La chronique géopolitique de Benoit Ngom. Pour décrypter l’actualité et apporter de la profondeur géopolitique et géostratégique aux informations, le professeur Benoit Ngom traite dans ces colonnes une analyse hebdomadaire, à retrouver tous les jeudis.
L’adhésion du Maroc à la CEDEAO a fait couler beaucoup d’encre et suscité des débats contradictoires dont les motivations, malgré les apparences, ne sont pas qu’économiques.
Le Royaume du Maroc, pays africain enraciné dans ses valeurs culturelles arabes, berbères et musulmanes jouit d’un passé historique qui a fondé des relations remontant à des temps immémoriaux avec les peuples africains vivant au-delà de ses frontières méridionales. Ce pays, qui malgré certains atermoiements d’une partie de son élite , qui voulait voir son destin arrimé à l’Europe, a redirigé fondamentalement sa diplomatie économique et culturelle vers l’Afrique.
Ce redéploiement impressionnant et efficient, le pays le doit à son Roi, Sa Majesté Mohamed VI. Ce souverain très attaché à son continent africain, animé d’une réelle volonté de puissance, au service de la grandeur et de l’influence de son pays, et adepte de l’organisation et de la méthode chère au Président Senghor, a conquis progressivement l’esprit des milieux économiques et politiques africains les plus avertis.
Conscient que l’influence économique et l’influence diplomatique devaient aller de pair, il a amené son pays à s’investir dans les actions humanitaires d’envergure au profit de nombreux pays africains et a construit de multiples édifices religieux à travers le continent.
Mais c’est sur le plan économique que le Maroc, qui n’est pas cité parmi les pays gaziers ou pétroliers, aura montré le plus d’audace dans sa volonté de contribuer au développement et à l’intégration de l’Afrique.
Comment alors ne pourrait-on pas comprendre que le Maroc veuille intégrer l’organisation africaine la plus parachevée dans son développement qu’est la CEDEAO ? Comment comprendre et justifier le mouvement hostile à une telle adhésion ?
Une contribution réelle à l’intégration et au développement du continent
Le Maroc sous l’impulsion organisée de son Roi, a étendu ses tentacules économiques dans de nombreux pays et différentes zones linguistiques et économiques du continent. Ces investissements, à notre connaissance, ont toujours bénéficié de l’aval des milieux économiques et politiques des pays d’accueil car ils contribuaient à régler des problèmes sociaux urgents dans des domaines immobiliers, sanitaires ou industriels. Ces réalisations, connues des populations, ont contribué aussi à asseoir progressivement une image positive du Maroc qui a montré qu’une coopération Sud-Sud est possible dans tous les domaines.
Dans cet esprit, grâce au déploiement de ses banques à travers de nombreux pays du continent, le Maroc a pu structurer des projets d’investissements majeurs qui ont vocation à avoir un impact social très significatif.
En Ethiopie, on peut citer le projet phare du Groupe OCP portant sur la construction d’une usine de fertilisants à Dire Dawa dont le financement se décline en plusieurs milliards de dollar américains.
Toujours dans le domaine économique, le Maroc a lancé avec le Nigéria, la réalisation du méga projet d’un gazoduc d’une longueur de presque 4000 km qui va traverser une douzaine de pays
Dans la même sous-région. En outre, d’importants investissements dans des domaines très différents ont été effectués dans des pays comme la Guinée le Sénégal et la Côte d’Ivoire par exemple.
Le Roi Mohamed VI a compris très tôt que le Maroc serait d’autant plus influent économiquement et diplomatiquement qu’il sera à coté de ses pays frères dans les organisations africaines. Ainsi, le retour au sein de l’UA en 2017 était une illustration de cette volonté profondément enracinée de consolider l’ancrage définitif du Maroc à l’Afrique. Cette décision aurait pu être suivie de l’adhésion à la CEDEAO si celle -ci n’avait pas été contrée par un mouvement de refus.
Africa must unite
Les oppositions à l’adhésion du Maroc à la CEDEAO me paraissent participer de considérations plus culturelles qu’économiques fondées plus sur l’ignorance que sur des bases rationnelles généralement partagées. En effet, comment peut-on comprendre que des pays qui coopèrent économiquement avec le Maroc, des pays dans lesquels la présence économique et financières du Royaume est si patente, puissent soutenir qu’en partageant avec ce pays une même organisation ils seraient lésés ? Comment peut -on penser que le relèvement du poids économique du groupe, la CEDEAO, par l’adhésion du Maroc, ne profiterait pas à l’ensemble des pays membres ? A cet égard, il est dit que cette adhésion ferait de la CEDEAO la 16e plus puissante entité économique du Monde.
Comment puis-je imaginer que le Nigeria peuplé de 200 millions d’habitants, puissance pétrolière et gazière, pays de grands capitaines d’industrie dont certains, individuellement, sont les plus riches d’Afrique, et d’une intelligentsia qui dans tous les domaines ne cesse de démontrer au Monde ses capacité d’innovation, puisse se sentir menacé par le Maroc ?
Les intellectuels qui s’opposent à l’adhésion du Maroc à la CEDEAO doivent relire les écrits de nos premiers leaders après l’accession de nos pays à l’indépendance notamment Kwamé Nkrumah , l’Osagyefo défenseur du panafricanisme, qui autour des grands leaders comme Gamal Abdel Nasser, Sékou Touré et Modibo Keita entre autres se retrouvèrent à Casablanca en 1961 pour tracer les contours idéologiques et politiques de ce que sera la future Organisation de L’Unité Africaine OUA .
En vérité, notre force est dans l’unité. L’histoire coloniale nous avait séparé, la volonté politique doit nous unir. L’élite africaine doit bannir les égoïsmes, la cupidité et le goût de la facilité afin de se mobiliser pour l’avènement d’une solidarité active qui va nous amener à mutualiser nos forces parfois éparses.
L’histoire de la constitution de l’Union Européenne, à cet égard, devrait inspirer nos dirigeants dans l’évaluation de la requête du Maroc concernant son adhésion à la CEDEAO. En effet, c’est la lucidité des Pères fondateurs de l’Europe, qui après avoir mis à niveau les nouveaux membres, a permis de créer aujourd’hui l’une des entités économiques, culturels et politiques les plus influentes du monde.
Le Maroc a sa place dans la CEDEAO
Les obstacles à l’admission du Maroc à la CEDEAO sont liés en grande partie à l’ignorance, qui marginalise les populations concernées, et qui empêche l’existence d’une véritable opinion publique en faveur d’une telle cause. En effet, au moment où nous écrivons ces lignes, nous pouvons valablement nous demander dans lequel des pays concernés, il y’a eu le moindre débat public de grande ampleur sur ce sujet.
Les africains doivent savoir et accepter aussi que les auto-proclamations « panafricanistes » des élites ne peuvent pas suffire à assurer l’intégration de l’Afrique.
Nous devons l’admettre, les africains se connaissent très peu entre eux. Entre ressortissants de pays différents, rares sont ceux qui ont conscience de partager une culture africaine commune, ils se tolèrent plus qu’ils ne se connaissent. Leur vision de l’Afrique, participe plus du ressenti que d’une réelle connaissance de la culture des autres.
Ains chez bon nombre d’africains, les pays du Maghreb sont rarement perçus comme des pays appartenant à l’univers culturel du continent. Si cette vision est plus nuancée dans les pays où résident des musulmans appartenant à la confrérie Tidiane, par exemple, la connaissance du Maghreb de ces derniers se limite globalement à des considérations religieuses et confrériques. Ainsi, leur perception du Maroc ou de l’Algérie est intimement liée à leur ressenti par rapport à Cheikh Ahmed Tidjane fondateur de la confrérie Tidiane, né en Algérie et enterré au Maroc.
Par ailleurs, pour certains Maghrébins, pendant longtemps et encore aujourd’hui, l’Afrique, c’est là où habite les noirs, de l’autre côté du Sahara, comme si eux vivaient quelque part entre cette Afrique et l’Europe. A cet égard, bon nombre d’entre eux ont toujours perçu leur pays comme l’arrière-cour de l’Europe, continent qu’ils pensent être leur partenaire naturel au développement.
C’est en considération de cela que les actions du Roi Mohamed VI, en faveur d’une plus grande intégration de son pays dans une dynamique globale et concertée en faveur du développement du Continent africain, sont révolutionnaires vues du Maghreb et exemplaires vues des autres pays africains.
En vérité, les pays africains n’ont pas réellement pris en compte la dimension culturelle dans leur politique d’intégration et de la consolidation du bon voisinage. En effet, l’intégration ne pourra pas être portée uniquement par des matchs de football ou de basketball.
Dans cet esprit, les pays africains doivent se doter d’une véritable diplomatie culturelle afin de mieux sceller des relations les plus fraternelles possibles d’abord entre les pays frontaliers et ensuite avec les autres pays du continent.
La conscience d’appartenir à un espace culturel africain commun est la seule chance pour prétendre réaliser l’intégration africaine par la ZLECA dont la seule existence, à bien des égards, devrait pouvoir justifier l’adhésion du Maroc à la CEDEAO
BENOIT NGOM, Président de l’Académie Diplomatique Africaine (ADA).