« LA BOAD continuera de soutenir le développement des champions bancaires régionaux »
Dans le cadre de notre dossier « Les 30 banques africaines à fort impact régional », paru dans le numéro 82 du mensuel Financial Afrik, Serge Ekué, président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), a signé cet éditorial exceptionnel où il réaffirme l’engagement de l’institution dans l’accompagnement des champions bancaires régionaux. Exclusif.
Chantier phare de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine, l’Accord pour l’établissement d’une Zone de Libre Échange Continentale Africaine (ZLECAf) est entré en vigueur le 1er janvier 2021. C’est la concrétisation d’une ambition politique africaine lancée en juillet 2015 dans le domaine de l’intégration et du développement, prolongeant ainsi les ambitions portées par le plan d’action de Lagos (PAL) adopté en 1980 par l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) devenue Union Africaine (UA), qui visait à établir une véritable communauté économique Africaine. L’objectif visé est d’augmenter de 52% environ les échanges commerciaux intra-africains voire les doubler, par l’élimination des droits de douane et des barrières non tarifaires, favorisant ainsi la libre circulation des personnes et des biens et créant un marché unique de 1,3 milliard de consommateurs, représentant un Produit intérieur brut (PIB) d’environ 2 220 Mds de dollars (1) . Il s’agit là d’une véritable opportunité pour l’Afrique de sortir 30 millions d’Africains de l’extrême pauvreté et d’augmenter les revenus de près de 68 millions d’autres personnes qui vivent avec moins de 5,50 dollars par jour. Pour le secteur privé africain (entreprises et industries), maillon essentiel de création de valeurs et d’emplois, la ZLECAf entend jouer un rôle de catalyseur d’investissements, d’innovation et de transfert de technologie dans tous les secteurs d’activités. Elle devrait favoriser la diversification et la spécialisation dans le secteur en vue de renforcer sa compétitivité et réaliser des économies d’échelles (2). Bien entendu, les Etats doivent y jouer le rôle- clé d’acteur de facilitateur et de régulateur, en promouvant et renforçant un climat des affaires propice et concurrentiel (lever des contraintes règlementaires, renforcement des mesures visant l’assainissement du cadre des affaires). Il s’agit d’une condition préalable à l’attrait du continent pour les investisseurs étrangers. Le secteur bancaire demeurera un acteur stratégique des entreprises et Etats africains dans la mise en œuvre de la ZLECAf, en répondant notamment à leurs besoins au niveau de deux composantes complémentaires, à savoir les infrastructures et le développement des chaines de valeur.
Financer les infrastructures structurantes pour faciliter le commerce et l’intégration des marchés
L’intégration africaine se trouve affectée par l’insuffisance d’infrastructures de qualité notamment dans les domaines du transport, de l’énergie et du numérique. Elle subit en outre l’absence d’intégration financière et la persistance de l’étroitesse de marché, aussi bien en termes de création de richesse que de pouvoir d’achat des consommateurs. Relever le défi du déficit en infrastructures est une condition préalable à la réussite de la ZLECAf car celles-ci favorisent la mobilité des facteurs (personnes, biens et services, technologies) et l’éclosion de marchés de taille régionale. Le renforcement des infrastructures demande néanmoins la disponibilité de ressources longues et stables (3) en vue du financement de projets structurants d’envergure. Or, le système bancaire africain, caractérisé par des institutions fragmentées et aux capacités limitées avec de fortes disparités technologique et culturelle, ne répond que partiellement aux besoins de financement du continent. Même si les banques présentent globalement un excédent de ressources, elles ont en revanche des difficultés à obtenir des fonds à long terme qui leur permettraient de financer les investissements sur des durées suffisamment longues. C’est ce qui justifie l’arrivée sur le continent de majors internationaux du domaine, disposant de ressources surabondantes à moindre coût et de longue maturité, et en quête de projets générant des revenus plus importants.
De surcroît, face au rétrécissement progressif de la marge d’intermédiation bancaire, la concurrence s’exacerbe pour les banques africaines qui n’ont pas la taille critique par rapport à leur homologue du Nord. La crise de la Covid-19 a encore aggravé cette situation. D’où le besoin absolu d’encourager les processus de consolidation bancaire et d’appuyer l’émergence de champions bancaires africains, pouvant concurrencer ceux du Nord en captant à leur tour une part importante des revenus issus des financements de projets d’infrastructures (routes inter-Etats, ports, chemin de fer, aéroports, énergie, TIC et digitalisation) et améliorer leur performance financière. L’idée de développer les champions bancaires africains a fait son chemin sur le continent mais reste toujours d’actualité compte tenu du contexte économique et sanitaire. Connaissant mieux les réalités locales, les champions bancaires africains pourraient adresser une taille de marché plus importante en drainant plus de ressources financières longues notamment sur les marchés de capitaux et des capacités technologiques pour le financement du commerce et de l’industrie. Avec une capacité financière accrue, ils pourraient contribuer au financement des projets/programmes régionaux (en PPP notamment) dans une dynamique de relance post-covid des secteurs d’activités. Tirant les leçons de la crise sanitaire, ils pourraient par exemple aider à la mise en place d’industries pharmaceutiques sur le continent, pour la production de vaccins.
Financer les chaînes de valeurs pour transformer localement les matières premières africaines
Pour amplement jouer le rôle qui est le sien dans la mise en œuvre de la ZLECAf, le secteur bancaire africain est particulièrement attendu pour i) financer l’innovation et la recherche en vue de promouvoir un écosystème d’entreprises viables et compétitives et ii) financer les maillons manquants des chaînes de valeurs régionales dans l’agriculture, et l’industrie en vue de renforcer le commerce intra-africain (importations/exportations de biens et services). Sur ce dernier point, il convient de noter que selon les résultats d’une enquête de la Banque Européenne d’Investissements (BEI) auprès de groupes bancaires africains4 en 2020, ceux-ci accordent une importance grandissante au financement des chaines de valeurs de l’industrie manufacturière et de l’agriculture dans leurs portefeuilles de prêts. Cela sera de nature à renforcer la création d’emplois et de richesses. Pour y parvenir, il est primordial d’améliorer l’infrastructure financière en Afrique notamment la digitalisation des systèmes d’information du crédit bancaire et des registres de garanties, le soutien aux PME qui représente environ 80% des entreprises en Afrique, l’inclusion financière des femmes et des jeunes, ainsi que l’essor des marchés de capitaux (bourse, notamment) pour disposer des ressources longues.
Soutien de la BOAD en faveur du système bancaire et financier de l’UEMOA
Dans une logique de complémentarité, et obéissant au principe de subsidiarité, la BOAD continuera de soutenir le développement de champions bancaires régionaux en vue de contribuer à l’amélioration de leur efficacité opérationnelle. Ce soutien se matérialise à l’heure actuelle sous trois formes principalement, à savoir :
-i) les co- financements de projets et l’octroi de lignes de refinancement,
-ii) les prises de participation,
-iii) les dépôts à terme.
En ce qui concerne le premier volet, la Banque intervient dans le financement d’opérations d’envergure dans le cadre de syndications de financements avec le système bancaire local. Ces opérations sont également une occasion pour la BOAD de partager son expérience et ses expertises en matière de financement d’infrastructures. Plusieurs projets d’énergies et de production ont été financés sous ce format : SOMAÏR5 (9,45 Mds FCFA), COMINAK6 (12 Mds FCFA), AZITO (32,5 Mds FCFA), CIPREL (65,5 Mds FCFA), projets d’interconnexion électrique (114,6 Mds FCFA).
S’agissant de lignes de refinancement, la Banque aurait mis en place un montant global de 517,4 Mds FCFA pour refinancer le portefeuille de prêts bancaires au profit d’entreprises du secteur privé (MPME, grandes entreprises) : Orabank : 25 Mds FCFA, Coris Bank International : 59, 7 Mds FCFA, NSIA Banque : 30 Mds FCFA, BDU : 5 Mds FCFA. S’agissant du second volet, relativement aux prises de participation, la BOAD s’emploie à l’appui aux banques de sa zone d’intervention, sans pour autant s’interdire de soutenir des entreprises privées à caractère stratégique. A ce titre, sa présence dans le capital desdites entités correspond à un niveau d’investissement global de 176,7 Mds FCFA dont 44,4 Mds dans les banques (Orabank, Afreximbank, BDU, etc.), 35,3 Mds dans les entreprises (Asky, Air CI , etc.) et 97 Mds FCFA dans les fonds d’investissement d’envergure régionale notamment AGF (ex fonds GARI), les fonds Amorçage et Infrastructures, le fonds agricole pour l’Afrique, le fonds africain pour les énergies renouvelables (FAER), Yellen fonds financier, Cauris croissance et Cauris investissement, etc.
Par ailleurs, la Banque est actionnaire dans les principales structures d’animation du marché financier régional de l’UEMOA notamment SOAGA (218 M FCFA), CRRH-UEMOA (1,5 Md FCFA), BOAD Titrisation (500 M FCFA), BRVM (280 M FCFA), DC/BR (140 M FCFA), Banque Régionale des Marchés (400 M FCFA). Sur le troisième volet, la BOAD met constamment en œuvre une stratégie de dépôts à terme d’une partie de ses liquidités auprès du système bancaire local. Ce qui permet de renforcer les ressources stables des banques et d’accroître ainsi leur capacité d’intervention. Sur les cinq (05) dernières années par exemple, l’encours des placements de cette nature s’établit à 100 Mds FCFA en moyenne. En perspective et dans le cadre de son Plan stratégique DJOLIBA 2021-2025, la BOAD compte apporter son appui à la création et à la consolidation des groupes bancaires africains compétitifs. Elle restera également attentive au renforcement de leur solidité financière et à l’accroissement de leur capacité d’intervention dans la région