Dans un an, plusieurs sociétés cotées à la Bourse de Casablanca devraient procéder au renouvellement du mandat de leur commissaire aux comptes ou à la désignation d’un nouvel auditeur. Quelques banques et sociétés de financement sont dans ce cas. En coulisses, la bataille est frontale entre les membres du fameux «Big four» de l’audit (PwC, Deloitte, KPMG et E & Y) et des challengers très entreprenants.
Par Abashi Shamamba.
Si pour les stars du football, la signature dans un nouveau club intervient entre début juillet et fin août, chez les commissaires aux comptes, le mercato intervient durant la saison des assemblées générales ordinaires (AGO) des sociétés. La nomination des commissaires aux comptes et le renouvellement de leur mandat se décide durant les assemblées qui se tiennent en général entre avril et juin, confirme Mohamed Hdid, expert-comptable, associé-gérant de Hdid & Associés. Le commissaire aux comptes est nommé pour un mandat de trois ans par l’assemblée ordinaire des actionnaires, celle qui approuve les comptes de l’exercice, sauf dans le cas de constitution de société où le mandat est d’un an, complète Mohamed Dami, expert-comptable. En dehors de sociétés cotées en bourse et des établissements de crédit, les renouvellements sont entourés de beaucoup de discrétion. A l’Ordre des experts comptables, seul le nombre de mandats et le secteur d’activité sont déclarés comme l’exige une directive de la profession.
En apparence calme, le marché de la certification des comptes des entreprises cotées fait l’objet d’une bataille sans merci entre les cabinets. Comme pour les phases finales d’une compétition sportive, la préparation commence longtemps à l’avance avec un focus particulier pour les mandats dont le terme se rapproche. Si pour cette année, il y a peu de dossiers à enjeu chez les sociétés cotées excepté le CIH Bank dont l’assemblée générale devrait désigner de nouveaux commissaires aux comptes ou reconduire le duo actuel des cabinets Fidaroc Grant Thornton et Coopers Audit. Leur mandat arrive à échéance à l’adoption des comptes de l’exercice 2020. Par contre l’année prochaine, le mercato risque d’être animé avec le renouvellement prévu au groupe Banque Centrale Populaire et chez CFG Bank.
Au total, le marché du commissariat aux comptes porte sur environ 4.000 mandats sur près de 350.000 entreprises, révèle Amine Baakali, président du Conseil national de l’Ordre des experts-comptables. C’est un marché trop étroit rapporté aux 780 praticiens inscrits à l’Ordre, déplore-t-il. Impossible en revanche d’avoir la moindre idée du volume des honoraires (chiffre d’affaires) de l’audit légal. Même les instances de régulation de la profession ne disposent pas de cette information. Il y a une limite à la transparence que prêchent les professionnels des chiffres à leurs clients. Même à l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale (OMPIC) où sont déposés les états de synthèse des cabinets, difficile de s’y retrouver. Pour trouver une indication des honoraires d’audit, il faut aller dans les «documents de références» de quelques rares sociétés dont Maroc Telecom qui publient les honoraires versés aux auditeurs de leurs comptes.
Sur le marché de l’audit des sociétés cotées, les membres du fameux «Big Four» (Pwc, KMPG, Deloitte et E & Y) ne règnent plus en maître comme ce fut encore le cas il y a quelques années. Ces cabinets mondiaux sont clairement bousculés par des challengers internationaux type Grant Thornton et Mazars, voire par des cabinets maroco-marocains comme Hdid & Associés entre autres.
Ce que la rotation des auditeurs change
En 2011, l’Ordre des experts-comptables avait adopté une directive qui prévoit la rotation des commissaires aux comptes dans les sociétés faisant appel public à l’épargne et les établissements publics. Cette rotation doit être effectuée au bout de 6 ans maximum pour l’associé signataire et au bout de 12 ans pour le cabinet ayant plusieurs experts-comptables. Au niveau de Bank Al-Maghrib et par dérogation aux dispositions de la loi sur les sociétés anonymes, le renouvellement du mandat des commissaires aux comptes ayant effectué leur mission auprès d’un même établissement (financier) durant deux mandats consécutifs de trois ans, ne peut intervenir qu’à l’expiration d’un délai de trois ans, après le terme du dernier mandat, et sous réserve de l’approbation de la Banque centrale.
Pour les autres sociétés autres que publiques et celles faisant appel public à l’épargne, les auditeurs externes étaient jadis nommés pour un mandat de 3 ans, renouvelable sans limitation. Le législateur a mis fin à ce «mandat à vie». La loi sur la SA publiée le 14 juillet dernier limite désormais à un maximum de quatre mandats consécutifs, soit 12 ans, la mission du commissaire aux comptes pour les sociétés cotées et celles faisant appel public à l’épargne. Au terme de cette durée, les auditeurs concernés doivent observer une période de latence de 4 ans avant de pouvoir certifier les comptes de mêmes sociétés.
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Entretien avec Amine Baakili, président de l’Ordre marocain des experts comptable
Le combat de la profession contre la déflation des honoraires
La lutte contre la baisse continue des honoraires de prestations d’audit légal est l’un des chantiers d’Amine Baakili (photo) président du Conseil national de l’Ordre des experts-comptables. Les entreprises pressent toujours à la baisse le niveau de rémunération de commissaires aux comptes en mettant en avant les gains de productivité induits par la technologie. Pour les missions d’audit contractuel dans le secteur public, la guerre des prix résiste pour l’instant à la directive de l’Ordre.
Financial Afrik: Le recours à la mise en concurrence est-il systématique pour la désignation du commissaire aux comptes dans les entreprises marocaines ?
Amine Baakili : Les commissaires aux comptes sont légalement désignés par les actionnaires ou associés au niveau de l’assemblée générale. Dans les faits, pour les missions d’audit dans les établissements publics, le commissaire aux comptes est souvent sélectionné par une procédure d’appel d’offre ouverte à tous les cabinets. Dans les entreprises privées, les mandats font l’objet généralement d’une concurrence à travers une présélection sur la base de consultations ouvertes ou restreintes de plusieurs cabinets susceptibles d’offrir la prestation, de disposer des moyens humains, et ressources techniques nécessaires. Lorsque l’entreprise dispose d’un comité́ d’audit, c’est le cas des sociétés cotées, ce dernier, a pour rôle également d’examiner le processus de sélection des auditeurs externes et de s’assurer de leur indépendance.
Comment procèdent des groupes comme Maroc Télécom, l’OCP et les multinationales opérant au Maroc pour désigner leur auditeur ?
Les grands groupes utilisent soit la procédure d’appel d’offre ouverte à tous les cabinets ou comme expliqué ci-dessus à une présélection sur la base de consultations ouvertes ou restreintes de plusieurs cabinets susceptibles d’offrir la prestation. Pour les entreprises filiales de multinationales, le choix se fait souvent par le siège qui fait appel à une consultation internationale pour le choix des auditeurs. Ce marché est concentré essentiellement au niveau des grands cabinets qui sont moins d’une dizaine au total.
Il y a lieu de signaler qu’en France le co-commissariat aux comptes laisse toutefois la possibilité aux grandes entreprises de choisir de nommer un commissaire aux comptes membre d’un grand réseau aux côtés d’un commissaire aux comptes issu d’un petit cabinet, ce qui a permis le développement de cabinets nationaux de taille significative.
La déflation des honoraires sur les missions d’audit constatée ces dernières années s’est-elle estompée ?
Les honoraires des missions d’audit ont connu une baisse continue ces dernières années par le fait de la concurrence entre cabinets. Cette déflation a été importante au niveau du secteur public au point que plusieurs cabinets refusaient de répondre à des missions d’audit dans le secteur public compte tenu du décalage important entre le budget des honoraires fixé par les établissements publics et le budget normal qui permet à l’expert-comptable d’effectuer l’ensemble des diligences requises avant d’émettre son opinion d’audit (qui peut être 10 fois supérieur).
Cette situation a été une grande préoccupation pour notre profession, compte tenu des impacts que pourrait avoir cette déflation sur la qualité des travaux du commissaire aux comptes, en sachant que sa mission joue un rôle clé dans la préservation du climat de confiance entre actionnaires et dirigeants. A cet effet, je rappelle que l’Ordre des experts comptables a agi sur deux leviers pour préserver la qualité des missions d’audit : le premier est celui de la mise en place d’un budget temps minimum que le commissaire aux comptes doit consacrer à l’audit des comptes des sociétés en fonction de leur taille et activité. Le second levier a été celui de l’instauration d’un taux horaire moyen minimum que les experts comptables doivent respecter pour l’estimation de leurs honoraires. La mise en place de ce deuxième verrou étant récente, nous n’avons pas encore pu mesurer son impact. Néanmoins, nous avons déjà pu observer sur certains cas dans le secteur public, que les honoraires reviennent à un niveau normal.
Propos recueillis par A.S.