Le magnat des BTP Mahamadou Bonkoungou, patron du groupe Ebomaf (Entreprises Bonkoungou Mahamadou et Fils) en activité en Afrique de l’Ouest, notamment (en 2014) en Guinée et qui affiche également des ambitions continentales dans le secteur bancaire africain et celui de l’assurance (au Burkina Faso, à Djibouti et au Togo) vient d’acquérir une «autorisation d’exploitation» d’une mine d’or en Guinée. Cette information non officielle ni au Burkina Faso ni en Guinée, et qui a fait la une de plusieurs journaux ouest-africains a, en réalité, fuité par le biais d’un proche du patron d’Ebomaf. Et les médias qui l’ont pratiquement relayé en boucle n’ont pas été en mesure de préciser le domaine minier attribué à Ebomaf, ni les contours liés à l’attribution de son titre minier.
«Ebomaf va exploiter l’un des plus importants sites miniers d’Afrique. Le démarrage des travaux de la construction est prévu avant la fin de l’année et le premier lingot d’or pourrait être attendu en début 2023», s’est contenté de relayer la presse, citant la source anonyme proche du milliardaire burkinabé.
Pour sa part, «Financial Afrik» a essayé d’en savoir un peu plus sur cette «autorisation d’exploitation d’une mine d’or en Guinée», mais s’est heurté à l’omerta au ministère guinéen des Mines. Le projet est officieusement admis au sein du département reconnait-on sans plus de précisions. Aucun communiqué officiel, ni du ministère, ni du Centre de promotion et de développement miniers (CPDM) qui gère les procédures de délivrance des titres miniers et qui, par ailleurs est le guichet unique de l’investisseur minier.
L’information qui a fuité du côté du Burkina parle d’une «autorisation d’exploitation», le CPDM étant l’organe qui a forcément eu à gérer la délivrance de cette «autorisation d’exploitation» conformément à ses prérogatives et à la législation minière guinéenne en vigueur. Le code minier guinéen que nous avons consulté prévoit 5 principaux types de titres miniers (l’autorisation de reconnaissance, le permis de recherche, le permis d’exploitation, la concession minière, le permis d’exploitation artisanal). Parmi ces 5 catégories, le permis d’exploitation est celui qui se rapproche le plus à l’information qui a fuité.
Selon la procédure définie par le CPDM, la demande d’obtention du permis d’exploitation est faite à l’adresse du ministère des Mines. Ensuite, la compagnie qui souscrit à cette demande doit fournir des études détaillées du gisement ou domaine d’exploitation convoité, notamment : le contexte géologique ; la carte du gisement ; les réserves géologiques prouvées et exploitables ; la répartition des teneurs ; le plan de développement et d’exploitation et l’étude de rentabilité ; les mesures de sécurité ; l’impact socio-économique de l’opération ainsi qu’une étude d’impact environnemental avec un plan de réhabilitation des sites validé par le Bureau guinéen d’études et d’évaluations environnementales (BGEEE). Ce bureau relevant du ministère de l’Environnement, des Eaux et Forêts a notamment pour rôle, dans le cas spécifique de l’attribution des permis d’exploitation minière, de : préparer et soumettre à l’approbation du ministère chargé de l’environnement les certificats de confirmé environnementales, attestant de la conformité d’un projet avec les normes environnementales inscrites dans le plan de gestion environnemental et social mais aussi de veiller à la politique d’indemnisation concernant la protection des droits économiques et sociaux des populations riveraines en cas d’expropriation de leur biens pour cas d’utilité publique ainsi que sur la faisabilité environnementale des projets miniers.
Toutes ces étapes ou études ont-elles été validées par Ebomaf pour pouvoir bénéficier du permis d’exploitation d’une mine d’or ? Au moment où l’information qui a fuité annonce déjà « le démarrage des travaux de la construction (des infrastructures industrielles) qui est prévu avant la fin de l’année (nous sommes à seulement 4 mois de la fin de l’année) » et projette une date pour « la production du premier lingot d’or qui serait prévue en début 2023 », toutes les données liées au projet mais aussi à l’étude d’impact social, économique et environnementales devraient être à cette étape présentées en audience publique comme le prévoit le code minier avant d’être avalisées par les structures compétentes et largement diffusées par les canaux officiels. Il ressort de nos investigations qu’un flou total entoure l’attribution à Ebomaf de son autorisation d’exploitation, il en est de même pour le site du gisement faisant l’objet de cette future exploitation aurifère.
S’agirait-il des sites potentiels de Kounsitel ?
Cette nouvelle tombe dans un contexte où le chaos règne dans la localité abritant les supposées « mines d’or » découvertes début juin dernier par les habitants de Kounsitel au nord-ouest du pays. Ce qui a déclenché une ruée vers l’or sans précédent dans cette localité et qui, aujourd’hui encore, est en proie à l’invasion des orpailleurs clandestins et anarchistes, poussant le ministère des Mines, sur instruction du président Alpha Condé, à réquisitionner le site afin de lancer des études géologiques approfondies pour confirmer les indices de la présence de filons d’or dans le sous-sol de Kounsitel.
Serait-ce, ce site qui a été attribué à Ebomaf ? C’est une piste qui pourrait s’avérer crédible, puisque le gouvernement guinéen n’aurait aucun intérêt à divulguer cette information au risque d’aggraver la situation sécuritaire déjà suffisamment instable sur place. En effet, trois mois après le début de la ruée et malgré toutes les interdictions, la fièvre de l’or n’a pas encore baissé à Kounsitel.
Quid de l’expérience minière d’Ebomaf ?
Reconnue en général dans les BTP et solidement implantée en Afrique de l’ouest, Ebomaf n’en demeure pas moins un novice dans les mines industrielles. L’on se demande par quel subterfuge Mahamadou Bonkoungou s’est retrouvé avec un permis d’exploitation pour «l’un des plus importants sites miniers d’Afrique» comme le soutient son proche qui a balancé l’information de façon voulue ou par maladresse. Quels sont les mécanismes financiers, les partenariats stratégiques et les préalables procéduraux du code minier guinéen qui ont permis de conclure cette acquisition ? Beaucoup d’interrogations restent pour le moment sans réponse, vu le blackout qui entoure cette « autorisation d’exploitation ».
L’expérience guinéenne
La société de Mahamadou Bonkoungou a un passif lourd en Guinée. Son nom est associé à un scandale financier de «surfacturation» dans un contrat de réhabilitation d’une route nationale en Guinée. En juin 2014, l’État guinéen avait en effet confié à Ebomaf, la réhabilitation de l’axe routier «Kankan-Kissidougou», censée relier la haute Guinée et la Guinée forestière. Un projet routier pharaonique d’une longueur de 194 km, évalué à plus de 300 millions de dollars sur financement du budget national de développement (BND). Le chantier ne sera jamais livré car les travaux ne seront pas effectués. Le comble, c’est que, la société Ebomaf va percevoir le paiement de 65 millions de dollars sur le BND pour des travaux jamais effectués. Pire, des cadres du ministère des Finances de l’époque vont faire un usage disproportionné des autorisations de paiement (AP) en violation des procédures classiques d’ordonnancement et de suivi des circuits financiers et Ebomaf va percevoir réellement ou fictivement la bagatelle de 185 millions de dollars sans respecter ses engagements contractuels. Après avoir été bien servi, Ebomaf va plier bagage et partir.
Les dirigeants de l’entreprise Ebomaf justifiaient à l’époque l’arrêt des activités par une demande de « réaménagement du projet » par le gouvernement qui va coïncider avec la saison pluvieuse, non propice pour l’exécution des travaux. « Ils nous disent qu’ils n’ont pas d’argent et que désormais, au lieu du bitumage des 194 Km, qu’il faut faire 40 Km en bitume et le reste en terrassement » justifiait à l’époque, Jean Onibon, le directeur des travaux d’Ebomaf Kankan, interrogé par Guinée News. « Quelques temps après, toujours par rapport au même contrat, ils reviennent pour dire qu’ils n’ont pas d’argent et que désormais, il faut faire 20Km de bitume et 40 Km de terrassement. On a toujours accepté sans pour autant perdre de vue que c’est nous qui perdons au regard de l’investissement fait dans le matériel déployé sur le terrain », avait regretté ce cadre d’Ebomaf.
Motif officiel de l’échec du projet invoqué par le gouvernement : Ebomaf a préfinancé une partie de l’amorçage du projet, il fallait lui rembourser. Au même moment, selon les officiels guinéens, le Fonds monétaire international (FMI) exigeait de sursoir au financement de ce projet budgétivore qui coutait plus de 300 millions de dollars sous peine de priver la Guinée de la revue avec la Facilité élargie de crédit (FEC) en 2014. Selon le gouvernement, c’est la raison qui l’a poussé à abandonner le projet estimant que le pays avait plus à perdre en ne bénéficiant plus du quitus du FMI pour d’autres financements si jamais il était recalé à cause de ce projet. L’ancien ministre des Travaux publics, Moustapha Naité, qui est, il faut le préciser, postérieur à cette gestion, a reconnu l’année dernière qu’une partie du financement d’amorçage avait été mobilisée par Ebomaf, mais il n’a pas défini à quelle hauteur la société burkinabè avait préfinancé cet amorçage.
Il ressort que l’affaire Ebomaf aurait court-circuité toutes les procédures ordinaires de diligence des paiements financiers, bénéficiant d’une procédure exceptionnelle, généralement consentie pour les dépenses des forces armées ou de souveraineté d’État (les autorisations de paiements, AP) et le tout dans un cadre extrabudgétaire qui faussait les prévisions de la loi des finances. Reconnu comme proche des cercles présidentiels africains et accusé à maintes reprises par l’opposition guinéenne d’être en collision avec la galaxie présidentielle, Mahamadou Bonkoungou a empoché via sa société Ebomaf, au total, grâce à ces procédures de paiements exceptionnelles, la bagatelle de 185 millions de dollars sur le BND pour des travaux jamais réalisés. L’opposition guinéenne va même dénoncer des mécanismes de surfacturation (le km carré aurait été facturé jusqu’à 1 million 500 mille euros).
À l’époque, Fodé Oussou Fofana, vice-président du principal parti d’opposition guinéenne, l’UFDG, révélait que cette «gabegie financière» avait à l’époque entrainé des conséquences sur la finance publique. «Le financement de ces contacts de marchés surfacturés sur le BND sans appel d’offres et avec des lettres de garantie avait pour conséquence l’endettement excessif de l’État auprès du système bancaire à hauteur de 1.735 milliards contre un objectif de zéro à fin décembre 2015 qui a provoqué une expansion de la masse monétaire et la hausse de l’inflation », avait-il dénoncé.
De l’échec retentissant d’un projet routier à la mine d’or industrielle ?
Ainsi donc, pourrait-on se demander, comment une entreprise qui s’est associée à ce fiasco mémorable chez les Guinéens, associant son image à l’un des plus gros scandales financiers de ces dernières années, a-t-elle pu bénéficier d’une autorisation d’exploitation de «l’un des plus importants sites miniers d’Afrique» ? La question reste posée. Si rien n’explique les incohérences relevées suite à l’expérience d’Ebomaf dans le pays, et le manque de transparence évident dans le processus de la délivrance de l’autorisation d’exploitation dont la société serait le titulaire.
A partir de là, on peut se faire une idée et comprendre l’omerta qui règne au tour de cette acquisition « underground », visiblement contraire aux prescriptions de transparence du code minier guinéen liées aux procédures de délivrances des permis d’exploitation minière en vigueur au CPDM.