révolution en somme.
« Si les rapports de l’homme aux choses (ou aux nombres) nous ont fait la grâce d’évoluer très favorablement depuis l’âge de pierre, on ne voit pas le même progrès dans les rapports des hommes entre eux. (……..) Le cybernaute a la même charpente ostéomusculaire, le même câblage nerveux, les mêmes hormones que le chasseur de mammouths – d’où un certain surplace dans les relations sujet-sujet, alors que pour l’objet, ça va de l’avant » (Régis Debray, « d’un siècle l’autre ». Ed. Gallimard).