Alors que s’est ouvert à Bruxelles, jeudi 17 février, le 6ème sommet entre l’Union européenne et l’Union Africaine, Emmanuel Macron s’est livré la veille à un panégyrique de sa politique africaine. Mais son homologue pour l’Union africaine, Macky Sall, attend plus de l’Europe qu’un changement sémantique.
Par Christine Holzbauer.
Les relations entre l’Afrique et l’Europe doivent être refondées en profondeur pour aboutir à un véritable partenariat au bénéfice de l’Afrique. Les interventions de Macky Sall et d’Emmanuel Macron à la veille du 6eme sommet Union européenne/ Unions africaine (17-18 février), à Paris, ont donné le ton de ce que pourrait être ce «new deal» des Européens vis-à-vis de l’Afrique – que la France appelle de ses vœux !
Après s’être livré à une revue détaillée de sa politique africaine depuis cinq ans en commençant par son discours à Ouagadougou, en octobre 2017 pour finir avec le sommet Afrique France de Montpellier, en octobre 2021, le Chef de l’Etat français, qui a finalement été contraint de retirer ses troupes du Mali, s’est posé en défenseur des intérêts africains auprès des pays européens, notamment la pérennisation des financements promis depuis le dernier sommet Europe-Afrique à Abidjan.
Un engagement qu’il a réitéré dans son discours d’ouverture à Bruxelles car, comme l’avait souligné avant lui le Président Macky Sall, -qui en a profité pour décliner les huit points clés sur lesquels l’Europe doit aider l’Afrique-, « les promesses n’ont pas encore été tenues ! ». A commencer par les 100 milliards de réallocation des Droits de tirage spéciaux (DTS) à l’Afrique qui avaient pourtant été promis lors du Sommet sur les financements des économies africaines, à Paris, le 18 mai 2021.
Mieux financer les infrastructures
L’Elysée a précisé qu’Emmanuel Macron a pu s’entretenir jeudi, à Bruxelles, en marge du sommet, avec la Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgiavia. Il a réitéré l’engagement de la France de réallouer 20% de ses DTS au bénéfice de la relance des économies africaines. La poursuite des initiatives de traitement de la dette africaine a également été discutée.
Pour le Chef de l’Etat français, il est crucial en effet que l’Europe soit au rendez-vous des besoins de financement du continent africain, surtout après la pandémie qui l’a durement frappé sur le plan économique. Selon les derniers chiffres de l’OCDE, l’Afrique va souffrir d’un recul net de sa croissance en 2022, se situant en dessous de la moyenne du taux de 5% au niveau mondial.
Dans son entourage, on avoue qu’il y a eu de la part de certains Etats africains une forme de déception vis-à-vis du partenariat avec l’Europe : « C’est parce que l’Europe n’a pas été suffisamment perçue comme un acteur réactif, souple et adapté aux besoins de financement du continent africain, d’où le choix de travailler avec d’autres acteurs, notamment la Chine, pour le financement de ses infrastructures », affirme un conseiller.
La Présidence française prévoie de « lancer un ambitieux paquet d’investissements Afrique‑Europe en tenant compte des défis mondiaux tels que le changement climatique et la crise sanitaire actuelle. », a martelé Emmanuel Macron. Lors de sa visite à Dakar, la semaine dernière, la présidente de la Commission de l’Union européenne, Ursula van der Leyen, annoncé que 150 milliards d’euros d’investissement dans les infrastructures allaient être débloqués. De quoi réjouir le président Macky Sall pour qui cette décision « marque le retour de l’Europe dans des secteurs (transports, énergie, Tics), vitaux pour le développement de l’Afrique. »
Un boost pour les entrepreneur(e)s
Mais le principal défi reste la masse de jeunes qui arrive chaque année sur le marché. Au cri du cœur de Macky Sall pour que des financements puissent être canalisés de façon pérenne afin d’aider ces jeunes à trouver du travail en les formant mieux, la France a répondu favorablement : 1% du montant global de l’Aide publique au développement (APD) pourrait, ainsi, leur être dédié.
La France a déjà deux programmes à son actif pour permettre à des jeunes entrepreneurs africains d’accéder à des financements qu’ils n’auraient pas pu obtenir auprès des banques locales sans cela. Le premier, Choose Africa, est chapeauté par l’Agence française de développement (Afd). Il permet de distribuer des « petits tickets » de 10 000 à 30 000 euros pour amorcer un projet entrepreneurial. Jusqu’à présent, il était doté de 2,5 milliards de dollars sur 5 ans, « mais sera ré abondé dans les prochaines années ». Quant au programme Digital Africa,- relancé lors du sommet de Montpellier-, il est abondé à hauteur de 130 millions d’euro et intervient directement en soutien à des entrepreneurs africains du numérique.
Il existe encore un dispositif sur lequel le Président Macron s’était engagé lors du G7 de Biarritz. Chapeauté par la Banque africaine de développement (BAD), Hafawa permet à des entrepreneuses femmes de bénéficier de crédits à des conditions plus favorables. Quant aux dispositifs en faveur des entrepreneurs de la diaspora en France, -ayant des projets sur le continent africain,- ils permettent d’intervenir à la fois avec du financement direct ou intermédiaire et de l’accompagnement technique.
Le changement de logiciel
Il s’agit maintenant de faire débloquer au niveau européen des financements de 10 000 à 100 000 euros par l’intermédiaire de fonds africains pour les PME. «Pour certains projets spécifiques, ce montant pourra atteindre jusqu’à un million d’euros !», selon une source élyséenne. La SFI (groupe de la Banque mondiale), la Commission européenne et la BAD -dont l’UE est l’un des plus gros bailleur-, seront des contributeurs directs pour cette nouvelle facilité.
Pour Emmanuel Macron, ce soutien massif est « un moyen d’aider à sortir du logiciel selon lequel la fonction publique est perçue comme le principal pourvoyeur d’emplois. » Or, on assiste aujourd’hui à une jeunesse africaine « qui se tourne résolument vers l’entrepreneuriat. » Les statistiques montrent d’ailleurs que « l’Afrique est le continent le plus entrepreneurial au monde », a-t-il rappelé.
Le changement de nom de l’Afd, -annoncé au sommet de Montpellier-, est un autre exemple de cette volonté affirmée du Président français de « changer de logicielvis-à-vis de l’Afrique. » Selon le directeur de l’Afd, Rémi Rioux, d’intenses consultations se poursuivent « en interne comme en externe » et, notamment, auprès du président de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD), Serge Ekué, et du président de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina, tous deux présents à la station F. pour les trois tables rondes organisées avant l’arrivée des deux présidents.
C’est dans ce haut lieu de l’univers High Tech des start up françaises qu’Emmanuel Macron a expliqué à son homologue sénégalais, -un peu sceptique-, que plus que le changement de nom de l’Afd, c’est la sémantique même du « développement » qu’il va falloir changer. A commencer par le terme lui-même sur lequel il avait été interpellé par les jeunes de la société civile lors du sommet de Montpellier. Plusieurs hypothèses ont été envisagées, mais le terme « développement » qui figure dans presque tous les acronymes des bailleurs de fonds en Afrique risque de faire de la résistance.