Les auteurs des trois coups d’Etat survenus au Mali, en Guinée et au Burkina Faso ont en commun la tentative de vouloir légitimer leurs putschs par la dénonciation des échecs des présidents démocratiquement élus et de l’inféodation de leurs victimes à l’Occident. C’est vrai, ni Alpha Condé, resté au pouvoir pendant plus de dix ans (une décennie perdue pour la Guinée), encore moins Ibrahim Boubacar Keita (7 ans sur les hauteurs de Koulouba) ou Roch Marc Christian Kaboré (locataire du palais Koysam depuis 2015) n’ont amélioré le niveau de vie de leurs citoyens. Pire, ils ont pour la plupart vu prospérer des scandales de corruption qui ont fini par vider l’Etat de sa légitimité et enlever aux présidents élus qu’ils sont la petite once de popularité qui leur restait. À Conakry, Bamako et Ouagadougou, la mangue était trop mûre. Les putschistes ont fait une OPA sur les soulèvements populaires.
Cela dit, devrait-on, pour avoir rejeté l’immobilisme de IBK, accorder un mandat de 5 ans à Asimi Goita avec comme seule garantie sa «jeunesse» ? Quand bien même le maître de Bamako serait l’héritier de Thomas Sankara, le chantre d’un nouveau panafricanisme ou le héros désiré de la reconquête de Kidal via, il faut le regretter, la sous-traitance de la cause patriotique par les mercenaires de Wagner, devrait- on s’abstenir de lui rappeler qu’il n’a encore ni la légitimité que confère les urnes, ni l’aura qu’accorde une victoire militaire, encore moins le droit de parler aux noms des maliens que donne l’urne et l’isoloir?
Quel est donc ce panafricanisme anachronique allié des coups d’Etat et qui se construirait sur la haine de l’Occident? Quand bien même Vladmir Poutine, éternel candidat de son son parti, Russie Unie, serait le modèle achevé de la «démocratie dirigée» ou de l’autoritarisme bureaucratique, il n’en va pas sans dire que le tsar russe a toujours tenu à la légalité constitutionnelle. N’avait-il pas inventé Medvedev pour contourner l’obstacle castrateur du troisième mandat? Bref, si le panafricanisme devrait s’accommoder de la «militocratie» et embrigader la volonté populaire des africains dans des interminables transitions, il n’aurait pas, c’est certain, le suffrage des démocrates, des pragmatiques et de tous ceux qui pensent que l’urgence est de trouver 15 à 20 millions d’emplois par an.
Entre Sékou Touré et Houpheit Boigny, notre choix est vite fait. De même entre Hassan II et Boumediene, nous préférons les investissements impactants aux discours romantiques contre l’impérialisme. La Chine a rattrapé l’Amérique à force de silence et de travail pendant que Mugabe et Maduro ont engouffré leur pays dans des inflations kilomètriques de discours et de prix des denrées de base.
L’échec des présidents démocratiquement élus à Bamako, à Conakry et à Ougadougou n’est pas l’échec de la démocratie. Celle- ci suppose certes un équilibre entre les trois pouvoirs mais aussi un engagement citoyen constant doublé de la culture démocratique, de la soumission à la règle du droit et de la transparence.
D’aucuns rappellent que la démocratie n’a jamais développé de pays, invoquant les exemples de dirigistes asiatiques qui auraient réussi à sortir leur pays de la pauvreté, la cravache à la main. En effet, la dimension culturelle du confucianisme basée sur le mérite, la transparence, la discipline et la saine compétition font de Singapour et de Malaisie des quasi-casernes militaires où la valeur -travail sert lieu de lien social et d’ascenseur pour les plus méritants. Les dirigistes asiatiques, certes réservés sur les libertés individuelles et peu adeptes des acquis sociaux comme les droits de grève, n’en restent pas moins garants de la saine compétition, de la nécessité du développement humain (santé et éducation) et du patriotisme économique là où un Bokassa, un Idi Amin Dadda et un Mobutu avaient d’autres ambitions.
Pour sûr, chaque pays suit son cheminement dicté par son histoire, sa culture et l’engagement citoyen. De cette synthèse nait la terrible sentence de Montesquieu: «les peuples ont le gouvernement qu’ils méritent». En effet, sans engagement citoyen, les lois et les institutions se vident de leur esprit pour n’en garder que la lettre, appelée en rescousse à chaque fois par les princes de la cité. C’est pourquoi ceux parmi les citoyens, élites, journalistes et technocrates qui jettent la pierre à Condé devront d’abord se demander s’ils n’ont pas failli dans leur devoir citoyen de vigile en faction pour préserver les acquis démocratiques. Ces acquis fragiles au niveau national ont besoin des garanties régionales et suprarégionales. Le principe de subsidiarité entre la CEDEAO, l’Union Africaine et l’ONU ont permis de contenir bien des appétits militaires, Assimi Goita et les siens étant les exemples les plus récents et les plus parlants. La fermeté opposée à la junte malienne par la communauté internationale est un véritable crash test de la solidité des mécanismes régionaux. Les pays de la CEDEAO qui construisent depuis la chute du mur de Berlin une intégration basée sur le respect de la démocratie et des droits humains ne devraient pas renégocier leurs acquis démocratiques au risque de sombrer dans un succédané de putschs et de transitions attentatoires à leurs économies.