ce que l’Afrique peut gagner de la fin des paradis fiscaux
Propos recueillis par Abashi Shamamba.
Le traité conclu début juillet dernier sous l’impulsion de l’OCDE et du G20 marque une rupture dans la lutte contre l’évasion fiscale à l’échelle internationale. C’est l’accord multilatéral le plus ambitieux depuis un siècle, assure Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE. C’est la cheville ouvrière de cet accord pour avoir piloté et coordonné les négociations difficiles entre Etats. Avec cette convention, ce sont plus de 100 milliards de dollars captés par les multinationales via des montages sophistiqués qui devraient être réaffectés chaque année aux Etats. Par ailleurs, l’accord institue aussi le principe d’un taux minimum d’au moins 15% sur les bénéfices de multinationales au niveau mondial. Cela devrait générer environ 150 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires par an pour les Etats. L’accord entrera en vigueur en 2023. Les jours des paradis fiscaux sont comptés.
Financial Afrik : En quoi l’accord sur un impôt mondial minimum de 15% signé début juillet à l’OCDE est-il historique ? Il semble qu’il reste des trous dans la raquette car certains pays ont prévenu qu’ils ne le signeraient pas.
Pascal Saint-Amans : Avant de vous expliquer pourquoi cet accord – qui met fin à plus de 40 ans de course au moins-disant fiscal – est historique ; il faut rappeler qu’il porte sur deux piliers. La proposition du «Pilier 1» réforme des règles centenaires et donne aux pays de marchés un nouveau droit de taxer les grandes multinationales et les plus profitables – gagnantes de la mondialisation – quelle que soit leur présence physique dans ce territoire. La proposition sur le «pilier 2» se rapporte à votre question et à l’instauration d’un taux d’imposition minimum de 15%. Le pilier 2 établit un plancher à la concurrence fiscale entre pays et un arrêt à la course au moins-disant fiscal.
Maintenant, pourquoi cet accord est historique ? À ce jour, ce sont 133 pays et juridictions, ce qui est considérable, qui se sont engagés à mettre en place cette réforme, ce qui réduira considérablement la possibilité pour les entreprises de tirer profit des distorsions fiscales entre les pays afin de réduire leur charge fiscale globale. Il est évidemment souhaitable que l’ensemble des 139 pays membres du Cadre inclusif OCDE/G20 rejoignent l’accord et l’OCDE continue de travailler en ce sens. Parmi les membres du Cadre inclusif qui n’ont pas encore rejoint l’accord, tous restent engagés dans les négociations à l’image du Kenya et du Nigeria, et certains, comme l’Irlande, ont déjà évoqué publiquement la possibilité de se joindre aux 133 membres déjà engagés. Il est toutefois important de préciser que même en l’absence d’un consensus total au niveau du Cadre inclusif, la mise en œuvre effective de cet accord ne serait pas remise en cause.
Il reste à fixer les modalités d’application. Quelles en sont les grandes lignes a priori et les points qui pourraient poser des difficultés ?
L’agenda pour la mise en œuvre de cette réforme est très ambitieux, et les 133 membres ont convenu de mettre en œuvre les deux piliers dès 2023. La prochaine étape est dans quelques semaines. En effet, il reste encore quelques points importants à finaliser en octobre, tels que les modalités précises et certains paramètres, ainsi que le plan de travail pour la mise en œuvre de la réforme.
Concrètement, que peuvent attendre les pays africains de cet accord et que peut faire l’OCDE pour renforcer les capacités de leurs administrations fiscales ?
Les pays africains, comme tous les pays et juridictions signataires, peuvent attendre en premier lieu de cet accord un gain de recettes fiscales. Avec le Pilier Un, ce sont plus de 100 milliards de dollars de bénéfices qui devraient être réaffectés chaque année aux juridictions de marché. Avec le Pilier Deux et en considérant un taux minimum d’au moins 15%, l’impôt minimum mondial devrait générer environ 150 milliards de dollars de recettes fiscales mondiales supplémentaires par an. Des avantages supplémentaires découleront également de la stabilisation du système fiscal international et de la sécurité fiscale accrue pour les contribuables et les administrations fiscales. L’existence de paradis fiscaux ainsi que l’optimisation fiscale agressive mise en place par certaines entreprises entraînent un manque à gagner pour les administrations fiscales et cette réforme vient donc y remédier. S’agissant du renforcement des capacités, l’OCDE met en place un certain nombre d’initiatives telles que le programme Inspecteurs des impôts sans frontières (IISF), mené conjointement avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), et qui permet aux États bénéficiaires d’être assisté dans des contrôles fiscaux par des inspecteurs étrangers. L’OCDE concentre également ses efforts sur le renforcement des capacités dans les industries extractives, en partenariat avec le Forum intergouvernemental sur l’exploitation minière, les minéraux, les métaux et le développement durable (IGF) et l’ATAF.
A vous entendre, cet accord va définitivement en finir avec les paradis fiscaux ?
Un des objectifs de cet accord est effectivement de mettre fin aux paradis fiscaux en fixant des limites convenues multilatéralement à la concurrence fiscale entre les États, pour ne garder qu’une concurrence saine entre les États. Le dispositif vise à protéger la base taxable des États, à la fois de la concurrence fiscale non régulée entre les États mais aussi des stratégies basées sur les distorsions fiscales entre les pays utilisées par certaines entreprises multinationales afin de réduire injustement leur charge fiscale globale.
Il paraît que des pays ayant une importante diaspora en Europe comme la Turquie, le Maroc ou la Tunisie auraient posé des réserves sur la convention sur l’échange mondial des renseignements à des fins fiscales en y excluant des pays de résidence de leurs citoyens (France, Belgique, Pays-Bas, etc). Cela peut-il conduire l’OCDE à placer ces Etats dans la liste des paradis fiscaux pour non-coopération ?
La Convention sur l’Échange de renseignements à des fins fiscales est pleinement en vigueur en Turquie, au Maroc et en Tunisie et ces pays peuvent donc échanger des renseignements avec l’ensemble des autres juridictions partie à la Convention sous réserve des modalités pratiques d’activation des relations, ce qui inclut notamment les pays européens signataires.
En application de la Convention, les échanges peuvent être automatiques, spontanés ou avoir lieu sur demande, sans aucune réserve possible tant s’agissant de la mise en place de l’échange d’informations que du pays avec lequel l’échange a lieu. Les pays de résidence tels que la France, la Belgique ou les Pays-Bas ne sont donc pas exclus de ces échanges.
Concernant l’échange automatique de renseignements, la Turquie a mis en place cet échange d’informations sur les comptes bancaires détenus par des non-résidents en application de la norme commune de déclaration OCDE/G20 et s’est engagée à participer pleinement aux échanges automatiques annuels. Le Maroc s’est engagé à mettre en œuvre l’échange automatique en application des normes de déclaration commune dès 2022. Quant à la Tunisie, elle s’est aussi engagée dans cette voie mais sans date précise. Il n’est donc pas question de placer ces États sur la liste des paradis fiscaux pour non-coopération.
Quels premiers retours avez-vous de la mise en œuvre du BEPS ?
Les retours sont très positifs. L’année 2021 marque le cinquième anniversaire du début du déploiement du projet BEPS. Il ne fait aucun doute que la mise en œuvre du projet BEPS a permis d’améliorer la transparence et la cohérence du système fiscal international mais également de mieux aligner les droits d’imposition sur la substance économique. La mise en œuvre se poursuit à bon rythme malgré les difficultés entraînées par la crise du Covid-19. Enfin, les processus d’examens par les pairs ainsi que la revue programmée des standards minimum au bout de cinq ans sont autant d’outils qui contribuent à renforcer l’efficacité du projet BEPS.