[La chronique géopolitique de Benoit Ngom]. Pour décrypter l’actualité et apporter de la profondeur géopolitique et géostratégique aux informations, le professeur Benoit Ngom traite dans ces colonnes d’une rubrique hebdomadaire, à retrouver tous les jeudis.
Le président français Emmanuel Macron recevra son homologue béninois Patrice Talon à l’Elysée, le mardi 09 novembre 2021, dans le cadre de la restitution au Bénin de ses œuvres culturelles pillées pendant la période coloniale.
A cette occasion, le président béninois Patrice Talon signera l’acte marquant officiellement le transfert des biens culturels. En effet, l’Afrique se devait d’abord d’affirmer son autorité légale et légitime sur les objets à retourner ou restituer.
Cette première phase reconnue, l’Afrique doit accepter que toutes ses œuvres artistiques et culturelles de grande valeur soient reconnues comme appartenant au patrimoine commun de l’humanité. Cela veut dire que l’Afrique doit s’organiser pour que ses œuvres puissent circuler librement dans le monde et que dans la même logique, les œuvres culturelles étrangères puissent être présentées aux africains dans des musées sûrs et fonctionnels.
Pillage des œuvres culturelles
Les pillages des objets par la puissance conquérante n’ont pas seulement concerné l’Afrique. A cet égard, les expéditions de Napoléon qui rêvait déjà de faire du Louvre un musée universel, ou seraient exposées les œuvres du monde entier notamment celles des pays spoliés à travers l’Europe, en sont une illustration.
En Europe par exemple, le cas de la Grèce est particulièrement saisissant et toujours d’actualité. C’est au tout début du 19ème siècle, juste avant sa guerre d’indépendance et de libération que ce pays qui était alors sous le joug ottoman se vit dépouiller par l’Angleterre notamment par l’entremise de son citoyen, Lord Elgin, des plus beaux marbres du Parthénon.
En Afrique par exemple, c’est le Général Dodds, métis de Saint Louis du Sénégal à la tête de l’armée coloniale française, qui occupa la capitale du Dahomey après la défaite du Roi Béhanzin, et qui s’empara de plusieurs œuvres d’art du Palais royal du Dahomey. De retour en France, il offrit au Ministre de la Marine le Trône du Roi Behanzin. Parmi les objets qu’il ramena, il y’avait aussi les statues anthropomorphes représentant les derniers Rois du Dahomey, Ghézo, Glélé, Behanzin mais aussi la porte magistrale du Roi Glélé. Ces œuvres, par un heureux retournement de l’histoire, font parties des 26 objets culturels que la France a décidé de restituer au Bénin cette année.
Dans la période récente, le cas de pillage de biens culturels le plus odieux et le plus gigantesque fut celui perpétré par les Nazis sur la communauté juive d’Europe durant la deuxième guerre mondiale.
Les réclamations pour le retour des biens culturels
En Afrique, les réclamations pour la restitution ou le retour des biens culturels africains commencèrent dès l’accession des Etats africains à l’indépendance. Le Président Mobutu du Zaire (actuelle RDC), prononça devant l’ONU en 1973 le premier discours qui demandait une restitution des œuvres d’art dans leur pays d’origine. Sa demande fut prise en compte dans la résolution dénommée Restitution d’œuvres d’art à des pays victimes.
Dans la même lancée, à titre d’exemples, l’Egypte demanda la restitution de six pièces de grande valeur exposées dans plusieurs musées occidentaux dont le célèbre buste de Nefertiti à Berlin et la pierre de Rosette au British Museum, alors que le Nigeria réclame un masque de la reine Idia actuellement conservé au British Museum.
Sensible à ces légitimes revendications et voulant leur assurer le succès escompté, en 1978, le directeur général de l’Unesco, Amadou-Mahtar M’Bow fondait alors le «Comité intergouvernemental pour la promotion du retour des biens culturels à leur pays d’origine ou de leur restitution en cas d’appropriation illégale» (ICPRCP).
Ces appels ont été entendus par la communauté internationale. Ainsi, la restitution ou le retour des biens culturels africains spoliés est une cause généralement soutenue dans tous les pays, y compris dans les anciennes puissances coloniales.
L’accueil globalement favorable réservé au rapport de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr sur la restitution des biens culturels et les initiatives heureuses qui en ont suivi montrent que la cause est entendue. C’est pourquoi, même si sa mise en œuvre ne sera pas très simple, il n’est nullement besoin que l’Afrique soit divertie par des querelles inutiles sur cette question.
Retourner ou restituer
Emmanuel Macron déclarait à Ouagadougou, au Burkina Faso, en novembre 2017 : «d’ici cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain à l’Afrique ».
Récemment au siège de l’Unesco à Paris, lors d’une réunion sur la « Circulation des biens culturels et du patrimoine commun : Quelles nouvelles perspectives ? », Patrice Talon, le président de la République du Bénin affirmait que : «la restitution et la circulation des biens culturels et patrimoines partagés est une cause que devra servir la coopération internationale».
Cependant, il s’agit de savoir comment qualifier le transfert du bien culturel d’un point à un autre. S’agit-il d’un «retour» ou d’une «restitution» ? Le «retour» comprend les «biens culturels qui ont été perdus par suite d’une occupation coloniale ou étrangère» tandis que la «restitution» comprend les biens culturels «qui ont disparu par suite d’une appropriation non consentie.
Comme on peut le constater, la revendication légitime de la restitution des objets arbitrairement détenus dans les musées des anciennes puissances coloniales peut comporter, dans sa mise en œuvre, beaucoup de zones d’ombre qui, à défaut d’être éclaircies, risquent d’être de futures pommes de discorde entre les africains et les européens mais aussi entre les gouvernants et gouvernés africains.
D’une manière générale, il faut en convenir, le retour des biens culturels vers l’Afrique ne sera pas une affaire très simple et prendra plus temps qu’on ne l’imagine.
Restitution ou libre circulation des objets d’art
C’est pourquoi l’Afrique, continent dans la mondialisation, doit éviter le piège de la ghettoïsation. Sa revendication pour la restitution de ses biens culturels doit aller de pair avec ses initiatives pour le libre accès aux œuvres d’art des autres pays étrangers, grâce à la garantie de la libre circulation des biens culturels, considérés comme appartenant au patrimoine commun de l’humanité.
Dans cet esprit, nous pensons que la communauté internationale doit se mobiliser pour aider les pays africains qui le désirent à se doter de musées modernes dans les capitales mais aussi dans les régions grâce à une réelle territorialisation des politiques culturelles.
C’est dans cet esprit que l’Académie Diplomatique Africaine -ADA-, en s’appuyant sur l’expérience concluante du MAHICAO, -Musée d’Art et d’Histoire des Cultures d’Afrique de l’Ouest- établi à Djjilor Djidiack dans le village natal du Président Senghor, propose de faire de ce musée – devenu emblématique pour la région du Sine Saloum – un musée pilote. En effet, le succès croissant du Mahicao depuis son ouverture en 2018 prouve qu’il y a, même dans les provinces, une véritable soif de culture.
Si l’Afrique se focalise uniquement sur le retour et la restitution de ses biens culturels, ne risquerait-elle pas de lâcher la proie pour l’ombre ?
Benoit Ngom.