Neïla Benzina est fondatrice de Wimbee, un spécialiste de la Data et du Digital. Également co-fondatrice de l’école en ingénierie informatique Holberton School Tunis et Présidente de l’association TACT (Tunisian Association for Communication & Technology), elle revient dans cet entretien sur les défis de l’entrepreneur et du manager en conjuguant les défis au féminin.
Vous cumulez plusieurs fonctions, dont notamment celle d’être dirigeante de startup et directrice d’une école de formation aux métiers de la tech. Quels sont les challenges spécifiques auxquels vous avez dû faire face en tant que femme dans votre parcours ?
Dans tout parcours d’entrepreneur, il y’a de nombreux challenges à relever et des obstacles à franchir pour réussir. J’ai dû vivre bien souvent ce que l’on appelle « la solitude du manager ». En tant que femme, j’ai eu, évidemment, à faire face à plusieurs défis, ceux qui sont liés à la responsabilité en soi et ceux qui sont spécifiques aux femmes. Quand on est femme entrepreneure, il est par exemple, parfois plus difficile pour nous de pouvoir concilier notre rôle de femme, d’épouse, de mère, et de chef d’entreprise. Il faut s’organiser et anticiper les grandes échéances. Dans le mode d’emploi de l’organisation, il y a surtout la capacité à bien s’entourer, à déléguer, à faire confiance et à donner droit à l’erreur pour permettre la prise d’initiatives sereines.
Il ne faut pas, en tout état de cause, se mettre des barrières et des limitations psychologiques en s’imaginant que les choses sont plus compliquées quand on est femme. Je crois profondément au pouvoir de nos propres convictions sur l’environnement qui nous entoure, ce qui signifie que lorsque nous croyons en nos capacités et que nous nous sentons en mesure de réussir, sans nous limiter à notre genre, cela est perçu et ressenti, en tant que tel, autour de nous. Nous pouvons alors créer une dynamique positive qui nous permet d’atteindre nos objectifs et de mobiliser les énergies nécessaires à la réussite.
Ce qui est certain, c’est qu’il ne faut absolument pas chercher à ressembler à nos pairs masculins pour dépasser certains défis que nous rencontrons, il faut rester soi-même ! Rester authentique, c’est nous appuyer sur nos propres spécificités et qualités. Parmi celles-ci, et sans vouloir généraliser, il y a la capacité à rechercher le consensus, l’écoute et la gestion douce des situations. Nul besoin de jouer la carte de l’autorité et de la domination pour dépasser les difficultés rencontrées. C’est cela qui plaît en général aux équipes et à l’écosystème.
Nous observons un changement des mentalités, que ce soit en Tunisie comme un peu partout dans le monde. Mais quels sont les grands défis que doivent encore affronter les femmes entrepreneuses aujourd’hui selon vous ?
Les femmes entrepreneures ont pour premier obstacle leurs propres doutes et le manque de confiance qu’elles peuvent ressentir. Il y a souvent, chez elles, le syndrome de l’imposteur qui subsiste, que j’ai moi-même ressenti assez régulièrement au cours de ma carrière. Je ne pense pas que nos homologues hommes ressentent la même chose au cours de leurs parcours professionnels.
Parmi les défis principaux que je vois autour de moi pour les femmes entrepreneures, il y a le manque d’utilisation des réseaux et du network pour accélérer dans le développement de leurs projets. Souvent, ce levier si précieux est négligé ou sous-estimé. Or, il s’agit ici d’un outil indispensable pour avancer, pour ouvrir des portes et pour passer des paliers. Il ne faut jamais oublier de donner un coup de pouce aux autres quand cela est possible et de chercher soi-même ce coup de pouce dans les moments importants et décisifs. Je suis convaincue que nous devons, entre femmes aussi, nous soutenir, nous inspirer les unes les autres et être conscientes de l’importance de l’appui que l’on peut s’apporter mutuellement. Ce que l’on peut gagner en aidant les autres est inestimable et nous devons avoir ce reflexe en tant que femme. Les hommes le font très naturellement entre eux, les femmes ont tendance à y penser moins souvent.
L’autre défi pour les femmes qui ont des ambitions est de savoir gérer leur recherche de perfection et leur culpabilité. En effet, les femmes pensent souvent qu’elles ne sont pas « assez » qualifiées ou efficaces, ce qui les pousse à se surpasser dans chacune de leurs tâches et qui peut les amener à s’épuiser et à s’exposer plus facilement aux « burn out ». En tant que femme, j’ai dû dominer mon sentiment de culpabilité constant et récurrent pour pouvoir avancer. Ce sentiment qui nous paralyse et que l’on ressent inconsciemment lorsque nous sommes au travail alors que notre famille est à la maison ou lorsque nous sommes à la maison alors que nous avons encore des tâches à effectuer au travail !
Vous avez cofondé l’école Holberton School Tunis, depuis maintenant 3 ans. Quel regard portez-vous sur la formation des femmes dans la Tech ? Est-ce un secteur encore majoritairement masculin ou observe-t-on des évolutions notables dans ce domaine ?
Les femmes restent encore minoritaires dans les formations Tech. Elles s’y intéressent de plus en plus et cela est encore plus vrai en Tunisie où les jeunes femmes sont de plus en plus nombreuses dans les cursus scientifiques (60% des étudiants dans ces filières sont des femmes en Tunisie). Mais il faut absolument encourager les jeunes filles et les jeunes femmes à intensifier leur engagement dans les parcours informatiques et tech. Elles doivent saisir l’opportunité actuelle de forte demande sur ces créneaux pour explorer de nouveaux types de formation, dans lesquels le mode d’apprentissage est basé sur l’innovation pédagogique, sur le peer-learning et centré sur « apprendre à apprendre », comme celui de la Holberton School. Les soft skills et le travail en équipe y sont très développés, ce qui a des chances de plaire aux jeunes femmes et aux femmes qui souhaitent se convertir vers ces métiers d’avenir !
Quels seraient les prochains leviers à activer afin de d’attirer plus de femmes vers les métiers du digital ?
Les leviers à activer sont ceux de la formation et de l’incitation en créant un environnement propice à l’épanouissement des femmes dans le secteur de la Tech. Il faut absolument encourager ces dernières à rejoindre des programmes de « reskilling » ou de « upskilling ». Il est également important de mettre à disposition des incubateurs qui les aident à briser le plafond de verre de l’industrie de la Tech et qui leur apportent tous les outils nécessaires pour les accompagner dans leurs parcours. Il ne faut pas hésiter, non plus, à aller plus loin et à établir des politiques de discrimination positive encore plus poussées pour la Tech que dans les autres secteurs d’activité, ce qui créera les conditions favorables d’accès à des postes de haute responsabilité et qui permettra, par la suite, de servir de modèle pour que d’autres femmes se sentent capables, dans le domaine des TICs, d’arriver au top management ou de lancer un business « successful » !