Les gazoducs constituent les nerfs du marché énergétique mondial et le dessous des politiques sécuritaires des Etats. Oú en est donc l’Afrique dans l’investissement, la construction et la gestion de ces corridors de plusieurs milliards de dollars? Pour répondre à cette question essentielle et complexe, nous nous sommes adressés à l’expert mauritanien Hassana Mbeirick, consultant international en pétrole et gaz, qui nous livre dans ce rapport décapant des conclusions que tout chef d’Etat, tout ministre de l’Energie ou simplement tout stratège attentif au dessous des cartes dans la guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine doit considérer avec attention. Exclusif.
Par Hassana Mbeirick*.
Ouagadougou, 9 et 10 décembre 2020. Le Département en charge de l’Energie et des Mines de la Commission de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tenait une réunion des experts sur l’état d’avancement de la mise en œuvre du Projet d’extension du réseau de gazoduc de l’Afrique de l’Ouest (WAGPEP). L’objectif de la rencontre était d’échanger avec les Etats membres sur les développements actuels liés au WAGPEP. Il s’agissait de présenter aux Etats membres l’état de la mise en œuvre du WAGPEP, de faire le point sur les interactions entre le WAGPEP et le Gazoduc Nigeria-Maroc (NMGP) et enfin de recueillir les orientations des Etats membres sur le processus de synergie entre WAGPEP et NMGP.
La réunion a vu la participation des Représentants des Ministres en charge des Hydrocarbures et de l’Energie des 15 Etats membres de la CEDEAO. Plusieurs autres Institutions étaient également présentes à Ouagadougou, notamment l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA); l’Autorité du Gazoduc de l’Afrique de l’Ouest (AGAO) ; la Société du Gazoduc de l’Afrique de l’Ouest (WAPCo) ; l’Unité de Préparation et de Développement des projets d’infrastructures de la CEDEAO (PPDU) ; la Nigeria National Petroleum Corporation (NNPC) et la Société National des Hydrocarbures et des Mines du Maroc (ONHYM).
Pour rappel, en 2015, la Commission de la CEDEAO, sur recommandation des chefs d’Etats et de Gouvernement, avait initié une étude de faisabilité pour l’extension du réseau de gazoduc de l’Afrique de l’Ouest. Cette étude s’était avérée nécessaire compte tenue de la demande largement exprimée dans la région pour l’utilisation du gaz naturel pour la production d’électricité mais aussi la nécessité de trouver des solutions durables aux difficultés rencontrées par le gazoduc existant.
Les conclusions de l’étude avaient été adoptées par les Ministres sectoriels en charge de l’Energie/Hydrocarbures puis par les instances statutaires de la CEDEAO en décembre 2018 à Abuja. Ce qui a conduit à une réunion des parties prenantes pour le développement de la phase 1 du Projet d’extension du réseau de gazoduc de l’Afrique de l’Ouest (WAGPEP)
Dans l’intervalle de développement du WAGPEP, le Nigéria et le Maroc ont initié la construction d’un gazoduc (Gazoduc Nigeria-Maroc) reliant le Nigéria au Maroc en vue de valoriser les importantes réserves de gaz naturel du Nigéria et de répondre aux besoins croissants du Maroc et de l’Europe en gaz naturel. Au vu des conclusions de l’étude sur le Gazoduc Nigeria-Maroc (NMGP), il est apparu que les deux projets ont à peu près le même tracé et sont au même stade d’avancement (préparation des études FEED).
Ces deux projets concourant à des objectifs communs qui sont la valorisation des ressources gazières de la région, l’approvisionnement des pays en énergie propre y compris les États membres de la CEDEAO, il apparait dès lors nécessaire qu’une synergie entre la Commission de la CEDEAO et les Promoteurs du Projet de Gazoduc Nigeria-Maroc soit envisagée afin de fédérer les efforts vers l’atteinte de leurs objectifs. Dans cette perspective, un mémorandum d’entente était en cours de discussion entre la Commission de la CEDEAO, la NNPC et l’ONHYM. C’est dans ce contexte que la Commission de la CEDEAO avait jugé utile d’organiser cette réunion de concertation avec les Etats membres et les organisations parties prenantes à ce processus.
Le projet de gazoduc Maroc-Nigéria au cœur d’une lutte informationnelle
Le projet de gazoduc Maroc-Nigéria (ralliant le Nigéria au Maroc en traversant 14 pays) pourrait devenir une référence de la coopération Sud-Sud, tant au niveau économique que politique. Il permettrait de connecter les ressources gazières nigérianes aux pays de l’Afrique de l’Ouest et au Maroc pour desservir l’Europe par la suite.
Il existe déjà deux gazoducs dans la zone Afrique du Nord-Ouest, le «West African Gas Pipeline», qui relie le Nigéria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo, et le gazoduc Maghreb-Europe (également nommé «Pedro Duran Farell») qui relie l’Algérie à l’Europe via l’Espagne (Cordoue) en passant par le Détroit de Gibraltar et le Maroc. Le projet de gazoduc Maroc-Nigéria devrait donc relier le West Africain Gas Pipeline. Ce projet s’inscrit également dans la diplomatie ouest-africaine puisqu’il impliquerait la plupart des pays membres de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest).
La stratégie des acteurs impliqués
Le gazoduc Maroc-Nigéria devrait mesurer environ 5 660 kilomètres de long. Il longerait la côte Ouest Africaine en traversant ainsi 14 pays : Nigéria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, Guinée, Guinée Bissau, Gambie, Sénégal, Mauritanie et Maroc. Le prix est estimé pour l’instant entre 20 et 25 milliards de dollars. Ce projet a été annoncé en décembre 2016, lors de la visite d’État du souverain marocain au Nigéria. En Mai 2017, des accords de coopération ont été signés à Rabat pour engager les deux parties à parrainer une étude de faisabilité (terminée en Juillet 2018) ainsi qu’une pré-étude des détails (FEED) rendue au premier trimestre 2019. En Juin 2018, des accords relatifs à sa construction sont signés à Rabat. Dans la phase de pré-études, il s’agit pour les États traversés et la CEDEAO de signer des accords relatifs à sa construction mais aussi de valider les volumes de gaz disponibles pour l’Europe et d’entamer les discussions avec les opérateurs du champ «Tortue» (ressources gazières) au large du Sénégal et de la Mauritanie (ces deux pays ont signé un accord en décembre 2018 afin d’exploiter en commun le champ gazier Grand Tortue-Ahmeyim) et approcher des clients européens.
Les différents acteurs du projet estiment que celui-ci permettrait de booster les industries régionales, de soutenir la création de pôles industriels, de faciliter l’essor des secteurs de l’industrie, de la transformation alimentaire et des engrais, mais aussi d’améliorer la compétitivité des exportations entre pays africains. Il permettrait donc à l’Afrique de l’Ouest de s’auto-suffire dans ces domaines-là.Il faut rappeler également que ce projet de gazoduc s’inscrit après la découverte de gaz dans la province de l’Oriental Marocain, qui amène le Maroc à un plan gazier appelé «Gas to Power». Différents acteurs sont mêlés autour de ce projet de gazoduc Maroc-Nigéria. Il a vu le jour sous l’impulsion tout d’abord du Maroc, à travers son souverain, Mohammed VI, et son Ministre de l’Énergie des Mines et du Développement durable, et du Nigéria à travers son Président, Muhammadu Buhari.
Le Nigéria est le 22ème producteur mondial de gaz, 5ème exportateur dans le monde et premier en Afrique. La CEDEAO aura, elle, un rôle moteur dans la négociation des accords et l’encadrement de la construction du gazoduc dans la mesure où les États traversés par le gazoduc en font partie.
Les parties prenantes privées
Des acteurs privés sont également impliqués jusqu’ici, notamment des cabinets britanniques comme Penspen qui est intervenu dans l’étude de faisabilité et la pré-étude de détails du gazoduc. L’ONHYM (Office National des Hydrocarbures et des Mines du Maroc) et la NNPC (Nigerian National Petroleum Corporation) ont également joué un rôle prépondérant dans la mesure où ils ont effectué le tracé du gazoduc, tracé offshore et onshore, ont choisi la société Penspen et ont réalisé avec elle la première phase du projet avec la pré-étude de détails (FEED). Des banques internationales de développement vont également être sollicitées afin d’obtenir les financements du projet, pour accompagner les fonds souverains des deux pays qui sont pour le Maroc Ithmar Capital et pour le Nigéria le Nigerian Sovereign Investment Authority (NSIA).
Des rapports de forces économiques et diplomatiques entremêlés
Afin d’appuyer son projet, le Maroc met en avant le développement économique de l’Afrique de l’Ouest pour tendre à plus d’indépendance vis-à-vis de l’extérieur, notamment l’indépendance énergétique à travers le gaz. La construction d’un tel gazoduc permettrait l’électrification de la région et pourrait être bénéfique à plus de 300 millions de personnes. Également, un tel projet placerait la région comme nouveau pôle d’approvisionnement pour l’Europe face à la Russie, la Norvège et l’Algérie.
En opposition aux arguments du Maroc, l’agence américaine de notation internationale Fitch Solutions a rendu public un rapport remettant en cause la pertinence du projet à cause des complications soulevées par le nombre de pays impliqués et de leur législation en vigueur. De nombreuses difficultés seront à surmonter lors de la mise en place d’un cadre politique, juridique, technique et financier global entre les 14 pays concernés ainsi que la présence sur le marché européen déjà très concurrentiel de la Russie, de la Norvège et de l’Algérie. Bien évidemment, le conflit russo-ukrainien survenu en février 2022 et la décision prise par l’Europe de réduire sa trés forte dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou revalorise le gazoduc Maroc-Nigéria.
Dans un autre contexte, le Maroc et l’Algérie s’affrontent dans un rapport de force économique qui a conduit à l’arrêt décidé par Alger de l’exploitation conjointe du Gazoduc Maghreb Europe (GME), un pipeline dont le contrat de redevance arrivé en expiration en 2021 n’a pas été renouvelé. Cet événement majeur qui affecte l’Espagne est un coup de pouce supplémentaire en faveur du gazoduc Maroc -Nigéria-CEDEAO.
Notons que l’Algérie avait dès 2002 conclu un accord cadre avec le Nigéria pour la réalisation d’un projet de gazoduc. Si Muhammadu Buhari n’y a pas encore renoncé, tout porte à croire que Abuja penche plutôt du côté du projet marocain lequel bénéficie d’un tracé englobant quasiment toute la CEDEAO. Sur ce sujet sensible, l’Algérie est manifestement sous pression. Une pression accentuée par le revirement des alliances, Madrid s’alignant désormais sur le point de vue marocain dans le vieux dossier du Sahara.
Le Maroc à l’offensive
La diplomatie marocaine qui a changé de fusil d’épaule avec une décision spectaculaire du royaume de réintégrer l’Union Africaine (en 2017) fait de l’adhésion à la CEDEAO une priorité. Conséquence, le Nigéria qui soutenait l’indépendance du Sahara Occidental privilégié désormais une voie médiane. L’Afrique de l’Ouest est cependant le premier partenaire commercial du Maroc en étant la principale destination de ses exportations, et son premier fournisseur. Le Maroc a donc réintégré l’Union Africaine tout en étant toujours en phase de négociation pour la CEDEAO. Le Nigéria est un interlocuteur précieux pour Rabat puisqu’il est la première économie du continent, devant l’Afrique du Sud et qu’il faut son accord pour intégrer la CEDEAO. Si le Maroc obtient une neutralité bienveillante sur ses ambitions africaines, son entrée dans la CEDEAO lui sera facilitée.
La concurrence entre le Maroc et l’Algérie
Si le Maroc et le Nigéria mènent à bien leur projet et arrivent à opérer une incursion sur le marché européen, ils se placeraient en leaders de la coopération Sud-Sud et permettraient de jeter les bases des aspirations panafricaines. L’Europe, dans ce projet, gagnerait aussi à élargir le panel de ses fournisseurs en gaz, dont elle est aujourd’hui très dépendante. Ces rapports de force illustrent la concurrence entre l’Algérie et le Maroc pour asseoir une sphère d’influence en Europe et dans la région nord-africaine. Ils démontrent aussi que le Nigeria joue un rôle de leader dans la région et que le développement énergétique de la région en dépend. Notons que la découverte récente de gaz dans la province de l’Oriental marocain pourrait aussi jouer en faveur du Maroc, puisque le Nigéria aurait encore plus intérêt à soutenir le gazoduc Maroc-Nigéria du fait de son besoin en gaz.
L’Algérie ne semblerait pas soutenir le projet Maroc-Nigeria lequel pourrait concurrencer son gazoduc déjà existant et qui approvisionne l’Europe via l’Espagne. Alger dispose également, comme rapporté ci-haut, d’un projet d’envergure, le fameux Gazoduc Nigéria -Algérie qui, face aux risques sécuritaires de la région, n’a pas encore réussi à obtenir l’appui des bailleurs de fonds.
Gazoduc Nigeria-Maroc : pleins gaz sur un projet géostratégique
Pour le Nigéria, ce gazoduc est une aubaine, d’autant plus que son budget dépend à 95% de cette industrie. À ce jour, ce pays, disposant d’une réserve de cinq trillions de m3 de gaz naturel, en exporte 45 milliards par an. De ce fait, une optimisation du coût du transport de ce produit, qui se fait sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL), serait un plus pour le Nigéria. À noter que c’est la centrale nigériane de Bonny Island, située à l’est du pays (le sud géographique), qui traite et liquéfie le gaz du pays avant son exportation, explique l’expert Amine Laghidi cité par la presse marocaine. De plus, parmi les principaux clients du Nigéria, on retrouve l’Inde (40% du volume de gaz exporté) ainsi que la France et l’Espagne (45%). La position du Maroc comme portail del’Afrique faciliterait ainsi les exportations vers le sud de l’Europe. De ce fait, le nouveau gazoduc servira de «vecteur de développement, de création d’emplois et de consolidation des investissements étrangers» pour le pays, et ce en raison de sa qualité de «projet à revenu stable» ainsi qu’à la demande croissante en gaz. Par ailleurs, poursuit l’expert, ce gazoduc, qui traversera 13 pays «par voies terrestre et maritime», permettra aux pays concernés d’édifier les structures nécessaires pour injecter leur propre gaz et l’exporter, dans le cadre d’accords convenus à cet effet. Aussi, ce projet soutiendra la transformation alimentaire et des engrais, tout en améliorant la compétitivité des exportations entre pays africains. Enfin, à travers le Gazoduc Nigéria-Maroc, Rabat et Abuja cherchent avant tout à assurer l’indépendance énergétique de l’Afrique de l’Ouest vis-à-vis de l’extérieur. La concrétisation de ce projet permettra effectivement à cette région de s’autosuffire en termes d’électrification et profitera à plus de 300 millions de personnes, et la placera également comme nouveau pôle d’approvisionnement en gaz naturel, au côté de la Russie, de la Norvège et de l’Algérie.
Nigéria – Maroc : un mega projet de gazoduc… mais encore au conditionnel
Venant en extension du gazoduc ouest-africain long de 678 km, le projet de gazoduc offshore entre le Nigéria et le Maroc se présente comme un vecteur majeur du développement de la région. S’il s’intègre en partie au vaste plan gazier du Maroc, cette infrastructure qui devra longer plus de 3000 km de côtes pour joindre le Maroc voire l’Europe, éventuellement », ainsi que le déclarait Geoffrey Onyeama, ministre nigérian des Affaires étrangères, doit surmonter de nombreux obstacles avant de voir le jour. «Ce projet structurant permettra à terme à tous les pays de l’Afrique de l’Ouest d’alimenter leurs centrales électriques respectives en gaz mais aussi d’alimenter leurs unités industrielles et domestiques, indiquait un communiqué marocain de décembre 2016 au lendemain de la signature du cadre global de partenariat. Également parmi les enjeux, l’amplification d’un marché inter-électrique ouest africain qui deviendra plus compétitif et interconnecté au Maghreb et à l’Europe. La baisse du coût du KWH favorisera l’émergence de bassins industriels face à l’Europe et rendra la région compétitive pour les IDE mondiaux. L’addition du gaz et des phosphates permettra à la région d’être autosuffisante en engrais. «Le projet facilitera de ce fait l’essor de secteurs allant de l’industrie à la transformation alimentaire en passant par les engrais et améliorera la compétitivité des exportations, notamment entre pays africains », précisait le communiqué nigérian, publié en décembre 2016.
Chiffre pour chiffre, notons que l’actuel Gazoduc Ouest Africain, géré par Wapco, un consortium comprenant des Etats mais aussi Chevron (opérateur) et Shell, affiche une capacité de 5 milliards de m3 par an (soit, à titre de comparaison, environ 10% de celle du récent gazoduc NordStream qui relie la Russie à l’Europe). La prolongation pourrait impliquer un accroissement de capacité du gazoduc Wapco, surtout, si comme c’est évoqué, le projet Nigeria-Maroc devait à terme rejoindre l’Espagne. Par ailleurs, ce type d’infrastructure suppose toujours la conclusion d’accords commerciaux à long terme avec des clients identifiés pour sécuriser les financements. Et la négociation du tracé et des droits de passage avec les pays riverains, soit en l’espèce huit états. Côté marocain, ce projet intégrera le plan gazier « Gas to power » qui devrait faire passer la consommation de gaz naturel du royaume de 0,9 milliard de m3 en 2014 à 5 milliards de m3 en 2025 pour produire de l’électricité et fournir l’industrie. Le recours à l’importation par le gazoduc ouest-africain pourrait révolutionner la structuration initiale du plan marocain «gas to power». Celui-ci misait jusqu’ici sur l’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) par voie de mer via un port dédié encore à construire. Les infrastructures portuaires et de regazéification représentent ainsi à elles seules près de 30% du coût de tout le plan Gas to power, évalué en 2014 à 4,6 milliards d’euros par le ministère marocain de l’Industrie, alors que par ailleurs le royaume prévoit près de 15 milliards de dollars d’investissements (surtout via des capitaux privés) dans les énergies vertes d’ici à 2030. La réalisation du plan Gas to power doit s’étaler sur une dizaine d’années. Une centaine d’entreprises, dont Edf, Engie ou Gazprom avaient répondu à l’appel à manifestation d’intérêt et le ministère de l’Energie doit passer prochainement à l’étape de l’appel d’offres. Soutenue par une volonté politique forte, la réalisation du gazoduc Nigeia-Maroc évitera-t-elle le piège des retards ? Par comparaison, le Gazoduc Ouest africain a demandé plus de 28 ans avant d’aboutir enfin en 2010. Pour rappel, le memorandum d’entente entre l’Algérie et le Nigéria pour la construction d’un gazoduc transsaharien d’une capacité de 20 à 30 milliards de m3 signé en 2001 n’a jamais eu de suites. En cause, la présence des jihadistes de Boko Haram et d’Aqmi dans le nord du Nigeria et au Sahel, mais également le manque de financement, l’absence d’engagement de l’Union européenne par des accords commerciaux.
Si ce gazoduc entre le Maroc et le Nigéria devait voir le jour, il représenterait toutefois une victoire pour le royaume sur son voisin et éternel rival l’Algérie. Rabat qui importait près d’un milliard de mètres cube – via le Gazoduc Maghreb Europe reliant l’Algérie à l’Espagne, aujourd’hui à l’arrêt, cherche des alternatives. Pour sa part, le Nigéria via la NNPC réfléchit sur les moyens de répondre aux besoins croissants de la demande nationale (200 millions d’habitants) et des prévisions d’exportation au-delà des 35 prochaines années. Cela passe par la sécurisation du territoire de ce pays locomotive de l’Afrique de l’Ouest.
EN attendant, force est le dire, les victoires diplomatiques du Maroc sur le plan international (USA, Espagne) minimisent l’importance de la question du Sahara dans ce programme d’investissements structurant à l’échelle de plusieurs pays dont ceux de l’Union Européenne. Au delà du contexte africain, l’idée pour Bruxelles est de réduire à néant une trop forte dépendance à Gazprom, redevenu depuis 2013 le premier fournisseur des pays de l’Union européenne (UE) avec de fortes augmentations d’exportations vers l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et divers pays de l’Est. Dans le contexte de l’époque, l’abandon de Nabucco West, le projet sponsorisé par Bruxelles, battu par le modeste Trans Adriatic Pipeline (TAP), avait redonné de l’élan au projet russe South Stream2. Un choix qui s’avèrera lourd de conséquence en 2022 à l’heure du conflit Russo-ukrainien.
L’autre enjeu de ce projet concerne l’Algérie, premier producteur africain de gaz avec 50 % de la production. Les hydrocarbures représentent et de loin la principale source de revenus du pays. La Sonatrach est le groupement algérien chargé de la production, du transport et de la commercialisation des hydrocarbures, elle est classée 1e société en Afrique et 12e plus grand groupe pétrolier au monde. La crise ukrainienne ayant montré à quel point l’Europe a besoin de diversifier ses approvisionnements en gaz pour réduire sa dépendance russe, la question de la contribution de l’Algérie à cette volonté européenne de diversification se pose.
Les gazoducs algériens et le grand projet d’interconnexion gazière
Les plus grands projets auxquels la Sonatrach a pris part ces dernières années sont Medgaz, Galsi et le Trans-Saharan Gas Pipeline (TSGP). L’idée de relier directement l’Algérie et l’Espagne par un pipeline sous-marin avait été étudiée depuis les années 1970. Ensuite, les études de faisabilité furent menées mais l’absence de maîtrise de technologie d’installation en eau profonde empêcha le projet de se concrétiser. Le gazoduc Medgaz, entre l’Algérie et l’Espagne, entra officiellement en service le 2 mars 2011, lors d’une cérémonie organisée en Algérie à laquelle participèrent le PDG de Sonatrach, Noureddine Cherouati, et le président du consortium de construction, Pedro Miró. Le lancement, initialement prévu pour la fin 2009 avait été retardé à plusieurs reprises pour démarrer en 2021 avec une capacité plutôt modeste comparée au GME arrêté au même moment.
Le gazoduc Medgaz relie la ville algérienne de Beni Saf dans la Wilaya d’Ain Temouchent et Almería du côté espagnol sur 1 050 km de canalisations dont 550 en territoire algérien. Avec une profondeur maximale en mer qui atteint les 2 160 mètres. Le gaz prend environ trois heures pour atteindre l’Espagne. Medgaz a une capacité totale de 11,4 milliards de m3/an dont 8 milliards destinés à l’exportation (rehaussement possible).
Nord-Stream 2 : Pomme de la discorde
Le Gazoduc Nord Stream 2 relie l’Allemagne à la Russie, mais sépare l’Europe. La construction du controversé gazoduc Nord Stream 2 avait été retardée de plus d’un an et son achèvement est de plus en plus menacé après que les États-Unis aient imposé des sanctions aux entreprises impliquées et pris de nouvelles mesures contre la Russie. Le gazoduc sous la mer Baltique fait l’objet de débats houleux depuis des années. Le projet permettrait au gaz russe supplémentaire d’être acheminé directement vers l’Allemagne. Les partisans du projet soutiennent que le gazoduc est un investissement commercial essentiel à la sécurité d’approvisionnement de l’Europe. A l’inverse, les détracteurs de Nord Stream 2 avancent des raisons environnementales, géopolitiques et sécuritaires.
Le Projet Nord Stream 2 est un gazoduc jumeau sous-marin qui transporterait le gaz naturel de la Russie directement vers l’Allemagne. D’une longueur de 1 230 kilomètres, il suivra le tracé du double gazoduc existant Nord Stream sous la mer Baltique. Le pipeline Nord Stream original, d’une capacité annuelle de 55 milliards de mètres cubes (Gm3), a été achevé fin 2012. La capacité totale du réseau pipelinier devrait doubler pour atteindre 110 Gm3 après l’achèvement de Nord Stream 2. Le gazoduc traverse les zones économiques exclusives de cinq pays : la Russie, l’Allemagne, le Danemark, la Finlande et la Suède. Nord Stream 2 est construit par Nord Stream 2 AG, un consortium constitué en Suisse. Son président du conseil d’administration est Gerhard Schröder, chancelier allemand de 1998 à 2005 et objet de vives critiques pour ses liens avec la Russie.
La société d’État Gazprom, basée à Moscou, est l’unique actionnaire du projet et s’est engagée à fournir jusqu’à 50 % du financement du projet, le reste des fonds provenant des sociétés allemandes Wintershall et Uniper, Royal Dutch Shell, française ENGIE et autrichienne du pétrole et compagnie de gaz OMV. Selon Nord Stream 2 AG, le coût global du projet s’élèvera à environ 9,5 milliards d’euros.
Le gaz que le gazoduc doit transporter se trouve dans la péninsule de Yamal, dans le nord de la Russie, qui détient près de 5 000 milliards de mètres cubes de réserves de gaz, selon le consortium Nord Stream 2. Une fois extrait, le gaz doit être transporté vers la Russie côtière. Là, il doit passer par une station de compression – une installation qui augmente la pression du carburant – puis être introduit dans le pipeline. Après avoir pénétré dans le golfe de Finlande, l’oléoduc doit réapparaître sur terre dans le nord-est de l’Allemagne, près de Greifswald.
La Russie, l’Allemagne, la Finlande, le Danemark et la Suède ont accordé tous les permis nécessaires à la construction du gazoduc prévu sur leur territoire. La construction de Nord Stream 2 en Allemagne a commencé en 2016 avec la production des tuyaux en acier et s’est poursuivie avec le creusement d’une tranchée sur le fond marin en mai 2018. En juillet 2018, les premiers tuyaux en acier ont été installés sur le point d’atterrissage allemand à Lubmin.
Développements récents
Le 19 mai 2021, les États-Unis lèvent les sanctions contre la société allemande Nord Stream AG, à l’origine de la construction du gazoduc Nord Stream 2, et son PDG Matthias Warnig. L’administration Biden le faisait dans le but de ne pas compromettre les relations des États-Unis avec l’Allemagne, selon les médias. La chancelière Merkel s’était félicitée de la décision, affirmant que le président américain « s’est un peu avancé dans notre direction ». L’administration Biden avait déclaré plutôt, à la mi-mars 2021, qu’elle s’engageait à se conformer à la législation sur les sanctions mise en place avec le soutien bipartite du Congrès, et a appelé les entreprises impliquées à « abandonner immédiatement les travaux sur le pipeline ». Cela a freiné les attentes d’un accord entre l’Allemagne et les États-Unis.
Des médias allemands, américains et internationaux tels que Handelsblatt, Wall Street Journal et le Financial Times avaient rapporté à la mi-février 2021 que l’administration du nouveau président Joe Biden pourrait être disposée à conclure un accord avec l’Allemagne sur Nord Stream 2, selon des sources gouvernementales. Un alinéa accompagnait cependant la décision américaine. Cette notice stipulait que l’Allemagne arrêterait les futures livraisons de gaz naturel via le gazoduc dans le cas où la Russie ferait pression sur l’Ukraine.
Après plus d’un an de menaces, les États-Unis avaient introduit les premières sanctions le 19 janvier, dernier jour de mandat de l’ancien président Donald Trump. L’administration américaine avait sanctionné le navire russe Fortuna, qui a ensuite repris la pose de canalisations dans les eaux danoises le 6 février. Le pipeline devait initialement être achevé la fin de 2019. Environ 2 300 km sur environ 2 460 km avaient été posés en décembre 2019, lorsque la société suisse de pose de canalisations Allseas a suspendu ses activités à la suite de l’introduction de la législation américaine sur les sanctions. À la mi-mai 2021, les promoteurs du projet ont déclaré qu’il restait encore environ 93 km dans les eaux danoises et 28 km dans les eaux allemandes à raccorder, selon ICIS.
Fin janvier 2021, le Parlement européen a appelé à l’arrêt de Nord Stream 2 après l’arrestation du chef de l’opposition russe Alexei Navalny. Le même jour, la chancelière allemande Angela Merkel a réaffirmé son soutien à Nord Stream 2. « Mon attitude de base n’a pas encore changé au point où je dis que le projet ne devrait pas exister », a déclaré Merkel. Les appels à arrêter ou du moins à suspendre le projet de gazoduc avaient déjà gagné du terrain parmi les politiciens allemands après l’empoisonnement de Navalny fin août 2020. Norbert Röttgen, un législateur de la CDU conservatrice de Merkel, a déclaré que l’achèvement de Nord Stream 2 » serait la confirmation ultime pour Vladimir Poutine qu’il mène exactement la bonne politique parce que l’Occident ne fait rien, du moins dans les domaines qui l’intéressent ».
Dans les premiers jours de 2021, le gouvernement régional de l’État allemand de Mecklembourg-Poméranie occidentale, où atterrirait le gazoduc NS2, avait décidé de créer une fondation «climat» pour contourner la menace de sanctions américaines – une tentative qui pourrait s’avérer être futile. L’approche a été largement critiquée en Allemagne, également parce que le pipeline a été présenté comme nécessaire pour l’action climatique. Cela a provoqué une nouvelle vague de voix d’opposition en Allemagne, dans les pays voisins comme la Pologne et au-delà.
Les arguments pour et contre
Les partisans du projet, qui comprennent le gouvernement russe, les entreprises impliquées et certains politiciens allemands, soutiennent que le gazoduc augmenterait à la fois la sécurité d’approvisionnement en reliant l’Europe occidentale aux plus grandes réserves de gaz du monde et soutiendrait les objectifs de durabilité en remplaçant le charbon en tant que moins de CO2. -complément intensif aux énergies renouvelables. L’Allemagne prévoit de supprimer progressivement son utilisation de charbon afin d’atteindre ses objectifs de réduction des émissions de CO2, ce qui mettra encore plus à rude épreuve son réseau électrique, affirment les partisans de Nord Stream 2. Les partisans du projet soutiennent également que Nord Stream 2 pourrait fournir l’énergie actuellement fournie par les centrales nucléaires, qui devraient être mises hors ligne. Les États-Unis, des groupes écologistes, de nombreux politiciens allemands et plusieurs pays d’Europe de l’Est s’opposent au projet. Les opposants soutiennent que le gazoduc nuirait aux écosystèmes marins fragiles, mettrait en péril la transition du bloc vers une économie à faible émission de carbone, augmenterait la dépendance européenne à l’égard de la Russie pour l’énergie à un niveau dangereux et autonomiserait la Russie à un moment où elle est critiquée pour ses activités déstabilisatrices autour du globe.
Un approvisionnement fiable ?
Les partisans du projet soutiennent que, malgré les préoccupations géopolitiques, l’Allemagne doit importer plus de gaz et que le nouveau gazoduc pourrait apporter un approvisionnement fiable et abordable au pays. En tant que premier importateur mondial de gaz naturel, l’Allemagne s’approvisionne actuellement en quasi-totalité (94 % en 2018) du gaz naturel qu’elle consomme à l’étranger, selon l’Institut fédéral des géosciences et des ressources (BGR). La production nationale de gaz naturel est en baisse depuis 2004 et cessera probablement complètement au cours de la prochaine décennie, et une exploitation plus poussée des approvisionnements en gaz naturel de l’Allemagne via la fracturation hydraulique reste peu probable.
En raison de la réglementation sur la confidentialité des données, l’Office fédéral des affaires économiques et du contrôle des exportations (BAFA) a cessé de publier les volumes d’importation par pays en 2016. Cependant, on peut supposer que la Russie, la Norvège et les Pays-Bas restent les principaux fournisseurs de l’Allemagne, selon le BGR. En juillet 2018, un porte-parole du ministère allemand de l’Économie estimait la part de la Russie dans les importations allemandes de gaz naturel à « environ 40 % ». Il s’agissait également de la part des importations de gaz de l’UE dans leur ensemble en 2018.
En 2015, 35 % des importations allemandes de gaz provenaient de Russie, 34 % de Norvège et 29 % des Pays-Bas, la part de ces derniers devant baisser car la production aux Pays-Bas est réduite et potentiellement supprimée d’ici 2030. Les partisans du gazoduc estiment que la diminution de la production de gaz au sein de l’Union européenne signifie qu’une plus grande partie du combustible fossile devra être importée dans les années à venir, en grande partie de Russie. Cela augmenterait l’importance de l’Allemagne en tant que pays de transit pour l’approvisionnement du reste du continent. La consommation allemande de gaz est en hausse depuis 2014, alimentée en grande partie par des importations record de Gazprom.
Cependant, le groupe de réflexion environnemental E3G a découvert que, même dans un scénario dans lequel le secteur électrique allemand passerait rapidement de l’électricité au charbon à l’électricité produite au gaz, Nord Stream 2 serait inutile. Comme le note le rapport, «du point de vue de la sécurité d’approvisionnement, il n’y a pas besoin de nouvelles capacités d’importation en Allemagne, comme Nord Stream 2». Au lieu de cela, écrit le groupe de réflexion, les importations via les terminaux et les pipelines de gaz naturel liquéfié (GNL) existants suffiraient à répondre aux besoins futurs attendus.
Gazprom construit également TurkStream, un double gazoduc de 31,5 milliards de mètres cubes au fond de la mer Noire, pour approvisionner la Turquie et l’Europe du Sud-Est en gaz naturel russe. Les approvisionnements commerciaux via la première ligne ont commencé début 2020, la deuxième ligne est en construction.
Pour compliquer encore le débat, il existe une incertitude quant à l’évolution future de la demande allemande de gaz. Alors que le BGR écrit dans une étude de 2017 que l’utilisation domestique de gaz naturel va augmenter, FNB Gas, l’association des gestionnaires de réseau de transport de gaz allemand, examine deux scénarios : l’un dans lequel la demande augmentera et l’autre dans laquelle elle diminuera au cours de la prochaine décennie. L’Agence fédérale des réseaux (Bundesnetzagentur) fonde ses plans de développement du réseau de transport de gaz naturel sur les cadres de scénarios de FNB Gas. Le gouvernement allemand fait peu de déclarations sur la demande future totale de gaz attendue, mais souligne que le carburant jouera un rôle plus important et que les importations augmenteront également en importance à mesure que la production intérieure européenne diminue.
Les projections concernant la future demande de gaz de l’UE varient également considérablement, certaines remettant en question le besoin de capacités d’importation supplémentaires. Dans un article de 2018, l’Institut allemand de recherche économique (DIW) a écrit que les prévisions de consommation d’énergie sur lesquelles se fonde Nord Stream 2 « surestiment considérablement la demande de gaz naturel en Allemagne et en Europe » et qu’il n’y aura pas d’écart d’approvisionnement si le gazoduc est pas construit.
Dans une étude de 2017, l’organisation de recherche et de conseil en énergie ewi Energy Research & Scenarios a écrit que Nord Stream 2 aiderait également à faire baisser les prix du gaz dans l’UE. « Lorsque Nord Stream 2 sera disponible, la Russie pourra fournir plus de gaz à l’UE, réduisant ainsi le besoin d’importer du GNL plus cher. Par conséquent, le prix à l’importation des volumes de GNL restants diminue, réduisant ainsi le niveau global des prix de l’UE-28 », a écrit ewi. Ces différentes supputations et argumentations en faveurs et contre Nord Stream 2 sont à lire sous l’angle de la guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine.
Environnement
Les partisans et les opposants de Nord Stream 2 sont également en désaccord sur les avantages et les inconvénients environnementaux du pipeline. Les partisans disent que le gazoduc pourrait aider l’Allemagne à atteindre ses objectifs de réduction des émissions de carbone. Nord Stream 2 AG soutient que le remplacement du charbon par du gaz naturel profite au climat car, lorsqu’il est brûlé, le gaz naturel émet moins de dioxyde de carbone que le charbon. Cependant, en fonction du volume de méthane qui fuit lors de l’extraction, du traitement et du transport du gaz, on ne sait pas exactement à quel point le gaz naturel est plus bénéfique pour le climat.
Même si le gaz naturel était plus respectueux du climat que le charbon, certains militants du changement climatique estiment néanmoins que le projet devrait être abandonné. Selon eux, la combustion du gaz naturel contribue au réchauffement climatique, et la construction d’un gazoduc de plusieurs milliards d’euros représente un investissement qui « verrouillera » l’Allemagne – et l’UE – dans les combustibles fossiles « pendant des décennies ». « Si les États membres de l’UE sont sérieux au sujet de leurs engagements à lutter contre le changement climatique, ils devraient arrêter Nord Stream 2 », écrit Marcin Stoczkiewicz dans Climate Home News en avril 2017. Les groupes de conservation marine s’opposent également au projet énergétique, faisant valoir que la pose de nouveaux pipelines sous la mer Baltique aurait des effets néfastes sur les écosystèmes. L’Union pour la conservation de la nature et de la biodiversité (NABU) avait tenté en vain d’arrêter la construction devant les tribunaux locaux et la Cour constitutionnelle fédérale.
Géopolitique et sécurité
Les États-Unis sont depuis longtemps un adversaire du gazoduc et les relations transatlantiques déjà tendues ont continué à se détériorer à cause du projet. Les administrations des présidents Barack Obama et Donald Trump ont clairement exprimé leur opposition au pipeline, et le pays a introduit des sanctions en décembre 2019, obligeant les navires de pose de canalisations de la société suisse Allseas à cesser de travailler sur le projet, entraînant un retard de plusieurs mois. Des menaces de sanctions supplémentaires à la mi-2020 mettent désormais en danger l’achèvement du pipeline.
Comme d’autres, le gouvernement américain soutient que l’achèvement du projet augmenterait la dépendance européenne à l’égard de la Russie et mettrait en péril la politique de sécurité du continent à un moment où la Russie fait face à de vives critiques pour son ingérence présumée dans les démocraties occidentales, son agression en Europe de l’Est et son soutien au président syrien Bachar al-Assad. Le secrétaire d’État américain Pompeo avait qualifié Nord Stream 2 de «projets d’influence malveillants de la Russie». En outre, les États-Unis sont devenus un exportateur majeur de GNL qu’ils veulent également vendre à des clients européens.
Le président du conseil d’administration de Nord Stream 2 et ancien chancelier allemand « Gerhard Schröder soutient les exportations d’énergie russe qui financent à leur tour les exportations de guerre russes », déclarait Reinhard Bütikofer, membre allemand du Parlement européen et homme politique vert, tandis que Norbert Röttgen, homme politique conservateur allemand et président de la commission des affaires étrangères, a commenté : « À mon avis, le régime linguistique du gouvernement fédéral selon lequel, en tant que projet économique privé, Nord Stream 2 n’a rien à voir avec la politique est inacceptable et provocateur ».
Pendant des années, le gouvernement fédéral allemand avait déclaré que Nord Stream 2 était un projet purement économique et que l’État ne devait pas s’en mêler. En avril 2018, cependant, la chancelière Angela Merkel a reconnu les inquiétudes du gouvernement ukrainien et a déclaré que le pipeline « n’est pas seulement un projet économique, mais que, bien sûr, des facteurs politiques doivent également être pris en compte ». Pourtant, le gouvernement est resté favorable au projet.
L’argument géopolitique des opposants repose sur la prémisse selon laquelle Gazprom étant une entreprise d’État, l’achat de gaz auprès de l’entreprise envoie de l’argent directement au gouvernement, qui est ensuite utilisé pour commettre des activités néfastes à la fois au niveau national et dans le monde. L’argent provenant des exportations de gaz et de pétrole permet « aux dirigeants d’aujourd’hui à Moscou [de] faire ce qu’ils aiment le plus faire : s’enrichir ; arrêter les réformes ; et développer l’armée, le FSB (Service fédéral de sécurité de la Russie) et l’appareil policier », a écrit le journaliste Gerhard Gnauck dans un article d’opinion pour Welt Online.
Enfin, de nombreux pays d’Europe de l’Est, comme la Pologne, la Slovaquie et l’Ukraine, s’opposent à Nord Stream 2, en partie en raison des attentes d’une perte des frais de transit et en partie par crainte que leur sécurité économique et physique ne soit compromise si le projet être completé. La Commission européenne s’est également inquiétée du fait que Nord Stream 2 ne s’aligne pas sur les intérêts énergétiques et de politique étrangère de bon nombre de ses États membres, ni ne se conforme à la stratégie à long terme du bloc pour parvenir à une union de l’énergie. Nord Stream 2 « pourrait entraver le développement d’un marché du gaz ouvert avec une concurrence sur les prix et un approvisionnement diversifié vers l’UE », a écrit la Commission.
(Non) alignement avec l’Energiewende
Alors que le débat sur les mérites et les inconvénients de Nord Stream 2 fait rage, l’Allemagne continue d’avancer – mais pas assez vite, aux yeux de certains – avec son projet Energiewende, dans lequel le pays vise à la fois à décarboner son économie et à cesser d’utiliser énergie nucléaire. Pour atteindre l’objectif du pays de devenir presque neutre en carbone d’ici le milieu du siècle, la plus grande économie d’Europe devra pratiquement éliminer progressivement toute utilisation de combustibles fossiles.Le gouvernement fédéral affirme qu’il vise à réduire sa dépendance vis-à-vis des importations d’énergie – pour lesquelles l’augmentation de l’efficacité énergétique et l’expansion des énergies
renouvelables apportent une contribution importante – mais aussi que le gaz naturel apportera une « contribution significative à l’approvisionnement énergétique de l’Allemagne au cours des prochaines décennies ». Il souligne à la fois que le gaz est une alternative plus propre au pétrole et au charbon et que la production flexible d’électricité au gaz peut jouer un rôle important dans l’équilibrage de l’injection fluctuante des énergies renouvelables.
Interrogé dans une enquête parlementaire par le Parti vert sur la manière dont Nord Stream 2 s’aligne sur les objectifs de décarbonation, le gouvernement fédéral n’avait pas donné de réponse concrète. « Comment la rentabilité de Nord Stream 2 se développerait dans ce contexte, c’est avant tout aux investisseurs du pipeline d’évaluer».
« La politique énergétique internationale de l’Allemagne continuera de viser à diversifier autant que possible les fournisseurs d’énergie et les voies de transport », a écrit le gouvernement dans son 6e rapport de suivi de la transition énergétique. Dans la réponse à l’enquête des Verts, le gouvernement fédéral a écrit en mai 2018 que Nord Stream 2 « en tant que voie d’approvisionnement supplémentaire pour le gaz naturel en provenance de la Fédération de Russie contribue à améliorer la sécurité d’approvisionnement en gaz naturel de l’Union européenne ».
Le gouvernement allemand affirme également que le gazoduc est conforme aux objectifs de l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, à savoir assurer la sécurité d’approvisionnement, promouvoir l’interconnexion des réseaux énergétiques et assurer le fonctionnement du marché de l’énergie.
Même si le projet profite finalement à l’Allemagne sur le plan économique et en termes de protection du climat, beaucoup soutiennent que le pays pourrait devoir faire face à des dommages concomitants en s’aliénant de nombreux partenaires. Pour reprendre les mots de Kirsten Westphal, analyste énergétique à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité : « En termes commerciaux, il y a un cas à faire pour Nord Stream 2. En termes politiques, cependant, il est clair que l’Allemagne paiera un prix élevé.
Derniers développements
À peine achevé, et déjà enterré par les sanctions américaines. La société responsable de l’exploitation du gazoduc germano-russe Nord Stream 2 a déposé le bilan, selon Silvia Thalmann-Gut, la responsable économique du canton suisse de Zoug, où se situe le siège social. Ses 106 salariés ont été licenciés. S’ils ne confirment pas la faillite, les dirigeants de l’entreprise expliquent les licenciements par « les récents développements géopolitiques qui ont mené aux sanctions américaines sur leur société ». Le projet avait été gelé le 22 février dernier par le chancelier allemand Olaf Scholz, sanctionnant l’offensive russe en Ukraine. Malgré la fin du projet, les flux gaziers perdurent entre la Russie et l’Europe. « Les exportations à travers les trois autres gazoducs russes majeurs, Nord Stream 1, Droujba (via l’Ukraine et la Slovaquie) et Yamal-Europe (via la Pologne) ont même augmenté depuis le début des hostilités en Ukraine ». «Je pense que Nord Stream 2 est maintenant mort », « c’est un gros morceau de métal au fond de la mer, et je ne pense pas qu’il puisse être ressuscité», a dit la numéro trois de la diplomatie américaine, Victoria Nuland, lors d’une audition parlementaire. «Je pense que le gazoduc ne reviendra jamais», a-t-elle insisté. Les Américains ont enfin eu la peau de Nord Stream 2.
A propos de l’auteur
Spécialiste des négociations commerciales internationales et ancien Directeur de SNC-Lavalin Mauritanie, Hassana Mbeirick justifie d’une expérience de plus de 25 ans dans le développement du secteur privé mauritanien dont 17 ans dans le secteur minier et pétrolier. Il est aujourd’hui le Directeur-Fondateur de Meen & Meen, une firme d’Ingénierie-Conseil dans le secteur Oil&Gas