« Nous travaillons à l’élimination des tracasseries routières dans l’espace CEDEAO »
En dépit des nombreux protocoles d’accord inter-Etats destinés à faciliter la circulation des personnes, des biens et des services, le processus de fluidité routière au sein de l’espace CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest) subit encore les contrecoups des tracasseries routières qui maintiennent le taux des échanges commerciaux à un faible niveau. Dans cet entretien avec Financial Afrik, Jonas Lago, le président du comité exécutif de l’Alliance Borderless explique comment sa structure travaille depuis sa création en 2011 à l’élimination de ces tracasseries transfrontalières dans la région.
Alliance Borderless est une entité de droit privé qui s’est donné pour objectif de promouvoir la facilitation du commerce et du transport en Afrique de l’ouest. Qu’est-ce qui a justifié la mise en place d’une telle initiative dans une zone où une organisation sous régionale notamment la CEDEAO existe déjà et dont les objectifs sont justement de permettre la fluidité des frontières par la libre circulation des personnes et des biens entre les Etats membres ?
En 2010, en vue de promouvoir la facilitation du commerce et des transports en Afrique de l’ouest, une campagne dénommée ‘’Borderless’’ a été lancée sous l’impulsion du Centre ouest africain pour le commerce de l’USAID (l’agence américaine pour le développement international, NDLR) avec comme objectif principal de promouvoir le commerce transfrontalier grâce à la réduction des coûts et des délais de transport. La campagne a abouti à la création de l’Alliance Borderless en mai 2011.
Nous sommes une association de droit privé qui a pour objectif de catalyser les efforts du secteur privé ouest africain et de ses partenaires, afin de proposer et de promouvoir les améliorations concrètes à la libre circulation des biens, des capitaux et des services en Afrique de l’ouest, conformément aux dispositions règlementaires de la CEDEAO. C’est donc le constat fait que les différents protocoles qui régissent le commerce et les transports en Afrique de l’ouest ne sont pas pleinement appliqués par les Etats de la région qui a présidé, entre autres, à la création de l’Alliance. En effet, celle-ci plaide pour des changements de politiques et de pratiques par les pouvoirs publics tant au niveau national que régional, en vue de l’amélioration de l’environnement des affaires. Elle œuvre également à promouvoir les meilleures pratiques parmi ses propres membres.
Quel est votre mode de fonctionnement ? Et comment faites-vous concrètement sur le terrain pour atteindre vos objectifs ?
A l’instar de Scanning Systems dont je suis conseiller chargé des Relations publiques, l’Alliance Borderless compte à ce jour une centaine d’entreprises membres de toutes tailles confondues. Son siège étant à Accra, elle est enregistrée sous la loi du pays hôte, le Ghana, et est structurée autour d’une assemblée générale des membres et des partenaires qui se réunit une fois par an pour définir les grandes orientations et la stratégie générale de l’Alliance, examiner et adopter le projet de programme d’activités et de budget, examiner et adopter les rapports d’activités du comité exécutif et élire les membres du comité exécutif ; d’un comité exécutif de neuf membres élu pour deux ans renouvelables une fois et qui assure la haute direction de l’Alliance, d’un secrétariat exécutif, structure administrative et de gestion quotidienne de l’Alliance et animée par un secrétaire exécutif et un personnel technique et administratif de neuf agents dont les spécialités couvrent les domaines d’activités de l’Alliance : plaidoyer, facilitation du commerce et des transports. Nous sommes également dotés de comités nationaux qui servent de relais de l’action de plaidoyer au niveau des pays où l’Alliance opère. A ce jour, neuf comités nationaux ont été constitués dans les pays ci-après : Côte d’Ivoire, Bénin, Nigeria, Sénégal, Burkina Faso, Niger, Ghana, Togo et Mali.
Sur le terrain, les moyens d’actions de l’Alliance s’articulent autour du plaidoyer à travers l’organisation au niveau national et régional des cadres de dialogue public-privé dont une conférence annuelle sur des thématiques liées à la libre circulation des personnes et des marchandises, aux innovations pouvant contribuer à la facilitation des échanges intracommunautaires et entre la communauté et le reste du monde, et la création et gestion d’un réseau des Centres frontaliers d’information dont la mission essentielle est de travailler aux côtés des autres acteurs aux frontières, principalement l’administration des douanes, pour réduire le temps de passage des marchandises aux frontières. En ce qui concerne la gouvernance routière, nous organisons des road shows et caravanes de sensibilisation sur les différents corridors de la région. Ces activités visent essentiellement les parties prenantes sur les meilleures pratiques en vue de l’élimination des barrières non-tarifaires dont les tracasseries routières. Dans cette même veine, l’Alliance Borderless a lancé sa plateforme électronique de suivi et de résolution des barrières non tarifaires (www.tradebarrierswa.com).
Quels sont les critères pour appartenir à votre organisation ? Qu’est-ce qu’on gagne à être membre et qu’est-ce qu’on perd en n’y étant pas ?
Il faut être une entreprise qui a un intérêt dans le commerce régional et la facilitation des transports, qui adhère à l’objet et aux objectifs de l’Alliance et qui s’acquitte des cotisations annuelles fixées selon la taille de l’entreprise (nationale ou multinationale). L’Alliance compte à ce jour une centaine d’entreprises, regroupant les parties prenantes dans les secteurs du commerce, des services, du transport et de la logistique. Le membre bénéficie de toutes les actions de plaidoyer de l’Alliance.
La facilitation du commerce et des transports dont vous faites la promotion prend-elle en compte l’harmonisation des taxes douanières entre les Etats ? Notamment pour ce qui concerne les voies maritimes ? Surtout quand on sait que le coût des taxes douanières fait partie des raisons pour lesquelles certains ports comme Lomé, Tema, ou même Cotonou sont jugés plus attractifs que celui d’Abidjan par exemple ?
Bien entendu, notre action de plaidoyer prend en compte l’harmonisation des taxes douanières entre les Etats en ce sens que nos activités visent essentiellement un commerce compétitif en Afrique de l’ouest, grâce à l’élimination des barrières au commerce et au transport. La simplification, l’harmonisation et la digitalisation des procédures administratives aux ports et aux frontières contribuent à la célérité et à la libre circulation des personnes et des biens.
Mais, il reste entendu que chaque port peut, au-delà des mesures communes propres au métier, prendre des initiatives en vue d’une meilleure attractivité. Du reste, l’Alliance Borderless est partenaire de tous ces ports que vous avez cités.
Depuis 2019, les chefs d’Etats africains ont doté le continent d’une Zone de libre-échange commercial : la Zlecaf. Vous arrive-t-il de collaborer avec le secrétariat général de cette structure ?
L’Alliance Borderless a suivi de près les différentes discussions qui ont abouti à la signature de l’Accord sur la Zlecaf. A ce titre, le secrétaire exécutif ainsi que les présidents des comités nationaux dans leurs pays respectifs participent aux activités de la Zlecaf et à toutes autres initiatives visant à consolider la communauté ouest-africaine. Mieux, dans le cadre du Programme facilitation des échanges en Afrique de l’ouest (FEAO), nous avons organisé des ateliers d’information et de sensibilisation en Sierra-Leone, au Liberia, au Niger et au Togo, afin de permettre aux acteurs économiques de tirer avantage de cet accord. Dans le futur, nous souhaitons renforcer notre coopération avec le secrétariat général de la Zlecaf qui, par bonheur, est aussi basé à Accra au Ghana.
Quel type de collaboration avez-vous avec les autorités des différents pays que couvrent vos activités ?
Notre action serait sans effet si nous ne travaillons pas avec les structures étatiques qui sont également des acteurs de la facilitation des échanges. Il s’agit entre autres des départements en charge du commerce, des transports et de la sécurité, des administrations des douanes, de la police et de la gendarmerie, des conseils des chargeurs, des chambres de commerce, etc. C’est en conjuguant nos efforts que nous pourrons créer les meilleures conditions pour une libre circulation effective des personnes et des biens, améliorer l’environnement des affaires et accroître l’attractivité de la région pour des investissements créateurs de richesse et d’emplois pour nos populations.
Notre Alliance n’est pas seulement une alliance entre acteurs du privé, mais également une alliance avec les acteurs clés du public pour relever les défis auxquels font face les opérateurs économiques de région.
Alliance Borderless existe depuis 2011. Cela fait donc un peu plus de 10 ans que vous travaillez à la facilitation des échanges inter-Etats dans l’espace CEDEAO. Pouvons-nous avoir un bilan succinct de vos années de travail ?
Vous nous donnez là l’occasion de vous livrer entre autres quelques résultats de nos actions. Il s’agit entre autres de la réduction du temps de passage à la frontière d’Aflao de 50% suite aux consultations avec la communauté frontalière en 2012, de la décentralisation du processus de vérification du certificat d’origine à tous les principaux postes frontaliers en Côte d’Ivoire en 2014, de la suppression de la taxe statistique sur les produits originaires (CEDEAO) au Bénin pour compter du 1er janvier 2015, et de l’obtention de la dispense de RFCV (Rapport final de classification et de la valeur) sur les produits du cru notamment sur les importations de céréales en provenance des Etats membres de la CEDEAO et de l’UEMOA accordée par la Direction générale des douanes ivoiriennes en août 2019, entre autres.
Ce sont ces résultats engrangés qui ont valu à l’Alliance Borderless des distinctions dont le Prix d’excellence du Meilleur promoteur de l’intégration obtenu lors de la 6ème édition du Prix d’excellence de la République de Côte d’Ivoire, un certificat de mérite ‘’Pour services exceptionnels rendus à la communauté douanière internationale’’ de la Journée internationale des douanes obtenu en 2015 et 2020, le prix SGI-GRA en qualité de défenseur de la frontière internationale de l’année, prix obtenu lors de la commémoration de la semaine nationale de la frontière en 2019, et de plusieurs reconnaissances de l’Organisation mondiale des douanes (OMD).
Aujourd’hui, le soutien que nous avons de nos partenaires vient également des résultats obtenus et de notre capacité de réaction face aux problèmes de la région.
Quel appel avez-vous à lancer à l’ensemble des Etats membres de la CEDEAO ?
Notre principal message est d’inviter les Etats membres de la CEDEAO à respecter les protocoles sur la libre circulation des personnes et des biens, auxquels ils ont librement souscrit. Il leur faut accompagner de manière courageuse toutes les initiatives innovantes visant à simplifier et harmoniser les procédures douanières pour faciliter le commerce transfrontalier. C’est à ces conditions que nous pourrons accroître substantiellement le taux des échanges intra-communautaires qui restent faibles (12%), comparativement à d’autres régions économiques du monde.
Avant de terminer mon propos, je voudrais inviter tous les opérateurs à participer à la prochaine conférence annuelle qui est une plateforme de plaidoyer pour les réformes les plus urgentes dans le secteur du transport et du commerce, tout en fournissant un cadre pour les entreprises de la région de nouer des relations d’affaires à travers le B2B et d’échanger avec les administrations publiques de la région sur les obstacles à la libre circulation des personnes et des marchandises. Elle se déroulera à Abidjan (Côte d’Ivoire) dans les mois d’avril ou mai 2022.