Sandra Johnson, ministre et secrétaire générale de la présidence du Togo, dans cet entretien exclusif à Financial Afrik, évoque la crise sanitaire de la Covid-19 et ses effets sur l’économie togolaise. La ministre se prononce également sur la suspension du rapport Doing Business, elle qui a longtemps été aux commandes de la Cellule Climat des Affaires du pays qui avait, dans l’édition 2020, réalisé un bond de 40 places au classement. « La suppression du rapport n’aura aucun effet sur la dynamique des réformes », rassure-t-elle. Sandra Johnson fait également partie des 24 personnalités qui ont mis en place « A New Road », une initiative sur laquelle elle revient dans cet entretien.
Le monde entier traverse actuellement une pandémie qui n’est pas sans effet sur les Etats. Comment le Togo arrive-t-il à gérer la crise, d’abord au niveau sanitaire, surtout que vous êtes cité comme un bon élève en la matière ?
Le Togo, à l’instar des autres pays du monde, est affecté par la pandémie au coronavirus qui a eu un impact considérable sur la vie des populations sur les plans économique, social et sanitaire. La crise du Covid-19 a été inédite dans son ampleur et dans sa soudaineté. Pour endiguer la propagation de cette pandémie et atténuer son impact sur la vie des populations surtout les plus vulnérables, un comité de crise présidé par le chef de l’Etat et un comité national de gestion et de riposte à la Covid-19 ont été rapidement mis en place.
Le Togo a également pris des mesures fortes à travers la stratégie des 3R : la Riposte, la Résilience et la Relance. Des agents de santé additionnels ont été recrutés par le gouvernement pour renforcer l’effectif du personnel soignant. Toutes ces mesures ont permis de briser la chaîne des contaminations et l’impact de la pandémie a été limité, avec moins de 3.500 cas actifs au 23 septembre 2021.
En complément à toutes ces actions et dans le souci de limiter la propagation du virus à travers l’immunité collective, le gouvernement a opté pour l’acquisition des vaccins et l’intensification des campagnes de vaccination de masse de la population. A mi-septembre 2021, le Togo avait acquis 1,8 million de doses des vaccins Pfizer, AstraZeneca, Sinovac et Johnson & Johnson. La campagne de vaccination, lancée le 10 mars 2021, a permis de vacciner 400.000 personnes, représentant 5% de la population générale, et 8% de la population cible. Grâce à la stratégie vaccinale mise en place et à l’adhésion grandissante de la population, le Togo atteindra dans les meilleurs délais la couverture vaccinale nécessaire à une immunité collective, à la seule condition de disposer de vaccins. L’objectif du gouvernement est d’atteindre un million d’adultes pleinement vaccinés avant la fin de l’année 2021.
Ces différentes initiatives ont valu à notre pays d’être classé deuxième au niveau continental et 15ème au plan mondial en termes d’efficacité dans la riposte à la Covid-19 (Evaluation mondiale de l’Institut Lowy, Think Tank group, Australie, Ndlr). Au même moment, le Togo est classé parmi les Etats à faible risque de contamination par les Etats-Unis et la Grande Bretagne.
Que dire alors des mesures prises au plan socio-économique ?
A ce niveau, la crise a servi de laboratoire pour l’innovation socio-économique. Un Revenu Universel de Solidarité, dénommé Novissi, a été mis en place dès les premières heures pour venir en aide aux citoyens privés d’activités génératrices de revenu, ceci via un système digital ayant permis de toucher un nombre assez important dans le respect des mesures barrières. A ce jour, le nombre total de bénéficiaires est d’environ 850.000 pour un montant total d’environ 13,3 milliards de FCFA (environ 24 millions USD).
En outre, des allègements ont été accordés aux entreprises. Ils se matérialisent par des mesures fiscales, des remises de cotisations sociales et un plan pour soutenir la production agricole et l’autosuffisance alimentaire. Le gouvernement a, par ailleurs, déployé un plan d’urgence de 400 milliards de FCFA, à travers un Fonds National de Solidarité et de Relance Économique. Cet effort inédit représente l’équivalent de 10% du PIB national. Ce montant a permis de soutenir les populations les plus vulnérables et les entreprises.
De plus, une série de mesures sociales, notamment la gratuité de la consommation d’eau et d’électricité pour les tranches de consommation les plus basses, ont été prises.
Vous aviez très récemment pris part à une réunion ministérielle des Pays les moins avancés consacrée aux défis de développement dans ces Etats. Que peut-on retenir de cette rencontre ?
En effet, j’ai représenté le Togo à la réunion ministérielle le 17 septembre dernier. A cette rencontre, il a été question de partager avec les acteurs internationaux du groupe des PMA (Pays les moins avancés), les mécanismes mis en place par le Togo pour la relance effective de l’économie nationale post-Covid-19 et quatre points essentiels sont à retenir. Le Programme d’action d’Istanbul (2011 – 2020) a permis des avancées et un nombre important de pays répondent aux critères de sortie de la catégorie des PMA. Cependant, l’écart entre les objectifs fixés et les réalisations sur le terrain est important notamment, à cause de défis tels que la pandémie de la Covid-19, le changement climatique et les crises financières qui risquent de compromettre les avancées des PMA. Pour y remédier, des partenariats mondiaux et multilatéraux sont nécessaires ainsi que des plans d’actions bien définis au niveau national, régional et mondial. La 5ème conférence des Nations Unies sur les PMA se tiendra du 23 au 27 janvier 2022 à Doha au Qatar et sera marquée par des participations au plus haut niveau de prise de décision.
Vous avez présenté, au cours de cette réunion, la situation économique de votre pays et les différentes avancées faites dans le cadre de la riposte à la pandémie. Justement, comment se porte aujourd’hui l’économie togolaise dans le contexte actuel ?
La pandémie de la Covid-19 a occasionné des pertes énormes dans le monde. Aucun pays n’a été épargné et le Togo n’est pas du reste avec des impacts sur les plans économique, social et sanitaire. Cette crise est venue compromettre une trajectoire d’émergence remarquable, puisque le Togo avait connu une croissance moyenne supérieure à 5% entre 2010 et 2019. Elle a occasionné des pertes estimées à presque 4 points de pourcentage du PIB. Mais la croissance est restée positive en 2020 et se chiffre à 1,8% contre 5,3% en 2019. Cette performance et ce rebond de croissance du Togo traduisent la résilience de notre économie, face aux chocs et autres bouleversements induits par la crise sanitaire. Mais une seconde explication s’impose relativement à cet exploit. Il s’agit du regain des activités du secteur secondaire liées à la transformation des matières premières, qui sont issues du secteur primaire, et celui des activités du tertiaire : commerce, administration, en passant par les transports, les activités financières et immobilières, les services aux entreprises et services aux particuliers, l’éducation, la santé et l’action.
Vous avez également évoqué la réallocation des DTS du FMI pour soutenir la relance des économies africaines.
La crise actuelle est sans précédent pour l’Afrique. Elle réduit de manière drastique les flux de financement dans la zone alors que les pays africains en ont crucialement besoin pour réagir efficacement et financer leurs investissements. L’enjeu du financement des investissements est essentiel pour la relance des économies africaines. Face à ce défi, il faudra mobiliser tous les instruments de financement possibles, y compris la réallocation des DTS pour soutenir la relance économique en Afrique. La réallocation des DTS des pays avancés au profit de l’Afrique pourrait alors se faire à travers des instruments tels que la fenêtre de prêts concessionnels du FMI (PRGT, Poverty Reduction and Growth Trust) et d’autres trusts à créer au sein du FMI ; et le fonds multi-objectifs de la Banque mondiale pour contribuer à financer les ODD, etc.
Bref, il importe que nos partenaires internationaux s’efforcent de répondre de façon diligente aux conclusions du Sommet de Paris sur le financement des économies africaines afin de permettre à nos pays d’assurer une reprise économique durable post-Covid.
Tout autant que l’accès universel à la vaccination, le financement des investissements demeure un sujet central et probablement décisif. Je tiens ainsi à saluer la contribution massive des partenaires internationaux et des institutions financières pour soutenir la relance de la croissance économique en Afrique.
Cette réallocation de DTS est une composante essentielle de l’action plus globale que mène le FMI pour aider les pays à surmonter cette pandémie du coronavirus dont les conséquences demeuraient inquiétantes si rien n’était fait.
Quelles sont les perspectives de croissance du Togo ?
Les perspectives de croissance du Togo sont beaucoup plus reluisantes depuis la réunion du Conseil national du crédit (CNC). De 4,5% annoncé en mai dernier, il est envisagé désormais un taux de croissance économique qui devrait progresser pour atteindre 4,8% en 2021 contre 1,8% en 2020. Cette croissance, comme indiqué précédemment, sera soutenue par tous les différents secteurs d’activité. Dans le même temps, le Togo est en discussion avec le Fonds monétaire international (FMI) dans le but de parvenir à un accord pour le financement d’un nouveau programme au titre de la Facilité Élargie de Crédit (FEC).
Le Togo a réalisé un grand bond au dernier classement Doing Business, un rapport que la Banque mondiale ne compte plus éditer en raison d’irrégularités dans les classements 2018 et 2020. Comme le Togo a-t-il vécu cette annonce, vous qui avez été, pendant tout ce temps, en charge de la Cellule Climat des Affaires ?
Il faut reconnaitre que le programme Doing Business a le mérite d’avoir poussé les pays à mettre en place des dispositifs ayant accéléré des réformes audacieuses. Cependant, si la suppression du rapport est susceptible d’avoir des effets sur les pays tirant intérêt dudit programme, la réalité est tout autre pour ce qui concerne le Togo. En effet, notre pays n’envisage pas abandonner sa dynamique. L’amélioration du climat des affaires reste au cœur des ambitions du président de la République, Son Excellence Faure Essozimna Gnassingbé, en vue de toujours entretenir et affermir les relations de son pays avec ses partenaires financiers internationaux.
Pour rappel, le Doing Business, a été mis en place depuis 17 ans par la Banque Mondiale afin d’évaluer les performances d’amélioration du climat des affaires dans le monde. Ces rapports ont guidé les actions des décideurs politiques, aidé les pays à prendre des décisions mieux éclairées et permis aux parties prenantes de mesurer les progrès économiques et sociaux avec plus de précision.
L’assainissement du climat des affaires au Togo vient, avant tout, de la volonté et du leadership du chef de l’Etat togolais qui s’est toujours donné pour objectif de faire du Togo un endroit sûr pour les investissements. La mise en œuvre réussie des différentes reformes s’illustre bien par l’éligibilité du pays au programme Millenium Challenge Corporation (MCC) des Etats-Unis, l’amélioration sensible des indicateurs d’évaluation des politiques par les institutions internationales à l’instar du CPIA (County Policy and Institutional Assessment) de la Banque Mondiale. Encore une fois, le Doing Business est un baromètre comme le rapport Mo Ibrahim, Transparency international etc.
Le Doing Business ne constitue donc pas une obligation mais plutôt une mesure d’incitation. La suppression du rapport n’aura aucun effet sur la dynamique des réformes. En effet, le pays fait du secteur privé le moteur de sa croissance économique tel que décliné dans la stratégie de développement du pays. En témoigne l’adoption en Conseil des Ministres le 22 septembre 2021 de l’avant-projet de loi relatif aux contrats de partenariat public privé.
Enfin, il faut garder à l’esprit que les efforts d’amélioration du Climat des affaires vont en faveur de l’amélioration des conditions de vie des Togolais ; ils ne sont pas destinés aux classements ou aux observateurs. L’amélioration du climat des affaires au Togo est un combat de tous les instants et nous devons le réussir.
Vous faites partie des 24 personnalités ayant porté sur les fonts baptismaux, « A New Road », une nouvelle table-ronde sur les dettes africaines. En quoi cette initiative est-elle nécessaire, et où en êtes-vous à ce jour ?
Effectivement, le think tank « A new ROAD » a été porté sur les Fonds baptismaux à Abidjan par des personnalités d’Afrique et du monde dont je fais partie.
Vous n’êtes pas sans savoir que la problématique de la dette publique en Afrique revêt une importance capitale pour les pays africains. Même si la dette de l’Afrique ne représente que 2% du stock mondial de dette, un effort de reconduction serait très supportable pour la communauté financière internationale et ne créerait aucun risque systémique. Paradoxalement, la soutenabilité de la dette africaine est beaucoup plus préoccupante dans les débats.
C’est dans ce contexte que « A New ROAD » un think tank consacré à la problématique de la dette publique en Afrique a été créé. L’entité à but non lucratif et apolitique, se veut un espace de réflexion, porté essentiellement par des acteurs africains, qui vise à contribuer à l’amélioration des conditions de financement des États et du secteur privé. Ce think tank est composé de membres, de nationalités, de générations et d’industries différentes, aux parcours riches et multiples, tous rassemblés au service de deux objectifs communs : changer de paradigme concernant les questions de financement des économies du continent et proposer un cadre de réflexion sur le traitement et la structuration des dettes.
Votre mot de fin…
La crise sanitaire actuelle impose des stratégies rigoureuses pour pouvoir gagner le pari de la relance économique. C’est tout le fond de l’engagement du président de la République et de son gouvernement pour un mieux vivre des populations togolaises pendant cette période particulière.
Je ne saurai terminer mes propos sans réitérer mes sincères remerciements à tous les partenaires techniques et financiers qui œuvrent pour le développement du continent africain. Ce continent a fait preuve d’une résilience remarquable pendant la crise de la Covid-19 et nous restons convaincus de son avenir très prometteur.