Propos recueillis par Dia El Hadj Ibrahima.
En marge du Salon de l’élevage organisé par les autorités Mauritaniennes, les 29 et 30 mars derniers à Nouakchott, nous avons rencontré Abou Bacry Ly, fondateur et Directeur Général de GDM Agri Concept. Mauritanien de la diaspora, cet anthropologue et ingénieur informaticien de métier ambitionne aujourd’hui de révolutionner l’agriculture en Mauritanie. Entretien exclusif.
Quelles sont aujourd’hui vos perspectives d’investissement dans le secteur de l’agribusiness ?
Notre vision dans ce domaine s’appuie sur une agriculture écologique durable, productive et rentable. Elle consiste à reconstruire les sols par des procédés innovants à maintenir leur cycle de fertilité, à maximiser la production végétale en fonction du contexte pédoclimatique et des débouchés commerciaux et enfin à optimiser l’eau et recycler la matière organique. C’est dans cette perspective que nous avons engagé un programme d’investissement de 21 millions d’euros qui a fait l’objet d’une convention d’établissement avec l’Etat, signée le 24 novembre 2020.
Notre programme prévoit la production agroécologique de cultures maraichères, fourragères et céréalières à grande échelle ainsi que la création de 1000 emplois directs et indirects dans les 4 prochaines années
Aujourd’hui, il existe un besoin considérable au niveau national qui est loin d’être couvert malgré des importations d’aliments de bétail très importants. On estime ce marché à plus de 8 millions de tonnes par an. Le cheptel mauritanien (30 millions de têtes) est ainsi fortement dépendant de la transhumance et du déficit alimentaire induit qui impacte toute la chaîne de valeur de l’élevage. Cette production de culture maraichère a une deuxième vertu. C’est qu’elle nous permet grâce à des procédés très innovants de restaurer les sols et de leurs redonner leur auto fertilité sans apport chimique. C’est une rupture avec le schéma de culture intensive. On peut, grâce à ces procédés innovants, reverdir quasiment le désert et contribuer de manière significative à la lutte contre la désertification et l’érosion du sol. Nous sommes pour cette partie-là porteur de procédés très innovants que nous souhaitons adapter en Mauritanie. Il y aura à développer un volet important de transfert de technologie, de recherches agronomiques, de gestion de ces sols vivants et de génie végétale. Pour cela, nous avons déjà commencé à nouer des accords de partenariats avec les structures nationales de l’enseignement supérieur et de recherche scientifique et le but serait de faire un rapprochement entre le public et le secteur privé pour promouvoir durablement l’agriculture et l’agroécologie en Mauritanie.
Aujourd’hui vous exploitez combien d’hectares et dans quelle région se situe votre premier site?
Dans la première phase, nous avons démarrée un site de 155 hectares situé à 30 KM à l’Est de Rosso. Ce site est en phase de mise au point des itinéraires techniques et nous y produisons principalement de la luzerne. C’est une phase test qui nous permettra de mettre en oeuvre nos procédés et d’adapter les variétés aux conditions bioclimatiques de manière à les exploiter à plus grande échelle. Nous avons installé un pivot doté d’une technologie d’irrigation de dernière génération avec une intelligence embarquée qui permet à partir d’une application de contrôler et d’optimiser l’utilisation de l’eau selon le type de culture. Ce pivot portant un bras qui fait presque 500 mètres permet d’irriguer jusqu’à 57 hectares. C’est un système de gestion maitrisée de l’eau surtout dans cette région du Sahel où l’eau devient de plus en plus une denrée rare. Une fois validée l’efficacité et la rentabilité de ce concept, nous engagerons la seconde phase à Keur Macène où nous comptons installer d’abord 4 pivots et ensuite 24 pivots à un rythme annuel de 10 à 12 pivots par an. C’est suivant ce plan de développement que le modèle pourra être répliqué et diffusé à d’autres promoteurs agricoles, y compris l’agriculture familiale, bien sûr avec notre assistance technique et nos prestations de services et de formation afin d’apporter une forte amélioration de la productivité agricole et pastorale locale pour permettre au pays d’aller vers l’autosuffisance alimentaire sur certains produits longtemps et traditionnellement importés, dans une logique de professionnalisation et d’intégration de filière.
Le monde fait face à un bouleversement global occasionné par la pandémie covid 19 et la guerre. Comment dans ce contexte peut-on promouvoir les PPP agricoles afin d’attirer plus d’investisseurs et limiter la dépendance quasi totale de l’étranger pour se nourrir ?
Mes partenaires et moi nous sommes convaincus que la question du PPP appliquée à l’agriculture est un enjeu structurant qui pourrait booster l’investissement privé et l’apport d’expertise et de technologie comme accélérateur de développement. C’est à mon avis à ce prix que l’on pourra répondre aux grands défis alimentaires de notre pays. L’objectif serait de se diriger vers l’autosuffisance et la sécurité alimentaire aussi bien pour les populations, les bêtes mais aussi de nourrir le sol et d’éviter leur dégradation au fil du temps. Pour arriver à cette autosuffisance et sécurité alimentaire, de manière durable, il faut de gros moyens. L’agriculture paysanne seule ne suffira pas. Il est nécessaire de passer à une autre échelle en imaginant des schémas de partenariats plus efficaces pour attirer des investissements massifs dans l’agroécologie et des expertises étrangers. Notre projet aligne un réseau d’experts et de producteurs en France et plus de 200 professionnels couvrant toutes les filières depuis la gestion du sol jusqu’au génie végétal. Il y a aussi un volet intéressant à mettre en avant. Il s’agit de la partie infrastructure, non seulement pour l’eau, l’électricité et la mise en valeur des terres mais également d’infrastructures de services (logistiques, transport, froid) dans une logique de mutualisation et d’entraînement au profit des petits agriculteurs qui pourraient accéder ainsi à des outils de production performants en bénéficiant de l’assistance technique et de la formation requise. Dores et déjà nous avons un programme de RSE que nous avons prévu de mettre en œuvre dans le cadre de notre projet, et nous sommes disposés à contribuer à la formation et à la diffusion des expériences requises et de retour de connaissance au profit de tout programme visant l’amélioration de l’agriculture paysanne et sa professionnalisation
Le salon de l’agriculture et de l’élevage de Nouakchott fut un grand rendez-vous entre agriculteurs, éleveurs et financiers. Quel bilan faites-vous de cette rencontre ?
Ces journées de rencontre ont permis à GDM-AGRICONCEPT d’approfondir avec les principaux laitiers qui étaient présents à cette manifestation ainsi qu’avec les éleveurs les modalités pratiques relatives à la maîtrise de la chaîne d’approvisionnement d’aliment de bétail en termes de qualité, de quantité et de régularité dans une démarche d’intégration de filière face à la crise du Covid 19 et aux tensions prévisibles sur le marché mondial de l’aliment de bétail.
Le développement d’un pays nécessite des ressources humaines qualifiées. Quelle pourrait être la place de la diaspora dans le processus de transformation économique du pays ?
Je résumerai ce rôle en parlant de mon expérience personnelle. Je reviens au pays après avoir passé toute ma carrière en France notamment dans le développement d’entreprise innovante dans le domaine de l’informatique et du digital, aujourd’hui j’apporte cette expertise transposée dans le domaine de l’agriculture en vue d’apporter ma contribution face aux défis que vous avez évoqués plus haut. Le rôle de la diaspora c’est d’apporter le savoir-faire acquis à l’extérieur pour le mettre à la disposition du pays, certes, mais c’est aussi jouer un rôle de guide et de tiers confiance vis-à-vis des investisseurs étrangers.