Par Jean-Christophe DEVOUGE, Avocat au Barreau de Paris et Dramane SANOU, Avocat aux Barreaux de Paris et du Burkina Faso.
C’est un pas significatif dans le processus de maturation des pratiques des sociétés cotées ouest-africaines qui a été franchi avec le lancement, le 15 mars dernier, du Code de Gouvernance des sociétés cotées à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM).
Impliquant experts de haut niveau et représentants des émetteurs cotés à la BRVM, l’adoption de ce Code est un signal fort de la volonté des acteurs du marché régional d’attirer les investisseurs, aussi significatif sans doute que l’adoption, le 23 septembre dernier, du projet de loi uniforme visant à renforcer la protection, la transparence et l’intégrité du marché financier régional regroupant le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.
Dans le détail, ce nouveau Code s’articule autour de «11 principes fondateurs» déclinés par des «pratiques et mises en œuvre». De manière emblématique, les deux premiers de ces principes sont consacrés aux actionnaires, lesquels sont en effet «au premier rang des parties prenantes». Sont visés plus précisément leur information (principe n°1), en insistant sur le rôle particulier du conseil d’administration à cet égard et sa responsabilité quant à « la qualité et l’intégrité des informations transmises », ainsi que la préservation des droits des actionnaires (principe n°2), notamment concernant l’assemblée générale. Innovation notable, le Code prévoit un vote consultatif des actionnaires en cas «d’opérations de cession ou d’acquisition exceptionnelles », non sans écho avec la pratique recommandée dans la même situation par l’Autorité française des Marchés Financiers.
Le Code s’attache ensuite à préciser les pratiques à mettre en œuvre au niveau du conseil d’administration, qu’il s’agisse de ses relations avec le directeur général (principe n°3), sa composition (principe n°4), son fonctionnement (principe n°5) ainsi que celui de ses différents comités (principes n°6 à 8). Sans prétendre répertorier ici chacune des mesures proposées, on retiendra l’accent mis sur le fonctionnement du conseil et sa sophistication souhaitée (rôle des différents comités, règlement intérieur, etc.) ainsi que sur les enjeux attachés à sa composition (souci d’assurer une égalité de genre avec un plafond de chaque genre à deux tiers (2/3) des administrateurs et présence minimum d’administrateurs indépendants notamment).
Les principes suivants ont eux vocation à resserrer les liens des sociétés cotées avec l’écosystème qui les entoure, en insistant sur la prise en compte des parties prenantes (principe n°9), une « attention particulière » devant être portée par le conseil d’administration pour le premier cercle d’entre elles, à savoir au-delà des actionnaires, les salariés, les clients et les fournisseurs. Les sociétés cotées sont également invitées à être «particulièrement vigilantes» sur les questions d’éthique, d’intégrité et de conflits d’intérêts (principe n°10), avec la nécessité de se doter à cette fin d’un Code de conduite des affaires.
Les aspects liés à la responsabilité sociale et environnementale (RSE) occupent par ailleurs une place essentielle, tant sur les aspects de la rémunération des dirigeants (laquelle devra intégrer des critères liés à la RSE) que sur la grille même d’analyse devant être suivie par les conseils d’administration, lesquels doivent en effet analyser et prendre en compte « les conséquences dans les trois dimensions, sociales, environnementales et sociétales » de leurs décisions.
Faisant une place centrale à la soft law et au mécanisme du comply or explain – impliquant pour les entreprises destinataires d’appliquer les pratiques recommandées sauf à devoir s’expliquer –, le Code invite enfin les émetteurs à évaluer annuellement leur gouvernance (principe n°11), avec une formalisation de cette évaluation devant être effectuée tous les trois ans. Un comité de suivi élaborera par ailleurs chaque année un rapport sur la mise en œuvre, par les émetteurs, des principes et pratiques de ce nouveau Code, avec à la clé le cas échéant des propositions de révision.
Certes, un certain nombre de thématiques restent en suspens (notamment la problématique de la consultation des actionnaires en matière de rémunération des dirigeants ou d’engagements climatiques (say on pay et say on climate)) ou auraient pu être abordées de manière plus précise (déontologie des administrateurs notamment, avec en particulier la question délicate de l’application des toutes nouvelles règles prohibant la communication des informations privilégiées à l’administrateur représentant permanent d’une personne morale).
Incontestablement cependant, ce nouveau Code constitue une avancée majeure, complétant utilement le droit commun des sociétés commerciales de l’OHADA aux fins de renforcer la gouvernance des sociétés cotées, laquelle – on le rappellera – peut être également impactée par des réglementations sectorielles (cas des établissements de crédit par exemple soumis au titre de la réglementation bancaire notamment à une obligation de séparation des fonctions de Président et Directeur Général). Son effectivité dépend à présent de l’usage qu’en feront les émetteurs : sur ce plan, la circonstance qu’un certain nombre d’entre eux se soient d’ores et déjà saisis du sujet en concourant à son élaboration est sans doute un premier indice encourageant.
A propos des auteurs
Jean-Christophe Devouge, avocat associé, Barreau de Paris.
Jean-Christophe Devouge est avocat, spécialisé en fusions-acquisitions, droit boursier, gouvernance et contentieux. Il enseigne le Droit de la Régulation Bancaire et Financière à SciencesPo Paris et conseille des sociétés cotées et non cotées, leurs conseils d’administration, leurs dirigeants ainsi que des fonds d’investissement et entreprises publiques dans le cadre d’opérations stratégiques, de problématiques de droit boursier ainsi que pour leurs questions de gouvernance et contentieux sensibles.
Dramane SANOU, Docteur en Droit-Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, avocat aux Barreaux du Burkina Faso et de Paris.
Maître SANOU a une grande expérience du système bancaire et financier de l’UEMOA acquise auprès de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et de la Direction Juridique du Secrétariat Général de la Commission Bancaire de l’UMOA. Il publie régulièrement des articles sur les problématiques bancaires et financières de l’UEMOA et de la CEMAC et consacre également sa pratique d’avocat en conseillant et assistant une clientèle variée dans ces matières.