[La chronique géopolitique de Benoit Ngom]. Pour décrypter l’actualité et apporter de la profondeur géopolitique et géostratégique aux informations, le professeur Benoit Ngom* traite dans ces colonnes d’une rubrique hebdomadaire, à retrouver tous les jeudis.
Les sanctions infligées à Kémi Seba, expulsé récemment du Burkina Faso, et à Guy Marius Sagna, condamné par un tribunal du Sénégal, alors que tous deux pensaient pouvoir jouir sans risque de leur liberté d’expression et de réunion, nous interpellent sur la réalité de la protection des libertés publiques dans l’espace CEDEAO.
Pourtant, les Pères fondateurs de la CEDEAO avaient le profond désir de créer une communauté d’Etats unis par de profonds liens culturels voire biologiques et décidés à œuvrer ensemble pour le développement harmonieux de leurs peuples respectifs. En ce sens, en un temps record, ils signèrent à Dakar en 1979, le Protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement.
Ce protocole accordait dès cette époque, le statut de citoyen de la Communauté à tous les ressortissants des Etats membres et leur reconnaissait, sous réserve de certaines conditions tout à fait raisonnables, le droit d’aller et de venir librement dans cet espace, actuellement composé de 15 Etats.
Le protocole, très en avance sur les textes qui régissent les relations du même genre entre les autres pays africains appartenant à d’autres régions, est allé aussi loin que possible en permettant aujourd’hui de doter les citoyens de la communauté du passeport et d’une carte d’identité CEDEAO.
En cela, cette organisation sous régionale est arrivé à un niveau d’intégration digne des pays les plus avancés politiquement et économiquement. Cependant, cet ordre est souvent remis en question par des actes arbitraires de certains Etats
Expulsion et emprisonnement abusif
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Le sénégalais Guy Marius Sagna, coordonnateur du mouvement Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine-FRAPP France dégage, a été condamné ce mois-ci à 3 mois de prison avec sursis par le tribunal des flagrants délits de Dakar, dans une affaire de diffusion de fausses nouvelles.
Il lui était reproché d’avoir écrit sur les réseaux sociaux que le ‘’déshonneur’’ était devenu ‘’la nouvelle devise de la Gendarmerie sénégalaise’’.
Cependant, est-il réellement compréhensible de priver à un acteur de la société civile sa liberté pour avoir émis une appréciation personnelle sur le comportement d’un corps de l’Etat qui par ailleurs jouit sans conteste d’un grand prestige auprès de la majorité du corps social ? Peut-on condamner un leader d’opinion sans tenir compte de la réalité du monde actuel où,,grâce aux réseaux sociaux, la connectivité est si intense qu’aucune information ne peut être émise sans être critiquée ou démentie dans les secondes qui suivent ?
Ce délit avait un sens dans les périodes ou la transmission de l’information était si lente qu’une mauvaise intention exprimée pouvait causer énormément de dégâts avant de pouvoir être démentie.
Cette notion comme celle d’«offense au chef de l’Etat» sont des reliques d’une justice ancienne qu’il convient de réactualiser. A cet égard, l’Etat doit éviter qu’une répression aveugle ne déplace le lieu du débat hors des murs de la Républiques dans des mondes où son autorité aura peu de prise.
Par conséquent, la détention et l’emprisonnement de militant sur ces bases, nous semble-t-il, devraient être comprises comme l’expression d’un autoritarisme d’Etat qui devrait être remis en question par le législateur ou le juge. En ce sens, l’annonce l’année dernière lors de la conférence annuelle des chefs de Parquet, par le Ministre sénégalais de la Justice,,Me Malick Sall, sur la nécessité de remettre en question l’usage abusif des mandats de dépôt, si elle est mise en œuvre, irait dans le sens souhaitable.
Cependant l’autoritarisme d’Etat peut prendre d’autres formes dont l’une des plus usitées est l’expulsion arbitraire de citoyens de la CEDEAO dès que ceux-ci veulent, en dehors de leur pays d’origine, s’exprimer sur certains problèmes jugés sensibles. En ce sens, les expulsions répétées de Kémi Séba de certains pays de la CEDEAO montrent s’il en était besoin que les États ont du mal à accepter cette citoyenneté commune qu’offre l’organisation sous régionale.
Pourtant, dans un monde globalisé et hyper connecté, dans une région où la jeunesse a montré à plusieurs reprises son sens de la responsabilité en jouant pleinement son rôle d’acteur mur et actif de la consolidation de la démocratie, l’expulsion de KEMI SEBA d’un quelconque pays de la CEDEAO appartient à des pratiques d’une autre époque. En effet, lui comme les autres citoyens de la CEDEAO, doivent pouvoir participer sans encombre, aux manifestations dans les autres pays s’ils y sont invités par des association nationales et encadrées conformément aux lois et règlement de l’Etat concerné sans que l’on ne puisse les traités d’« immigrants inadmissibles » contre qui les frontières doivent être fermées.
La fermeture unilatérale des frontières
La fermeture unilatérale des frontières est une pratique courante en Afrique où l’autoritarisme des chefs d’état permet souvent les interprétations les plus personnelles et les plus fantaisistes des accords et conventions qui sont censés gérer les relations entre nos pays.
A titre d’exemple, c’est ainsi qu’il fallait comprendre la décision de la Guinée de fermer unilatéralement, le 27 septembre 2020, ses frontières avec trois de ses voisins que sont la Guinée-Bissau, la Sierra-Léone et le Sénégal.
Dans la même logique, il convient de rappeler aussi que le 17 Janvier 1983, le Nigéria avait procédé à l’expulsion de centaines de milliers d’étrangers en «situation irrégulière» notamment des ghanéens et va récidiver pour des raisons différentes en août 2019 en fermant ses frontières terrestres avec le Bénin, le Cameroun, le Tchad et le Niger.
Sur le plan strictement juridique, il faut en convenir, tout Etat souverain a le droit de fermer ses frontières si les circonstances l’exigent. Toutefois, d’une maniéré générale au niveau international, il est de coutume que la fermeture des frontières soit liée à l’existence de péril objectivement constatable par le commun des mortels. Ainsi, à cause du Covid 19 ou de la maladie d’Ebola, les pays qui se sentaient menacés décidèrent partout de fermer leurs frontières. En vérité, une telle décision extrême doit être prise en se conformant à l’esprit des accords qui lient les Etats de la sous-région.
La CEDEAO des peuples
En 2008, les Autorités compétentes avaient décidé d’élaborer une «Vision 20020 » qui pourrait fonder la «CEDEAO des Peuples» qui reconnaitrait un rôle déterminant à la société civile dans l’élaboration des politiques publiques. Mais malheureusement, il a été constaté que les initiatives de la société civile étaient souvent assimilées par les gouvernements en place à des mouvements subversifs.
Ainsi, nos gouvernants ont du mal à accepter que Kemi Séba et Guy Marius Sagna soient, en réalité, les porte-drapeau d’une jeunesse assoiffée de souveraineté qui souhaite pouvoir disposer d’elle-même en définissant les politiques publiques de son pays et en déterminant la nature de ses relations internationales. Ces jeunes devraient être considérés dans leurs pays respectifs, ainsi que dans la sous-région, comme des personnes qui concourent réellement à l’approfondissement de la démocratie.
En effet, que serait la démocratie sans la contestation des gouvernants par des gouvernés ?
Dans nos pays où souvent par conformisme social ou politique, par contrainte économique ou religieuse, de nombreux citoyens préfèrent garder leurs opinions pour eux-mêmes, la moindre des choses est de reconnaître le courage de cette minorité, qui sans mandat explicite, se fait le porte-parole d’une partie du corps social.
Conclusion
En cela, Guy Marius Sagna du Sénégal et Kémi Séba du Bénin sont de vrais lanceurs d’alerte qui à défaut d’être acceptés par mes gouvernements de la région, devraient bénéficier de la plus grande tolérance comparable à celle qu’on accordait naguère au « fou du village » sinon au «sage» tout court, par l’intermédiaire de qui les Rois pouvaient savoir ce qui se passait dans leur royaume et ce qu’i convenait de changer.
En cela, Guy Marius Sagna du Sénégal et Kémi Séba du Bénin sont de vrais lanceurs d’alerte qui à défaut d’être acceptés par mes gouvernements de la région, devraient bénéficier de la plus grande tolérance comparable à celle qu’on accordait naguère au « fou du village » sinon au «sage» tout court, par l’intermédiaire de qui les Rois pouvaient savoir ce qui se passait dans leur royaume et ce qu’i convenait de changer.
Les Pères Fondateurs de la CEDEAO, avaient certainement rêvé d’un espace intégré politiquement et économiquement au profit de ressortissants de différents pays bénéficiant tous du statut de citoyen de la communauté. Ceux qui ont fondé la CEDEAO avaient certainement présent l’esprit qu’ils étaient les descendant de ceux qui avaient fondé les Empires d’Afrique de l’Ouest, notamment l’Empire du Ghana au 4e Siècle de notre ère de l’Empire de Samory Touré au 19e Siècle en passant par l’Empire de Soundiata Keita au 13e Siècle.
En vérité Guy Marius Sagna et Kémi Séba et les jeunes qui partagent leur opinion, à leur manière, qui peut plaire ou ne pas plaire, essayent d’apporter leur contribution à l’approfondissement de la démocratie dans l’espace CEDEAO.
Dans cet esprit, Guy Marius Sagna, Kémi Séba et ces jeunes contestataires qui luttent pour une cause commune, qui ne leur appartient mais pour laquelle ils ont décidé de consacrer leur vie, ont le droit de manifester contre ce qu’ils croient ne peut pas correspondre à leur idéal d’une Afrique indépendante.
Ces militants luttent pour le triomphe d’une Afrique unie et pour l’avènement de la CEDAO des peuples qui n’existera que grâce aux actions conscientes, lucides et déterminées de la Jeunesse solidaire de la sous-région.
Dans ce contexte, la décision des autorités sénégalaises d’autoriser une marche de solidarité le 2 Novembre 2019 qui a regroupé à Dakar la société civile sénégalaise et sa consœur guinéenne contre un troisième mandat d’Alpha méritait d’être saluée comme une des actions qui vont dans le sens de l’avènement de la CEDEAO des Peuples contenue de la Vision 2020.