[La chronique géopolitique de Benoit Ngom]. Pour décrypter l’actualité et apporter de la profondeur géopolitique et géostratégique aux informations, le professeur Benoit Ngom, président de l’Académie Diplomatique Africaine (ADA), traite dans ces colonnes une rubrique hebdomadaire, à retrouver tous les jeudis.
Le Président des Etats Unis d’Amérique JOE BIDEN, en costume de «Leader du Monde Libre», envisage l’organisation du 9 au 10 décembre prochain d’un «Sommet pour la démocratie» dont les thèmes seront : «Lutter contre l’autoritarisme , combattre la corruption, et promouvoir le respect des droits humains». Ce devrait être l’occasion pour les Etats Unis, suite aux manifestations du Mouvement «Black Lives Matter» après le meurtre en direct de George FLOYD et l’accession au pouvoir du nouveau Président démocrate, de montrer au monde ce qui a changé dans ce pays et qu’est-ce que ce pays peut et veut faire pour le triomphe mondial des idées républicaines et démocratiques. Ce devrait être une grande opportunité pour certains Etats africains qui sont invités de montrer que dans ce combat, ils ne sont pas en reste.
Dans cet esprit, nous saluons cette initiative, qui se déroulera dans un mois béni que le calendrier international à consacrer à la protection des droits humains. Ainsi le 2 de ce mois est consacré à l’abolition de l’esclavage et le 10 à l’anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce rendez-vous nous offre l’occasion de parler du Sénégal, démocratie confirmée qui, grâce à une Justice parfois chahutée mais toujours debout, cherche à améliorer son système de protection des droits de l’homme. Toutefois, nous avons bien à l’esprit que les droits de l’homme ne peuvent pas être réduits à la seule mobilisation pour la libération de prisonniers politiques ou en faveur de personnes subissant la détention arbitraire. Le non-respect des droits de l’homme se décline en beaucoup de situations qui sont souvent imputables à des actes posés, en toute illégalité, par des personnes revêtues de l’autorité publique. C’est le cas du chauffeur qui gare sa voiture suite à l’injonction de l’homme de tenue, alors qu’il est conscient de n’avoir commis aucun délit.
C’est le cas aussi de ce citoyen qui a investi toutes ses économies pour construire une maison qu’un jour les bulldozers viennent casser parce l’Administration, qui l’avait vu la construire sans rien dire, a décidé d’appliquer brutalement une disposition légale restée longtemps enfouie dans les archives de l’Etat. C’est le cas enfin de ces citoyens qui, convaincus que leur constitution garantit la liberté d’expression, de marche et de réunion, se retrouvent embastillés parce que l’Administration leur a opposé son interprétation arbitraire de la Loi fondamentale. En Afrique, il convient de le souligner, malgré les efforts de certains démocrates, l’arbitraire est à tous les coins de rue du fait de la culture de l’autoritarisme fondamentalement encrée dans le mental des populations qui s’en accommodent, pendant que leurs gouvernants l’exercent par l’intermédiaire des hommes en tenue.
Suprémacisme de la tenue ou l’usage abusif de la force publique
Souvent des hommes qui se croient tout permis au nom d’un certain «supremacisme» de la tenue, agissent comme une meute et posent des actes que leur hiérarchie n’a jamais commandités, mais qu’elle croit devoir couvrir en cas de fait accompli. Dans ces situations, le comportement républicain devrait plutôt inciter les autorités concernées à renverser les mécanismes de solidarité, qui doivent privilégier les exigences du corps social sur les réflexes d’autodéfense du corps en arme. La tenue devrait être le signe de ralliement des protecteurs de la république mais pas d’un groupe d’hommes armés pensant agir au nom d’un gouvernement. Ainsi, même dans un pays comme le Sénégal, ou des pas de géant ont été posés depuis le début de l’indépendance pour asseoir l’Etat de droit, consolider la démocratie et sacraliser la protection des droits de l’homme, que de bavures attribuées à des hommes en tenue, contre des citoyens sénégalais dans l’exercice normal de leurs droits de citoyens, ont été constatées et décriées sans qu’aucune sanction n’ait frappé leurs auteurs qui semblent toujours bénéficier d’une garantie totale d’immunité.
A cet égard, on peut citer, à titre d‘exemple, de nombreux cas de maltraitance injustifiée de citoyens parmi lesquels ceux concernant la journaliste camerawoman de Dakar actu Adja Ndiaye dont les images sur son lit d’hôpital avaient ravivé les souvenirs de Fallou Séne, Elimane Touré, Abdoulaye Timéra El Hadji Thiam et autres blessés ou tués dont les agresseurs n’ont toujours pas été sanctionnés. En détention préventive, jugés et condamnés ou ayant perdu la vie juste après l’interpellation des Forces de l’ordre, ils sont nombreux à mourir de manière brutale sans que les causes de leurs décès ne soient connues. La déclaration qui suit ces genres d’incidents indique toujours qu’« une enquête est ouverte». Contre ces pratiques, il est souhaitable que l’état républicain réagisse.
Renforcer la primauté du droit et lutter contre l’impunité
Le sentiment que les auteurs de ces actes répréhensibles bénéficient toujours de l’impunité est une grave menace pour la stabilité de la République. La république pour être une et indivisible doit être impartiale et éditer des normes de comportement générales et impersonnelles. Les dirigeants d’une république doivent veiller à ce que la Justice ne soit pas estampillée par une partie du peuple comme partiale et inique. Le Sénégal à cet égard, malgré les atermoiements qui ont pu être constatés , essaye de veiller au respect de la dignité humaine et au renforcement permanent de la Justice dans sa lutte contre l’impunité des hommes en tenue. Nous citerons, à cet égard, trois exemples récents qui nous paraissent aller dans ce sens. D’abord la décision de la Chambre criminelle de Diourbel qui a jugé les quatre policiers accusés de meurtre avec barbarie et acte de torture sur la personne du jeune apprenti chauffeur Ibrahima Samb, en 2013. Ces policiers reconnus coupables de violence suivie de mort sans intention de la donner ont écopé de la même peine de 10 ans de travaux forcés et l’Etat du Sénégal, reconnu civilement responsable, a été condamné à payer des dommages et intérêts à la partie civile.
Récemment, dans la même logique de protection du citoyen contre l’arbitraire des forces publiques, le tribunal de Grande instance de Fatick a infligé aux cinq policiers qui sont accusés d’avoir tué Mamadou Lamine Koita, un jeune conducteur de moto-Jakarta, décédé suite à son interpellation par les agents du Commissariat de police, la peine de 2 ans de prison dont 6 mois ferme, assortie d’une condamnation à payer à la famille de la victime une très lourde amende. Dans le même esprit, L’annonce il y’a quelques mois, lors d’une conférence annuelle des chefs de Parquet, par le Ministre de la Justice, Me Malick Sall, relative à la nécessité de remettre en question l’usage abusif des mandats de dépôt peut constituer, si c’est appliqué, la fin d’une certaine banalisation de la privation des libertés individuelles. En effet, le peu de cas que certains magistrats ont pu faire de l’importance primordiale de la protection des libertés a entrainé souvent l’aggravation des situations dégradantes dans lesquelles des détenus ont pu se retrouver dans des prisons encombrées.
Sénégal, rassembler les poussins à l’abri des milans
Le Sénégal doit aspirer à être la patrie des droits de l’homme pour ses citoyens et pour tous les frères africains qui, pour longtemps encore, vont devoir vivre en passant sous les fourches caudines des régimes dictatoriaux. En effet, le grand dessein du Sénégal, selon son hymne national est de «rassembler les poussins à l’abri des milans». Dans son aspiration à être un pays leader, le Sénégal doit miser sur l’éducation de ses citoyens qui doivent apprendre à se respecter et à respecter tout ce qui participe de la défense du bien commun et de l’intérêt général.
En effet, le respect des droits de l’homme ne saurait être, seulement un discours mais il doit être la résultante d’un comportement conscient qui découle de l’éducation. Les citoyens sénégalais doivent être éduqués à se respecter davantage entre eux, à respecter les forces de sécurité, gendarmes et policiers, sans le dévouement desquels nul d’entre nous ne pourrait dormir ou se promener en toute quiétude. A contrario, l’Etat ne doit pas donner l’impression de favoriser l’impunité en ne sanctionnant jamais la partie gangrenée ou accidentellement fautive de la gendarmerie ou de la police dont l’immense majorité des membres, depuis l’accession de notre pays à l’indépendance, montre au quotidien son attachement aux valeurs de la république.
Des citoyens bien éduqués qui s’inspirent des valeurs fondamentales de leurs civilisations seraient prémunis contre toute tentative d’invectiver ou d’agresser arbitrairement des personnes revêtues de l’autorité publique. De même des agents de police ou de gendarmerie, bien formés aux valeurs républicaines de respect des droits civiques et de l’intégrité physique de leurs concitoyens et bénéficiant d’une protection sociale adéquate de la part de l’Etat, seraient moins enclins à user abusivement de la force contre leurs compatriotes. Les pouvoirs publics doivent constamment rechercher un état d’équilibre entre l’usage proportionné de la force légitime par les hommes en tenue, la nécessité de protéger la force publique contre les agressions malveillantes et l’impératif catégorique de préserver l’exercice régulier des libertés publiques.
En effet, tous les observateurs avertis ont compris que le déséquilibre international auquel nous assistons actuellement dans de nombreux pays africains a essentiellement pour cause, la révolte contre l’injustice exercée par une partie du peuple sur l’autre, à cause du détournement de la fonction républicaine des forces armées ou de la police, dont certains membres sont transformés en des sicaires d’une bourgeoisie cupide et peu patriote. Le Sénégal, nous semble-t-il, une exception démocratique en Afrique, dans le sillage de son évolution historique pourra valablement donner sa mesure lors du Sommet de Joe BIDEN.