Par Mouhamadou Falilou BANE, Docteur en Sciences de Gestion, Maitre de Conférence des Universités Françaises.
L’entreprise reste une entité économique et sociale qui regroupe des individus en vue d’atteindre des objectifs. Depuis la révolution industrielle, beaucoup de théories se sont succédées pour apporter des éclairages sur la marche des organisations, de Taylor à Fayol, en passant par les approches contingentes. Toutefois, quel que soit le domaine d’activité, la maîtrise des coûts, la satisfaction des clients, la conquête de nouveaux parts de marchés, l’innovation, la rétention de talents constituent les défis au sein des entreprises.
En dehors des schémas organisationnels, ce sont les hommes qui portent ces défis, la finalité étant la performance. Henry Ford disait ceci : «Prenez-moi tout mais laissez-moi mes hommes et je reconstruirai». Cette pensée de Henry Ford doit interpeller sur la qualité et les compétences des ressources humaines au sein des organisations. Les compétences techniques sont fondamentales pour assurer une mission, mais elles ne suffisent pas. Il faut compter également sur les qualités humaines, les soft-skills. La revue scientifique «Havard Buisness review » (février 2016) consacre un numéro spécial aux soft-skills pour montrer son importance dans la performance des salariés. Dans ce papier, nous analysons les comportements humains ayant des incidences sur les coûts cachés et la performance des entreprises.
Qu’entend-on par soft-skills?
Les soft-skills font référence aux aptitudes comportementales du manager (savoir-être). Toutefois, il n’existe pas de liste de Soft-skills normée. Au sens large du terme, il s’agit de toutes les compétences qui ne font pas partie des référentiels de diplômes classiques. D’après une étude publiée en 2019 par Cadremploi et Michael Page, plus de la moitié des décideurs en entreprise (cadres et dirigeants) seraient prêts à recruter essentiellement sur la base des soft-skills des candidats. Dans le contexte de Covid-19 où les entreprises se réinventent pour exister, croître, l’incorporation des soft-skills se pose avec une plus grande acuité. Nonobstant les progrès de la science, le développement de l’intelligence artificielle, la transformation digitale, la pandémie remet l’homme au cœur de la société.
Quelles sont les soft-skills à acquérir et développer ?
La liste n’est pas exhaustive. Néanmoins nous mettons l’accent sur quelques soft-kills qui nous paraissent essentielles.
a. Le leadership
Le leadership peut être défini comme la capacité à inspirer, à influencer positivement un individu ou un groupe. Il peut également s’analyser comme la capacité à motiver, à fédérer, à guider son équipe afin que chaque collaborateur contribue efficacement et de manière performante à l’atteinte des objectifs fixés.
b. L’esprit d’équipe
Il est important, au sein des organisations, de déployer des synergies au profit de l’intérêt général. On entend d’ailleurs très souvent parler de dynamique de groupe, excellent levier pour la productivité et pour la performance. La dynamique de groupe facilite la prise de décision et réduit l’aversion au risque. En outre, elle favorise la mise en place d’un cadre de dialogue et de partage. Ce qui favorise in fine les innovations et la créativité. Toutefois, le cadre doit être préparé depuis sa formation à travailler en équipe.
c. La communication :
Entre collègues ou avec les différentes parties prenantes de l’organisation, Il est primordial de savoir communiquer. Dans la communication on sous-entend la capacité d’écoute, la communication orale et écrite. Lorsqu’on gère, on passe des messages à ses collaborateurs, ceux-ci doivent être clairs et concis pour limiter/éviter toutes interprétations erronées. Dans le monde des affaires, la communication est essentielle pour convaincre des clients, des actionnaires, des partenaires financiers etc.
d. L’intelligence émotionnelle :
D’après les chercheurs John Mayer et Peter Salovey, l’intelligence émotionnelle peut se définir comme : «la capacité à percevoir, reconnaître et exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre les émotions et à les maîtriser afin de favoriser l’épanouissement personnel».
Ainsi, c’est aussi grâce à l’intelligence émotionnelle que le collaborateur pourra comprendre les émotions des autres et adapter son comportement ainsi que son message.
e. La créativité :
A la base de toute innovation, la créativité est une compétence recherchée au sein des organisations. Elle permet de s’éloigner des pratiques courantes et d’aller à la conquête des océans bleus. En marketing/stratégie, le concept d’océan bleu est mobilisé pour désigner les espaces de marché non explorés, par opposition aux océans rouges saturés de concurrence.
f. La résolution de problèmes :
Dans un contexte de changement perpétuel et de concurrence exacerbée, chaque collaborateur doit être capable de résoudre des problèmes complexes. Cela implique les aptitudes suivantes : une analyse critique des situations, la capacité à rebondir avec méthode face à un problème pour trouver une ou des solutions.
g. L’empathie :
En lien avec l’intelligence émotionnelle, elle est à dissocier de la compassion. Elle désigne la capacité à se mettre dans la peau de son interlocuteur pour décrypter les messages. Que ce soit le commercial qui cherche à vendre ses produits ou services ou le chef d’équipe en face de ses collaborateurs, l’empathie permet de se remettre en question, et d’envisager les choses autrement : c’est une forme d’agilité.
h. La gestion du temps
La gestion du temps permet de structurer son travail pour gagner en productivité. De nombreux auteurs se sont penchés sur la gestion du temps dans les organisations (Taylor, Pareto, Douglas…). Ils s’accordent sur la nécessité d’utiliser efficacement le temps au sein des organisation surtout dans un monde ultra connecté aux journées bien remplies. Le temps est une valeur importante.
Quelles relations avec la performance de l’entreprise et les coûts cachés ?
L’entreprise existe pour produire des biens et services pour des clients qui sont devenus plus exigeants avec la société de consommation et la globalisation. Ainsi, la compétition ne se fait plus sur le plan local, il faut s’adapter ou disparaitre (théorie de Darwin). La recherche de performance et la maitrise des coûts visibles ou cachés constituent des préoccupations majeures au sein des entreprises. La performance s’entend comme l’atteinte des objectifs organisationnels et fait référence à cette combinaison : efficacité et efficience. La notion d’efficience désigne le rapport entre les résultats obtenus et les ressources utilisées. Ainsi, la maitrise des coûts « visibles » ou cachés constitue un préalable au pilotage de la performance, une des attributions majeures du contrôle de gestion.
Les coûts « visibles » sont évalués par la comptabilité générale de l’entreprise sans grande difficultés, ils se rapportent aux frais d’exploitations et dépenses d’investissement de l’entreprise. La notion de coûts cachés a été développée par le professeur émérite H. Savall, chercheur à l’université Jean Moulin Lyon 3. Il stipule que les coûts cachés proviennent généralement de dysfonctionnements organisationnels et de comportements humains. La littérature met en évidences les principaux coûts cachés ci-dessous :
• L’absentéisme
• les produits ou services de mauvaise qualité
• le turnover élevé (rotation élevée du personnel)
Un employé qui a du mal à travailler en équipe peut avoir tendance à s’échapper des réunions voire entretenir des relations conflictuelles avec ses collègues. Ces situations engendrent souvent de l’absentéisme donc une situation improductive pour l’organisation. En outre, un directeur dont le leadership est remis en cause portera difficilement des changements. Il est clair qu’une absence de renouvellement de la stratégie et des méthodes employées engendre une stagnation, des coûts cachés et de la contre-performance.
Dans le cadre de la vente, un commercial qui communique mal avec ses prospects par absence d’empathie et de capacité d’écoute fait nécessairement perdre des clients potentiels à l’entreprise. Des ouvriers qui ne sont pas motivés pour diverses raisons peuvent avoir tendance à préparer des produits ou délivrer des services hors délais ou qui ne respectent pas les cahiers des charges. Ainsi, les coûts cachés vont se traduire à travers la perte de l’image de l’entreprise, le temps passé pour gérer les réclamations etc.
Enfin, le cadre qui n’accepte pas de mettre à jour ses compétences se voit dépassé par les diverses évolutions contemporaines. Les cadres doivent se concentrer sur ce triptyque : Conception-conduite de la stratégie et conseils. Toutefois, si les connaissances ne sont pas mises à jour celles-ci deviennent obsolètes. Et le cadre passera beaucoup de temps pour décrypter des situations. En somme, nous voyons qu’il existe des comportements ou attitudes qui génèrent de la contre-performance et des coûts cachés pour l’entreprise, d’où l’intérêt de mettre l’accent sur les soft- skills.
Comment acquérir et développer ces soft-skills ?
Les business schools ont une grande responsabilité dans la vulgarisation des soft-skills. Certains comportements se développent dans les espaces de socialisation comme les lieux de formation. Ainsi, le fait de mettre l’accent sur la formation par la pratique tout au long de leur cursus à travers des projets académiques ou associatifs, les étudiants développent naturellement la capacité à résoudre des problèmes avec une complexité croissante. Par exemple, les projets menés en équipe sont très enrichissants pour les étudiants. Le but est de mettre en avant leur capacité à travailler en équipe, le leadership, la créativité, la communication, la prise d’initiative.
Au sein du Groupe Supdeco Dakar, l’une des premières Buisness schools d’Afrique subsaharienne, cette tendance est observée. Lors des débats à l’occasion des évènements comme les panels « Alumnis talk », nos diplômés face à nos étudiants mettent le focus sur l’importance de la vie associative et les projets collaboratifs. Ils témoignent toujours sur l’apport bénéfique de cette méthodologie sur leur développement personnel. En somme, ce sont les hommes qui font l’entreprise et décuplent sa performance à condition d’avoir les aptitudes comportementales adéquates pour les mettre au service des hard-skills.
Mouhamadou Falilou Bane
Docteur en sciences de gestion, Directeur de l’Ecole de management et de la recherche du Groupe Supdeco Dakar.
2 commentaires
Rien a ajouter
Sublime
C’est indispensable pour le développement personnel de tout un chacun. Les soft skills nous permettent, quelques soit nos compétences de fournir plus d’efforts pour converger vers la perfection humaine.