Les études récentes de la politique étrangère turque la présentent comme plus indépendante et plus ambitieuse . Depuis l’arrivée au pouvoir en 2002 du parti pour la justice et le développement (Adalet ve Kalkınma Partisi – AKP), la Turquie a entre autres assuré le secrétariat général de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), rejoint le G-20 et occupé un siège non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Outre la ligne pro-occidentale suivie à la fin des années 1940, Ankara recherche des opportunités économiques et stratégiques en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique.
A quelques jours du forum économique et du prochain sommet Turquie -Afrique, qui se tiendra à Istanbul en décembre prochain, le président Erdogan promeut un partenariat « gagnant-gagnant » aux Africains. La Turquie entend promouvoir des relations « sur la base d’un partenariat égalitaire gagnant-gagnant, dans le cadre du respect mutuel », a assuré Recep Tayyip Erdogan en Angola, première étape de son agenda africain.
« Nous, en Turquie, nous attachons une grande importance et une grande valeur à la relation étroite que nous entretenons avec le continent africain », a affirmé lundi soir le président Erdogan devant un parterre d’hommes d’affaires angolais, selon un communiqué diffusé par les services de la diplomatie Turque.
« Nous désirons faire progresser ces relations sur la base d’un partenariat égalitaire gagnant-gagnant, dans le cadre du respect mutuel », a-t-il poursuivi.
Un peu plus tôt, dans un discours devant le parlement angolais diffusé sur le site de la présidence turque, Erdogan avait estimé que « le sort de l’humanité ne peut pas et ne doit pas être laissé à la merci d’une poignée de pays qui sont les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ».
« Ignorer les appels au changement est une injustice pour l’Afrique », a-t-il ajouté en soulignant que la Turquie ne portait « aucune tache » d’impérialisme ou de colonialisme.
Après l’Angola, le président turc a pris part à un mini sommet au Togo où il y avait ses nouveaux alliés, à savoir le Burkina Faso et le Libéria sous la houlette du président Faure Gnassingbé dont le pays a inauguré une nouvelle ambassade turque dans la capitale Lomé. La tournée africaine du président s’achèvera chez le géant du continent, « le Nigeria » .
Cette tournée est suivie de près par les autres partenaires africains. Si l’agenda diplomatique africain de la Turquie est nouveau, son engagement sur le continent prend de l’ampleur.
Jouant sur la corde sensible de l’anti-impérialisme et la rhétorique « de la solidarité et du partenariat pour un futur commun», l’équipe dirigeante turque pousse ses pions, ses entreprises de BTP et ses produits électroménagers. Business as usual mais, bien entendu , dans le respect mutuel.
L’on a assisté ces dernières années à une réorientation d’une politique extérieure turque qui se veut davantage inventive et indépendante. En d’autres termes : « Du Moyen-Orient à l’Afrique en passant par le Caucase, la politique étrangère de la Turquie fait montre de beaucoup plus d’autonomie et d’un activisme renouvelé. De par son importance et sa position géographique de carrefour, le pays cherche à s’affirmer en tant que puissance régionale, sinon internationale, incontournable dans de nombreux dossiers sensibles.
Une des caractéristiques de la nouvelle politique extérieure d’Ankara est sa dimension néo-ottomane, fondée sur la vision d’Ahmet Davutoğlu, conseiller diplomatique important puis ministre des Affaires étrangères à l’époque où Erdogan était Premier ministre. Ce concepteur de la diplomatie néo-ottomane a, dans un ouvrage de 2001, élaboré le concept de «profondeur stratégique».
Argument principal de cette «vision » : la Turquie a négligé ses liens historiques, diplomatiques et politico-économiques avec des régions proches qui furent jadis largement ottomanes . Officiellement, l’approche régionale d’Ankara classe l’Égypte dans le « Moyen-Orient » ; la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye formant l’« Afrique du Nord ». Mais dans la pratique, l’Égypte est partie intégrante du partenariat Turquie-Afrique.
Dans le sillage du renouveau des relations internationales Sud-Sud qui se traduit par l’offensive diplomatique des « super-émergents » Chine, Inde , Brésil sans oublier la Russie et les Émirats du golfe vers l’Afrique, la Turquie s’est lancée dans une action diplomatique combinant diplomatie, sécurité et commerce. Il s’agit non seulement de courtiser les élites africaines et de promouvoir l’implantation d’intérêts économiques publics ou privés, mais aussi de garantir à la Turquie une visibilité affirmée sur le continent.
Les nombreuses visites d’État effectuées par les autorités turques illustrent la place grandissante de l’Afrique dans les ambitions planétaires d’Ankara. Il appartient à cet effet aux dirigeants du continent de savoir se positionner dans ce grand rendez-vous du donner et du recevoir en faisant une lecture fine des enjeux géopolitiques de cet allié héritier d’un empire colonial qui régna sur le monde arabe et une partie de l’Afrique du. Nord pendant 5 siècles.
Rodrigue Fenelon Massala