« Les réserves officielles de change ont enregistré une progression d’environ 40% »
Monsieur Cheikh El Kebir Moulaye Taher, diplômé d’économie et des sciences de gestion, est un pur produit de la Banque Centrale de Mauritanie où il a eu à gravir tous les échelons. Il a débuté sa carrière professionnelle comme chef service au sein de cette prestigieuse institution et a occupé, tour à tour, les postes de directeur, conseiller, directeur général et Gouverneur Adjoint. Dans sa riche carrière, il a eu également à occuper d’importantes positions au niveau de différents Gouvernements en étant Ministre de l’Emploi, de l’Insertion et de la Formation Professionnelle en 2007 puis Ministre de l’économie et de l’industrie en 2019. Dès sa prise de fonction, le 21 Janvier 2020, le nouveau Gouverneur s’est immédiatement attelé à la pacification du climat social au sein de la Banque et à sa réorganisation pour qu’elle puisse se recentrer sur ses métiers de base tout en restant ouverte aux innovations et aux mutations de l’environnement technologique. Parallèlement à ces défis historiques qu’il a su relever, le Gouverneur a inscrit au cœur de son action une gestion rigoureuse basée sur la transparence et l’équité. C’est ainsi qu’en dépit de la conjoncture difficile marquée par la pandémie de Covid-19 et la baisse des taux d’intérêt sur les placements, la BCM a réalisé des performances remarquables en 2020. En effet, les réserves de change de la banque des banques se sont sensiblement renforcées, le bénéfice net a augmenté de plus de 9% et le taux d’inflation est resté maitrisé grâce à une politique monétaire prudente. En outre et grâce à une politique de change cohérente, le cours de l’Ouguiya a enregistré en une année, une appréciation de 3.8% par rapport au dollar US.
La pandémie de COVID-19 a vu les banques centrales mettre en place des politiques accommodantes. Comment la BCM a-t-elle géré ce contexte particulier ?
A l’instar de tous les pays du monde, la Mauritanie a été impactée sur le plan social et économique par la pandémie de COVID-19. Afin de limiter l’ampleur de cet impact et soutenir la stabilité de son système financier, la BCM a réagi très tôt, dès le début de la crise, en prenant un ensemble de mesures visant essentiellement trois objectifs majeurs : le premier objectif visé par ces mesures était de disponibiliser de la liquidité au profit du système bancaire, tout en diminuant son coût afin de soutenir le financement de l’économie. Pour ce faire, la BCM a baissé de 200 points de base le taux de la réserve obligatoire, de 150 points de base le taux directeur de la BCM et de 250 points de base le taux de la facilité de prêt marginal. Quant au second objectif, il s’agissait d’assurer l’approvisionnement régulier du marché local et la stabilité des prix des produits de première nécessité et des hydrocarbures à travers, le gel du deposit en monnaie nationale pour les ouvertures de crédits documentaires. Enfin, le troisième objectif ciblé par ces mesures était le renforcement de la stabilité du système financier pendant la crise, à travers l’acceptation d’un niveau de 80% pour le ratio de liquidité (LCR) alors que le minimum règlementaire est de 100%; la suspension de toute distribution de dividendes par les banques et le suivi rapproché de leurs trésorerie et dépôts à travers des reporting quotidiens et hebdomadaires.
Au delà de ces mesures ponctuelles, la BCM continue de suivre avec la plus grande attention l’évolution de la pandémie et reste déterminée à prendre toutes autres mesures qui s’avéreraient nécessaires, dans le cadre de sa mission, pour limiter davantage les effets néfastes de la pandémie sur l’économie nationale.
Comment se présente aujourd’hui les grands fondamentaux macroéconomiques de la Mauritanie ?
L’ensemble des mesures prises par les autorités publiques et la BCM pour mitiger les répercussions de la pandémie ont contribué à stabiliser les fondamentaux macroéconomiques et à limiter le resserrement des conditions financières. Ainsi, la contraction du PIB initialement prévue à 3.2% au début de la crise n’a été que de 2%. En effet, les exportations ont progressé de 11,7% par rapport à 2019 pour s’établir à USD 2 590,8 millions alors que les importations sont restées quasiment stable à USD 2 878,9 millions. L’amélioration des termes de l’échange en rapport à la hausse des cours de l’Or, du Fer et du Cuivre ont contribué à une réduction du déficit commercial de 48,1%. Les réserves officielles de change ont enregistré une hausse d’environ 40% par rapport à 2019 équivalent à plus de 5,4 mois d’importations hors importations des industries extractives. En 2020, la masse monétaire a enregistré une progression de 15% par rapport à 2019, sous l’effet conjugué du renforcement des avoirs extérieurs nets et des actifs intérieurs nets. L’inflation en moyenne annuelle est restée quasiment stable à 2,4% en 2020. Le solde budgétaire global dons compris a enregistré un excèdent de MRU 6,9 milliards en 2020 équivalant à 2,3% du PIB nominal.
Le financement de l’économie reste la principale fonction du système bancaire. Comment se présente aujourd’hui le secteur bancaire mauritanien ? Quelle est sa part dans le financement de l’économie ?
Le secteur bancaire mauritanien comprend 18 banques en activité dont 5 à capitaux majoritairement étrangers. En outre, il existe 3 réseaux et une vingtaine d’institutions de microfinance, les services financiers de la poste, la Caisse de Dépôt et de Développement, 17 compagnies d’assurance et 2 régimes de prévoyance sociale. L’encours global des concours bancaires à l’économie se chiffre à fin 2020, à MRU 74 milliards, en progression de plus de 2,7% par rapport à 2019. La répartition de ces concours par secteur se présente comme suit : les crédits au secteur du commerce (14%), les crédits au secteur des services (13%), les crédits au secteur des BTP (12,7%), les crédits au secteur de la pêche (11,1%) les crédits au secteur des industries à ( 8,2%) , les crédits à la consommation et autres 40%. Des réformes importantes sont en cours pour l’assainissement et le renforcement de la gouvernance dans le secteur bancaire mauritanien.
Comment se passe la cohabitation entre finance islamique et finance classique dans le paysage bancaire mauritanien ?
Le secteur financier mauritanien est dominé par le secteur bancaire qui est composé de 18 banques dont 7 banques islamiques qui assurent 35% des crédits à l’économie. Le financement islamique est assuré à la fois par les banques classiques et les banques islamiques; la cohabitation se passe relativement bien avec une concurrence saine et se matérialise sur le plan opérationnel par l’augmentation et la diversification du financement de l’économie. Sur le plan règlementaire, la BCM veille à assurer une supervision adaptée à l’ensemble du système bancaire. Dans ce cadre, elle a introduit dans son statut un nouveau Comité de Conformité aux Prescriptions de la Charia. Toujours dans le cadre du renforcement de cette cohabitation, la BCM a procédé à l’introduction des bons de trésor islamiques au niveau du marché monétaire. Elle a également mis en place un projet de création des bons islamiques de la banque centrale.
De nouvelles monnaies virtuelles se développent. Quelle est l’approche de la BCM vis-à-vis des monnaies électroniques et des cryptomonnaies ?
Permettez moi d’abord, de rappeler la différence entre les monnaies digitales des banques centrales (MDBC) et les cryptomonnaies. Aussi appelée cryptomonnaie souveraine, la MDBC est un instrument comme la monnaie fiduciaire, garanti et régulé par une autorité monétaire avec laquelle elle a un équivalent à 100%. Elle est en passe d’être adoptée par plusieurs banques centrales. Le but ultime étant, pour ces dernières, la facilitation des opérations et transactions financières mais aussi l’impérieuse nécessité d’adaptation à l’ère du numérique marquée par le changement des modes de consommation, d’épargne et d’investissement des populations. En revanche, les cryptomonnaies dites «décentralisées» sont émises de pair à pair et s’échangent sur des plateformes en ligne dédiées. Elles sont marquées par la désintermédiation et l’indépendance par rapport aux organes centraux, aux établissements financiers ou aux autres tiers de confiance habituels. Les cours de ces monnaies ne sont indexés ni sur une devise classique ni sur l’or et sont influencés par une multitude de facteurs financiers et sociétaux; ce qui leurs confère un caractère très volatile et spéculatif. Comparées aux monnaies ayant cours légal émises par des institutions financières, ces cryptomonnaies sont gérées par un registre avec la technologie blockchain. La BCM, garant de la stabilité financière nationale et investie des missions de contrôle et de surveillance, est très attentive aux technologies sur lesquelles sont basées les cryptomonnaies. Elle compte mettre à profit le potentiel dont elles recèlent notamment, dans le cadre de la transparence des transactions financières, la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ainsi que la protection des données à caractère personnelles. Dans ce cadre, la BCM vient de faire adopter par le Parlement le projet de loi relatif aux services et moyens de paiement électronique. Cette loi pose les bases juridiques permettant d’effectuer, par voie électronique, des opérations de paiement. Elle fixe aussi les conditions d’exercice des activités par les prestataires et les émetteurs de monnaies électroniques.
La BCM nourrissait il y a quelques années le projet d’une Bourse des valeurs mobilières. Un tel instrument est-il toujours d’actualité ?
Un marché des capitaux développé contribue toujours au développement d’un pays. Il crée une offre de financement adaptée aux besoins des agents économiques, à la fois, par son coût et par ses caractéristiques. C’est pourquoi, la BCM a déjà identifié dans son plan stratégique, le développement du marché des capitaux mauritaniens comme l’un des axes prioritaires. En effet, nous le considérons comme le maillon irremplaçable pour un circuit de financement efficace de notre économie. Il permettra notamment la rencontre entre l’épargne nationale et les besoins de financement. L’étude de faisabilité du projet est achevée, la phase de conception aussi. Nous avons commencé par le chantier juridique, et les textes de loi qui mettent en place et régulent le marché des capitaux mauritaniens ainsi que ses différentes composantes; ces textes de loi sont en cours de finalisation. Ils passeront sous peu devant le Parlement pour adoption. Une fois cette étape franchie, les autres chantiers suivront.
Pour finir, quel retour d’expérience feriez-vous de l’adoption d’une monnaie nationale par la Mauritanie depuis 1973 ? Quelles sont les perspectives de l’Ouguiya en 2021?
La Banque Centrale de Mauritanie a été créée dans le cadre de la réforme financière de 1973. Depuis sa création, la monnaie nationale, l’Ouguiya, symbolise la fierté nationale et garanti l’indépendance monétaire du pays. En matière de politique monétaire et de change, la BCM a réussi à maintenir la stabilité de l’Ouguiya dont le cours continue de suivre une évolution normale en adéquation avec les fondamentaux de notre économie. Les perspectives pour 2021 s’inscrivent essentiellement dans la poursuite des efforts en termes de stabilité monétaire et financière, d’amélioration du cadre de la gestion fiduciaire, de révision des procédures de la gestion fiduciaire ainsi que la modernisation des outils de la surveillance et des conditions de conservation des fonds.