Mis à part les costumes business et les chaussures en cuir noires, existe-t-il des traits de ressemblance parmi le top 1 % du secteur bancaire congolais ? Cet article propose un assemblage des pièces de ce puzzle sous forme d’une interview fictive.
Par Obed KAMBALA, analyste économique, détenteur d’un Master en Economie et d’un Certificat d’expert en gestion des risques.
… On ne confierait tout de même pas au premier venu la gestion d’un établissement de crédit, c’est bien cela ?
C’est exact ! Les comités de direction des banques comprennent de grandes pointures dont le savoir-faire repose sur des études supérieures approfondies et de longues années d’expérience. A la tête de chaque comité, est nommé un directeur général, qui est investi des pouvoirs les plus étendus pour l’exercice de ses fonctions dans la limite de l’objet social de la banque. Au-delà d’être un privilège, il est tout d’abord question de lourdes responsabilités dans un contexte politico-économique pas toujours favorable. Les DG n’ont quasiment pas droit à l’erreur, puisque chacune peut être fatale. Des recherches ont même révélé qu’entre 35 % et 50 % des DG sont remplacés dans un délai de 5 ans (Charles M. Farkas et Suzy Wetlaufer, 1996). En dépit de cela, plusieurs hommes et femmes, noirs et blancs, africains, asiatiques, européens et américains se sont battus bec et ongles pour relever ce défi depuis l’époque du Congo-belge à ce jour.
Devant des personnalités aux origines et profils aussi diversifiés, existe-t-il des caractéristiques communes et distinctives qui justifient leur place dans ce cercle aussi restreint en RDC ?
Pour apporter des éléments de réponse à cette interrogation, nous avons mené une investigation sur un échantillon de 50 directeurs généraux en RDC choisis de façon aléatoire au sein d’une vingtaine de banques entre les années 2001 et 2022. Les résultats de cette étude sont regroupés en 3 catégories : le profil, les études poursuivies et l’expérience professionnelle du directeur général dans le secteur bancaire congolais.
Du profil
Comme vous l’avez certainement remarqué, il y a une forte discrimination par le genre dans les désignations de DG. En effet, seulement 6 membres de notre échantillon sont du genre féminin, soit 12 %. Il s’agit de Rebecca Gaskin (Stanbic Bank), Félicité Singa- Boyenge (FiBank), Viviane Bakayoko (Citi Bank), Hannah Siedek (Procredit Bank), Marlene Ngoyi (BGFI Bank) et Annie Ekeme Nnkakey (UBA). Elles sont majoritairement africaines et sont toutes détentrices d’un bac+5 (Master of Science ou MBA) au minimum. Parmi ces distinguées dames, figurent deux congolaises : Madame Ngoyi et Madame Singa. A ce jour, une seule banque parmi les quinze opérationnelles est chapotée par la gente féminine ; la camerounaise Madame Ekeme, qui a récemment remplacé Mr Kabisi à la tête de la filiale RD congolaise de UBA.
Il faut dire que ce «gender gap» n’est pas propre à la RDC ni même à l’Afrique. Selon FMI (2018), les femmes représentaient moins de 2% des CEO des institutions financières à travers le monde et moins de 20 % des membres des conseils d’administrations en 2013. Cette situation n’a pas vraiment évolué depuis. La nationalité congolaise représente 22 % de l’échantillon, suivie des français (16 %) et des camerounais (12 %). Les deux tiers des directeurs généraux sont africains et le quart est d’origine européenne. La majorité (78 %) est originaire d’un pays dont la langue officielle est le français comme le pays de Lumumba. Parmi les ressortissants d’Afrique, une bonne partie appartient à un pays membre de la Communauté économique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) comme la RDC.
Leur âge au moment de la nomination à cette haute fonction est compris entre la trentaine révolue et la cinquantaine, mais la majorité était quadragénaire. Mr Mukeba figure parmi les plus jeunes à avoir accédé au poste de directeur général avec environ 37 ans en 2014 à Procredit Bank. Nommé directeur général à 41 ans à peu près, Mr Rawji entre également dans cette catégorie. Les deux banquiers ont figuré dans le classement Choiseul 100 Africa de 2017, étude qui identifie et classe les jeunes dirigeants africains de 40 ans et moins, appelés à jouer un rôle majeur dans le développement économique du continent dans un avenir proche.
Des études poursuivies
La plupart des DG ont un diplôme d’études supérieures (post-graduate degree). Il est généralement question d’un Master professionnel ou de recherche : Master’s Degree, MBA, DESS, DEA, Maitrise, etc. Par ailleurs, plusieurs en détenaient deux voire trois avant leur désignation. On compte parmi ceux-là Eric Mboma (Standard Bank), Annie Ekeme (UBA), Félicité Singa-Boyenge (FiBank), Jean Baptiste Siate (Ecobank), Willy Mulamba (Citi Group), Yvonnick Peyraud (Advans Bank), etc. La combinaison MBA et Master en économie est la plus rencontrée.
Une bonne partie des DG a opté pour l’administration des affaires/management (+15), la finance (+10) et l’économie (+9), qui sont des filières qui touchent directement à la vie même de l’établissement de crédit et à l’environnement dans lequel il opère.
Les universités européennes semblent avoir conquis le cœur des membres des conseils d’administration des banques présentes en RDC. En effet, plus de 48% des DG sont des produits des universités de France (HEC Paris, Université de Nantes, etc.), de Belgique (Université de Liège, UCLouvain, etc.) ou du Royaume-Uni (Université de Bangor, Nottingham University Business School, etc.).
De l’expérience professionnelle
Le nombre d’années moyen d’expérience professionnelle d’un DG qui entre en fonction en RDC dépasse la barre de quinze ans. On rencontre tout de même des valeurs atypiques comme 7 et 32 ans, entre autres. Comme Charles M. Farkas et Suzy Wetlaufer (1996, Juin) l’ont si bien relevé : « il n’y a pas d’école pour directeur général – exceptée l’école de l’expérience ».
Au moins 36 % des DG exerçaient déjà les mêmes fonctions dans une autre filiale du même groupe (tel que Mr Babatunde, qui était DG/FBN Guinée) ou dans une autre banque (comme Mr Losembe, qui était d’abord DG/Citi avant de rejoindre BIAC) ou encore dans une institution non bancaire (tel que Mr Wazne, qui était DG/EcoworldConstruction Company). Environ 12 % étaient directeurs généraux adjoints avant d’accéder au poste de DG et 18 % à la tête des divisions Commercial banking, Corporate banking ou Retail banking. Peu parmi eux avaient une expérience professionnelle au Congo et beaucoup découvraient le pays de Lumumba pour la première fois dans le cadre de leur nomination à ce poste de haut calibre.
Plusieurs ont travaillé au moins dans une banque différente de celle où ils ont été nommés directeur général. A quelques exceptions près, le mode de recrutement interne est privilégié lorsqu’il s’agit du DG. Ce qui est bénéfique pour la banque à plusieurs égards. En effet, « Le salarié promu à de nouvelles fonctions est déjà intégré à l’entreprise, c’est-à-dire qu’il connait les rouages de son fonctionnement, ses moyens, sa politique de développement, la culture d’entreprise, etc. » soutient Grégory Coste (2021).
C’est dans la fourchette de 2 à 3 ans que se situe la durée de mandat de plusieurs DG sur le sol congolais, avec une moyenne de 4 ans. Ce qui correspond à un mandat
classique de deux à quatre ans renouvelable une fois. Cela dit, quatre personnalités s’éloignent significativement de cette norme. Il s’agit de : Yves Cuypers (2004-2021) avec environ 17 ans à BCDC ; Thierry Taeymans (2002-2020), qui a dirigé Rawbank pendant près de 18 ans ; Oliver Meisenberg (2009 à ce jour) et Henry Wazne (2012 à ce jour), qui coordonnent respectivement les activités de TMB et SofiBanque.
A part les longues années de gestion, ces banquiers sont également originaire d’Europe avec plus de dix ans d’expérience avant leur désignation à la tête d’une banque en RDC. Ils ont le mérite d’avoir conduit et/ou maintenu les banques dites locales – du moins la plupart – au sommet de l’industrie bancaire congolaise. En ce qui concerne le total actif, les créances et les dépôts à la clientèle, cette catégorie de banques a conservé sa place dans le top 3 en RDC pendant longtemps.
En résumé
Partant de ce qui précède, il est prudent de croire qu’un directeur général d’un établissement de crédit en RDC a de fortes chances d’être un africain quadragénaire de genre masculin détenant un diplôme de troisième cycle en administration des affaires, en finance ou en économie d’une université européenne. Il est également judicieux d’affirmer qu’il peut très probablement s’agir d’un professionnel non résident (au départ), désigné par un mode de recrutement interne, qui apporte sur table plus de 15 années d’expérience dont celles dans les segments Commercial, Retail ou Corporate banking et même la gestion d’une autre banque.
Un dernier mot ?
Volontiers ! Plusieurs changements des dirigeants ont été enregistrés depuis le début de la nouvelle décennie dans le secteur bancaire congolais. En effet, sept sur les quinze établissements de crédit opérationnels ont accueilli un nouveau directeur général/administrateur délégué entre Janvier 2020 et janvier 2022, à savoir : Rawbank (Mustafa Rawji), Ecobank (Jean-Baptiste Siate) et Advans Banque (Zine El Abidine Otmani) en 2020 ; EquityBCDC (Celestin Mukeba), BGFI (Francesco de Musso), UBA (Annie Ekeme) et Solidaire Banque (Walid Kazan) en 2021 et ; Advans Banque (Jean- Luc Nzoubou) en 2022. On peut entrevoir la volonté de mettre en œuvre de nouvelles orientations stratégiques avec une attention particulière sur le rebranding.
Tandis que le nombre de DG nationaux a baissé de 50 % à la suite de cette évolution, celui des DG Adjoints s’est accru. On peut compter dans ce cercle Marie-Gabrielle Kalenga (Standard Bank), Jean-Claude Tshipama (EquityBCDC), Timo Ntoto (Ecobank), Yannick Mbiya (TMB), etc.
Quelques DG/ADG des banques en RDC
1 ABDEL KADER DIOP (BGFIBANK) -AKEEM BABATUNDE OLADELE (FBN BANK)
3 ALAIN CHAPUIS (BOA)
4 AMEDEO ANNICIELLO (STANDARD BANK)
5 ANNIE EKEME NNKAKEY (UBA)
6 ARINZE KENETSCHUKU (ACCESS BANK)
7 AXCELE KISSANGOU MOUELE (BGFIBANK)
8 BOUTROS ABI AAD (BYBLOS BANK)
9 BRUNO DEGOY (BOA)
10 CELESTIN MUKEBA MUNTUABU (EQUITY BCDC)
11 CHARLES SANLAVILLE (BIAC)
12 CHEIKH TIDIANE N’DIAYE (FBN BANK)
13 CISSE MORISSOUALI (UBA)
14 ERIC MBOMA (STANDARD BANK)
15 FELICITE SINGA-BOYENGE (FIBANK)
16 FRANCESCO DE MUSSO (BGFIBANK)
17 FRANCIS SELEMANI MTWALE (BGFIBANK)
18 FRANCOIS LECUYER (ADVANS BANK)
19 FRANCOIS NGENYI (ACCESS BANK)
20 HANNAH SIEDEK (PROCREDIT BANK)
21 Henri LALOUX (BCDC)
22 HENRY YOAN WAZNE (SOFIBANQUE)
23 IFEANYI NDJOKU (ACCESS BANK)
24 IGNACE MABANZA METI (ACCESS BANK)
25 JAMAL AMEZIANE (BOA)
26 JEAN BAPTISTE SIATE (ECOBANK)
27 JEAN-LUC NZOUBOU (ADVANS BANK)
28 JEAN-RAYMOND REY (STANDARD BANK)
29 LOUIS HANDOU (AFRILAND FIRST BANK)
30 LOUIS NALLET (STANBIC BANK)
31 Louis ODILON ALAGUILLAUME (BIC)
32 MARCEL BITANG (UBA)
33 MARLENE NGOYI (BGFIBANK)
34 MICHEL LOSEMBE (BIAC)
35 MUSTAFA RAWJI (RAWBANK)
36 OLIVIER MEISENBERG (TMB)
37 PATRICK KABISI (UBA)
38 REBECCA GASKIN GAIN (STANBIC BANK)
39 RENE AWAMBENG (ECOBANK)
40 RICHARD LUKUSA KALOMBO (FIBANK)
41 SERGE ACKRE (ECOBANK)
42 SOUAIBOU ABARY (AFRILAND FIRST BANK)
43 THIERRY TAEYMANS (RAWBANK)
44 VIVIANE BAKAYOKO (CITI)
45 WALID KAZAN (SOLIDAIRE BANQUE)
46 WILLY MULAMBA (CITI)
47 YVES CUYPERS (BCDC)
48 YVES-COFFI QUAM-DESSOU (ECOBANK)
49 YVONNICK PEYRAUD (ADVANS BANK)
50 ZINE EL ABIDINE OTMANI (ADVANS BANK)
Références
FMI (2018). Women in finance. IMF Blog.
https://blogs.imf.org/wp-content/uploads/2018/09/eng-september-6-womeninfinance2- 3.png repéré le 12 février 2022.
Charles M. Farkas et Suzy Wetlaufer. (1996). The ways Chiefs Executive Officers Lead. Harvard Business Review.
https://hbr.org/1996/05/the-ways-chief-executive-officers-lead repéré le 12 février 2022.
Gregory Coste (2021). Recrutements interne et externe : avantages et inconvénients. Appvizer.https://www.appvizer.fr/magazine/ressources-humaines/recrutement/recrutement- interne-et-externe repéré le 15 février 2022.