«2022 sera l’année de notre plein envol»
La Côte d’Ivoire vient de réactiver son Fonds de Garantie des crédits aux PME (FGPME), une mesure phare du Président Alassane OUATTARA pour faciliter l’accès des PME aux financements. Cette structure essentielle qui intervient deux ans après que la BCEAO ait mis en place un mécanisme de refinancement des crédits octroyés par les banques aux PME est dirigée par Marcellin ZINSOU, un expert du secteur privé ivoirien en la matière avec 18 années de banque au compteur et 6 ans dans les organisations patronales du secteur privé puis au Ministère en charge des PME. Dans cet entretien exclusif, le haut cadre ivoirien revient sur la relance du FGPME, ses enjeux et ses perspectives.
A quand remonte la création du Fonds de Garantie des crédits aux PME de la Côte d’Ivoire ?
Le FGPME a été créé en 1968 par le Président Félix Houphouët-Boigny. A l’époque, les chefs d’entreprise ivoiriennes étaient venus le solliciter pour qu’il leur facilite l’accès aux guichets des trois banques françaises d’alors qui ne prêtaient qu’aux français et aux syro-libanais. En réponse au contexte, le Président Ivoirien a mis en place un Fonds de Garantie des crédits aux Entreprises Ivoiriennes. Le fonds accompagnera toutes les entreprises ivoiriennes jusqu’en 1999 avec le Coup d’Etat où tous les fonds nationaux et sociaux logés à la Caisse Autonome d’Amortissements (CAA) furent gelés. Avec l’arrivée du Président Alassane OUATTARA, en 2012 le Gouvernement ivoirien initia le Plan Phénix pour les PME avec l’appui de McKinsey et dans la foulée le Président Alassane OUATTARA fit prendre en 2014 une loi d’orientation des PME. Ladite loi préconisait la mise en place d’un fonds de garantie pour les PME.
Ce programme d’orientation date de 2014. Qu’est-ce qui a expliqué le retard de la concrétisation du Fonds de Garantie des crédits aux PME ?
A un certain moment, l’on a fait venir des consultants étrangers qui ne connaissaient pas forcément l’écosystème des PME et l’environnement économique de la zone UEMOA, alors que l’expertise et les sachants existaient sur place. Nous avons donc perdu quatre ans. A la fin 2018, Félix ANOBLE, le nouveau Ministre de la Promotion des PME, décida de mettre en place le fonds de garantie prévu par la Loi d’orientation des PME et nous recruta dans son Cabinet pour conduire ce projet. Etant un ancien cadre de la Caisse Autonome d’Amortissement (CAA), j’avais connaissance de l’existence du fonds de garantie qui y sommeillait et qui n’avait pas été mouvementé depuis plusieurs années. Notre reflexe fut donc de ne point réinventer la roue mais de plutôt actualiser l’existant. De 2019 à 2020, il a fallu engager la bataille pour l’adoption des textes régissant le FGPME. Le 6 janvier 2020 lors de la présentation des vœux au Président de la République par le secteur privé, celui-ci lui formule le vœu d’un fonds de garantie. Le Président de la République voulu bien accéder à la demande du secteur privé en insistant sur le fait que cet instrument devait absolument faire baisser les conditions et les coûts des financements aux PME par les banques. Deux jours plus tard, le décret fut adopté le 08 janvier 2020. Par la suite, on a pris un an pour opérationnaliser le FGPME, mettre en place des manuels de procédure, des systèmes d’information et recruter des experts reconnus en garantie. Malheureusement, l’opérationnalisation du FGPME fut ralentie dès mars 2020 avec le début de la pandémie du coronavirus. L’Etat de Côte d’Ivoire a néanmoins maintenu le projet, soutenu par la Banque Mondiale qui en fit une initiative stratégique pour la relance post Covid-19. Le FGPME a donc continué de renforcer sa structure. Le 8 juillet 2020, un nouveau décret est adopté pour renforcer la gouvernance du FGPME et l’aligner sur les normes de l’OCDE ; à la suite de quoi la Banque Mondiale mis en place un appui budgétaire et un programme de garantie de 21 millions de dollars USD pour le FGPME. Nous avons démarré nos opérations début 2021 avec 4 structures financières (sur 32 banques et 30 SFD article 44 que comptent la Côte d’Ivoire) afin de pouvoir éprouver nos processus et l’appétit des structures financières.
Où en êtes-vous exactement aujourd’hui en termes d’engagements ?
En ce mois de décembre 2021, après 11 mois d’exercice plein en cette phase de test, on peut dire que nous avons engagé 1 milliard de FCFA de garanties individuelles émises pour des financements allant jusqu’à 3 milliards de FCFA. L’effet de notre présence se reflète sur l’écosystème du crédit. Les banques sont plus à l’aise pour prêter aux PME. D’ailleurs, nous allons élargir nos conventions avec les autres banques dès 2022, année de notre plein envol. Avec le soutien de la Banque Mondiale nous allons lancer dès janvier 2022 la 1ère solution locale de Garantie de Portefeuille (qui a été présentée aux Banques le 28 octobre dernier) ; et nous mettrons en place avec les autres partenaires multilatéraux plusieurs guichets dédiés spécifiquement aux startups, aux entreprises dirigées par les femmes, aux PME dans le secteur du Vivrier. Nous allons être pleinement opérationnel en 2022 et pouvoir massifier l’intervention de l’Etat de Côte d’ivoire sur l’écosystème des PME (chiffre d’affaire <= à 1 milliard de FCFA).
Quelles sont les caractéristiques des PME ciblées et les produits que vous proposez ?
Notre mission est d’accompagner les PME qui selon les textes de la BCEAO, de l’UEMOA et de la CEDEAO se définissent par un chiffre d’affaires inférieur ou égal à 1 milliard de FCFA. Nous proposons deux types de produit pour faciliter l’accès des PME aux financements : il y a d’abord la garantie individuelle, solution ivoirienne, originale, pour faciliter l’accès au financement des PME, des startups et TPE où nous apportons jusqu’à 80% du montant de la garantie sollicité par la banque ; puis les garanties de portefeuille dans lesquelles c’est la banque qui sélectionne les PME et nous saisit en cas de sinistre.
Justement, pourquoi un tel blocage des banques quand il s’agit de prêter aux PME ?
Il y avait plusieurs raisons. La première raison est liée au dispositif de refinancement des crédits consentis par les banques aux grandes entreprises par la BCEAO depuis plus de 20 ans maintenant. Ce dispositif a favorisé une attraction des banques pour les grandes entreprises. Comme deuxième raison, la profusion dans notre zone de nombreuses garanties de portefeuille octroyées aux banques par les gros vendeurs de garanties (Proparco, MIGA, AGF, FAGACE, FSA, etc.) et leur détournement pour juste améliorer les ratios des banques ou pour d’autres cibles surtout lorsque celles-ci sont accordées pour accompagner les PME. En effet, vous remarquerez que malgré que toutes les banques soient multi couvertes en garantie de portefeuille, elles hésitent toujours à prêter aux PME. Elles ont trouvé la parade en créant des départements PME qui prêtent effectivement aux entreprises de tailles intermédiaires (chiffre d’affaire entre 1 milliard et 5 milliards) et non aux vrais PME. D’où la faiblesse des volumes de crédits consentis aux vrais PME alors que toutes les banques vous disent accompagner les PME !
Enfin, vu le taux de sinistralité sur les PME, mis en évidence par la centrale des risques et des défauts ; cela a poussé les banques à détourner leurs concours au profit des entreprises de tailles intermédiaires qui sont mieux structurées que les PME. Tous ces 3 raisons créent une aversion naturelle à laquelle beaucoup de banquiers ont été formés par défaut ces 20 dernières années.
En quoi est ce que votre fonds de garantie vient donc améliorer la situation existante ?
Jusqu’à fin 2018, la BCEAO ne refinançait que les prêts accordés aux grandes entreprises. Pour casser cette asymétrie, la BCEAO a mis fin 2018 en place pour les PME un dispositif de refinancement des crédits consentis par les banques aux PME ; ce qui en théorie devrait augmenter l’appétit des banques envers les PME.
Ce dispositif s’inscrit dans le dispositif de la BCEAO pour faciliter l’accès aux financements par les PME. Une recommandation importante de ce dispositif est faite aux pays pour la mise en place de fonds de garantie qui viendrait partager le risque avec les banques et supprimer ainsi l’aversion naturelle de ces dernières pour les PME.
Le Fonds de Garantie des crédits aux PME est la réponse de l’Etat de Côte d’ivoire à cette recommandation. Le FGPME vient donc proposer des solutions locales et de proximité de garantie individuelle et de garantie de portefeuille peu couteuses.
En tant que président du FGPME et du Comité ivoirien de suivi du Dispositif de la BCEAO pour la facilitation de l’accès aux financements des PME (CISAE) ; je peux vous dire qu’avec ces 2 instruments, le sourire reviens aux lèvres des PME et des banquiers. Si aujourd’hui une PME demande 100 millions de FCFA de crédit, la banque ne devrait plus comme auparavant demander en collatéral 100 millions de FCFA placés sur DAT + l’hypothèque de la maison et le nantissement du matériel. Avec la garantie individuelle du FGPME, la banque ne peut demander comme garantie qu’au maximum 50% du montant du financement soit 50 millions de FCFA et le FGPME prend 80% maximum en charge soit 40 millions de FCFA. La PME n’apportera que 10 millions pour un prêt de 100 millions de FCFA au meilleur taux n’excédant pas 9% HT. Avec la garantie de portefeuille du FGPME, la banque ne devrait plus demander de garantie à la PME qui répondrait aux caractéristiques préétablies.
Au-delà des mécanismes de garantie, comment faire pour améliorer l’accès des PME au crédit ?
Il faut des décisions fortes. En 2008 par exemple, la BCEAO avait exigé aux banques commerciales d’aller vers la finance inclusive en accompagnant les microfinances. Trois éléments avaient été mis en place : le droit aux comptes, la monnaie électronique, l’exigence aux banques de prendre part à des microfinances. Puis en 2010, la BCEAO avait imposé aux banques une structure communautaire de compensation régionale de l’activité monétique (le GIM-UEMOA). Nous allons donc en 2022 plaider auprès de la BCEAO pour qu’elle impose aux banques des délais maximum de traitement des demandes de financement n’excédant pas 15 jours ; ainsi qu’un volume minimum de 30% mensuel et de 30% annuel du volume des concours des banques à accorder aux PME (le Nigeria et le Ghana ont obligé les banques à financer les PME à hauteur de 30%). Avec nos instruments de couverture et de partage des risques et le refinancement par la BCEAO des prêts aux PME, l’on peut arriver à ces ratios.
Quelles sont vos perspectives pour l’année 2022 ?
Nous allons ouvrir en 2022 les produits de garantie individuelle et de garantie de portefeuille à toutes les banques ivoiriennes. 2022 sera l’année de notre plein envol. Avec le soutien de la Banque Mondiale nous allons lancer dès janvier 2022 la 1ère solution locale de Garantie de Portefeuille (qui a été présentée aux Banques le 28 octobre 2021) ; et nous mettrons en place avec les autres partenaires multilatéraux 4 guichets dédiés spécifiquement aux startups, aux entreprises dirigées par les femmes, aux PME dans le secteur du Vivrier et aux artisans. Nous allons être pleinement opérationnel en 2022 et pouvoir massifier l’intervention de l’Etat de Côte d’ivoire sur l’écosystème des PME et atteindre près de 10.000 PME. Cela se percevra par un accès plus aisé des PME aux financements et à moindre coût ; ainsi que l’augmentation des crédits consentis par les banques aux PME et l’augmentation du refinancement de ces crédits par la BCEAO.