Les opérateurs télécoms bousculent les banques. Plusieurs signaux indiquent que ces dernières n’ont pas abdiqué. La riposte s’organise. De nouveaux modèles bancaires plus resilients adossés sur des systèmes d’informations souples voient le jour. Skaleet travaille avec des banques à travers l’Afrique pour les aider à mettre en place leurs propres services de paiement mobile.
L’essor des services de mobile money par les opérateurs télécoms en Afrique a brouillé les frontières entre les types d’entreprises offrant des services financiers. Alors que les banques réalisaient auparavant la plupart des transactions financières, de nouveaux acteurs – notamment les fintechs et les néobanques – ont diversifié le secteur.
Aujourd’hui, les opérateurs télécoms donnent la possibilité à leurs utilisateurs d’envoyer et de recevoir de l’argent sur un porte-monnaie électronique. Les utilisations les plus courantes des services USSD sont les transactions entre membres de la famille et le paiement des factures de services publics.
Mais avec l’arrivée de ces nouveaux acteurs dans le secteur des services financiers, on peut se demander si les opérateurs de télécoms vont encore percer dans d’autres domaines comme l’épargne, les prêts, les investissements et les assurances. Face à une concurrence croissante à de multiples niveaux, les banques risquent de perdre des parts de marché au profit de ces nouveaux acteurs, si elles ne savent pas améliorer les services qu’elles offrent actuellement.
Paysage du mobile money en Afrique
L’Afrique est un leader mondial des services de paiement mobile – ses banques sont donc soumises à une pression encore plus forte pour innover et être compétitives. Selon la GSMA, une association internationale d’opérateurs d’argent mobile, on dénombrait l’an dernier 310 services de Mobile Money dans le monde, dont 55,2 % en Afrique.
Ce rapport a révélé que les services de paiement mobile étaient plus disponibles sur les marchés où l’accès aux services financiers est limité. Les paiements mobiles ont connu une expansion rapide ces dix dernières années, avec un taux de croissance accéléré en 2020 du fait de la Covid-19.
En 2020, le nombre de comptes de mobile money a bondi de 12,7 % dans le monde pour atteindre 1,2 milliard, l’Afrique subsaharienne représentant 43 % de tous les nouveaux comptes. Les acteurs du marché du paiement mobile ont également lancé peu à peu de nouveaux services.
Airtel Africa, un service détenu par des Indiens et présent principalement en Afrique de l’Est et en Afrique centrale, s’est associé à MoneyGram l’an dernier pour recevoir des transferts provenant de plus de 200 marchés où est implantée la société de paiement américaine. Bien qu’il s’agisse toujours d’un transfert d’argent entre deux parties, cela marque une évolution vers des services financiers plus complexes.
Des modèles commerciaux différents
Toutefois, à en croire certains experts, il est peu probable que les opérateurs de télécoms remplacent les banques, les deux prestataires de services ayant des modèles commerciaux très différents. «Le rôle principal des banques est de mobiliser l’épargne locale pour financer l’économie locale », explique Yves Eonnet, président et cofondateur de Skaleet, une société basée à Paris qui propose des services de Core Banking aux institutions financières en Afrique, en Amérique latine et en Europe.
« Les opérateurs de télécoms ne joueront jamais ce rôle, sauf s’ils deviennent des banques officielles se conformant à la réglementation de la banque centrale. À défaut, ils resteront des prestataires de services limités de paiement et de transfert d’argent », détaille-t-il.
L’une des grandes différences, c’est que les banques, comme le veut la réglementation, effectuent des vérifications beaucoup plus strictes en matière de connaissance du client (KYC) que les opérateurs de télécoms. Cela leur permet de proposer un éventail bien plus large de services.
En revanche, les banques ont beaucoup plus de difficultés à déployer des services que les sociétés de télécoms, qui disposent de réseaux de distributeurs et d’opérateurs dans tous les pays. C’est ainsi que les opérateurs de télécoms ont pu jouer le rôle de vecteur de l’inclusion financière en Afrique ; ils peuvent facilement fournir des services, même dans les lieux les plus reculés.
Par ailleurs, les services de mobile money constituent, dans une certaine mesure, pour les opérateurs de télécoms, un moyen d’inciter les utilisateurs à utiliser les réseaux de téléphonie mobile, pour lesquels ils peuvent facturer beaucoup plus cher d’autres services tels que les données et le temps de connexion.
« Le coût lié aux services de mobile money est considéré par les opérateurs télécoms comme un coût de marketing, ce qui n’est absolument pas le cas pour une banque », précise Hervé Manceron, PDG de Skaleet. «Une banque doit avoir un compte de résultat positif», ajoute-t-il.
Les banques contre-attaquent
En fait, plutôt que de voir les opérateurs de télécoms investir le secteur bancaire, les banques pourraient de plus en plus leur faire concurrence. Skaleet, par exemple, a travaillé avec des banques à travers l’Afrique pour les aider à mettre en place leurs propres services de mobile money.
La société a collaboré avec un grand nombre d’institutions financières, du géant bancaire français Société Générale à la Banque Mauritanienne pour le Commerce International (BMCI) en Mauritanie. Standard Bank, le plus grand prêteur d’Afrique en termes d’actifs, déploie actuellement un service de mobile money appelé Unayo qu’elle espère lancer sur tous ses marchés d’ici à la fin de 2023.
Auparavant, les banques faisaient appel aux opérateurs de télécoms pour avoir accès à de nombreux canaux de distribution tandis que les opérateurs de télécoms s’associaient aux banques pour proposer des services financiers sophistiqués.
Les experts du secteur sont convaincus que les futurs partenariats entre les opérateurs de télécoms et les banques seront fondés sur une proposition de valeur beaucoup plus claire que par le passé.