Par Demba Moussa Dembélé.
Le 7 juillet 2022, plusieurs chefs d’Etat et de Gouvernement africains se sont réunis à Dakar pour le lancement de la vingtième opération de l’Association internationale de développement (AID), plus connue sous son sigle anglais IDA. Les ressources de cette filiale de la Banque mondiale sont destinées aux pays dits « pauvres ».
Le rôle de «l’aide au développement» en Afrique
L’Afrique est la seule région au monde où l’on fait croire aux populations que leur sort dépend de la mendicité internationale, appelée «aide au développement». Mais en réalité, celle-ci est avant tout un instrument de politique étrangère des pays «donateurs». Cela explique les pressions et même les chantages récurrents exercés sur les pays africains pour exiger leur alignement sur les positions des «donateurs». On le voit dans la guerre en Ukraine, avec les terribles pressions, voire les menaces, exercées par les Etats-Unis et l’Union européenne pour contraindre les pays africains à soutenir leurs positions contre la Russie.
Sur le plan économique «l’aide» est utilisée pour ouvrir les marchés des pays destinataires aux produits des pays «donateurs». En effet, l’octroi de « l’aide » est conditionné à la libéralisation du commerce extérieur, à la dérèglementation des prix internes, à la libre circulation des capitaux et aux privatisations sauvages qui permettent un pillage éhonté des ressources des pays africains. Toutes choses qui contribuent à enfoncer l’Afrique dans la dépendance et le sous- développement. C’est ce rôle qu’ont joué les politiques d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) dans les années 1980 et 1990. Ces deux institutions continuent de jouer le même rôle, en utilisant de nouveaux instruments mais qui ont les mêmes buts, à savoir renforcer la domination de l’Afrique et faciliter le pillage de ses ressources. Quand le président Macky Sall se plaint de la « lenteur des décaissements »de l’IDA, il oublie peut-être que cette lenteur est étroitement liée à la logique de domination sur les pays destinataires de «l’aide».
On comprend dès lors pourquoi depuis 60 ans, plus on parle « ‘d’aide au développement » plus l’Afrique s’enfonce dans le sous-développement et la pauvreté. A ce jour, le continent compte 33 des 46 pays les « moins avancés » (PMA) recensés par les Nations-Unies dans le monde. Ce sont les pays considérés comme les «plus pauvres», caractérisés par la vulnérabilité économique et la faiblesse des indicateurs de développement humains.
L’exemple des PMA
L’exemple des PMA constitue l’un des meilleurs indicateurs de la duplicité et de l’échec de la prétendue «aide au développement». Pour assister ces pays, les Nations-Unies avaient lancé à partir de 1981 une série de Conférences décennales débouchant sur des programmes d’assistance aux PMA. L’objectif primordial était d’arriver à éliminer cette catégorie de pays ou à en limiter le nombre. Mais ce fut un échec total. En effet, le nombre de PMA est passé de 25 en 1981 à 46 aujourd’hui ! En outre, en 40 ans de politiques de « soutien » aux PMA, seuls…6 pays sont sortis de cette catégorie, dont 3 pays africains, comme le Botswana, le Cap-
Vert et la Guinée équatoriale ! Le Sénégal a rejoint le rang des PMA en 2001, après avoir été considéré pendant 20 ans comme l’un des «meilleurs élèves» dans l’application des programmes d’ajustement de la Banque mondiale et du FMI ! Et il y est toujours, nonobstant les discours sur « l’émergence ».
Deux raisons principales expliquent l’échec de « l’assistance » aux PMA. La première est la reconduction de programmes basés sur des politiques néolibérales, telles que la libéralisation du commerce, les privatisations et la libre circulation des capitaux. La deuxième raison de l’échec de l’assistance aux PMA est la duplicité des « partenaires au développement » qui n’ont jamais honoré entièrement leurs engagements. Les Nations-Unies ont relevé que des engagements pris dans plusieurs domaines par les pays développés en 2001 à Bruxelles (Belgique) et réitérés en 2011 à Istanbul (Turquie) n’ont jamais été respectés. Cette duplicité avait été dénoncée en 2010 par la Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) qui avait appelé à un changement radical d’approche si l’on veut s’attaquer sérieusement aux problèmes structurels des PMA. Mais elle ne fut pas écoutée et la même duplicité continue de prévaloir, avec de graves conséquences pour les PMA. Par exemple, sur les 24 PMA qui devaient être reclassés entre 2011 et 2020, selon le Programme d’action d’Istanbul, seuls…4 l’ont été, dont un seul en Afrique, à savoir la Guinée équatoriale !
Des instruments au service de l’hégémonie occidentale
Cette duplicité s’applique à la fois aux «partenaires» bilatéraux comme multilatéraux. A la différence que ces derniers servent souvent d’instruments aux premiers pour réaliser leurs objectifs de domination sur les pays africains. C’est le cas notamment de la Banque mondiale et du FMI dont le rôle est essentiellement de promouvoir les intérêts des Etats-Unis et des autres pays occidentaux, en dépit des discours sur « l’aide » aux « pays pauvres ». Cela explique pourquoi près de 80 ans après leur fondation, ces deux institutions sont toujours dirigées par des citoyens américains et européens. Le président de la Banque mondiale est désigné par le président des Etats-Unis tandis que le Directeur général du FMI a toujours été un citoyen européen. Comme on le voit, le choix de leurs dirigeants est contraire à tout processus démocratique. Et pourtant des appels répétés ont été faits pour que ce soit un processus ouvert, démocratique et inclusif. Mais les donneurs de leçons sur la démocratie et la transparence que sont les pays occidentaux continuent de faire la sourde oreille.
Dès lors, les dirigeants africains devraient comprendre que ni la Banque mondiale ni le FMI ne les aideront à se développer. Leur rôle est de les garder dans l’orbite occidentale. Surtout dans le contexte d’un monde en pleine mutation avec la remise en cause de l’hégémonie occidentale. Ainsi toutes les promesses faites par les pays occidentaux, par les Etats-Unis et l’Union européenne, visent-elles à freiner ou ralentir le déclin de leur hégémonie en essayant de renforcer leur domination sur les pays dits « sous-développés » notamment africains. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre les récentes promesses du G7 visant à mobiliser 600 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années pour investir dans les infrastructures, en particulier en Afrique. C’est dans cette optique également qu’il faut comprendre les promesses faites par les pays européens lors du Sommet entre l’Afrique et l’Union européenne, au mois de février 2022 à Bruxelles.
Une partie de ces promesses est gérée par le groupe de la Banque mondiale, dont l’IDA. Depuis que celle-ci a commencé à distribuer son aumône il y a six décennies– on en est à la vingtième reconstitution de ses ressource ou IDA-20- elle n’a jamais contribué à faire reculer la pauvreté en Afrique. Comme rappelé plus haut, 33 pays africains sont des PMA. .
Compter sur une aumône ou sur ses propres ressources ?
Alors que des chefs d’Etat africains se réjouissent de l’aumône promise par l’IDA, qui sera octroyée avec des contreparties politiques et économiques contraignantes, ces mêmes chefs d’Etat mettent en œuvre des politiques qui drainent d’immenses ressources hors de leurs pays. Plusieurs études ont montré l’extraordinaire hémorragie financière que constituent les fuites de capitaux sous diverses formes. Le Rapport 2020 de la CNUCED sur l’Afrique a confirmé les rapports antérieurs de la Banque africaine de développement (BAD) et de la Commission économique des Nations-Unies pour l’Afrique (CEA) selon lesquels, il y a des sorties annuelles nettes de capitaux du continent africain vers le reste du monde. Les politiques néolibérales imposées par la Banque mondiale et le FMI et les « partenaires » bilatéraux sont en grande partie responsables de cette terrible saignée financière de l’Afrique.
La CNUCED indique que les pays africains pourraient récupérer près de 89 milliards de dollars par an s’ils changeaient de politiques et collaboraient entre eux pour freiner les flux financiers illicites. On remarquera que ce montant de 89 milliards de dollars est presque égal aux 93 milliards de dollars promis dans l’IDA-20.
Par ailleurs, les envois des migrants africains constituent une autre source de financement dont bénéficient plusieurs pays africains. Selon la Banque mondiale, malgré la pandémie de Covid- 19 et ses conséquences, ces envois avaient atteint 43,5 milliards de dollars en 2020 et 45 milliards de dollars en 2021
L’Afrique ne manque donc pas de ressources pour financer son développement. Ce qu’il lui faut c’est de rompre avec le paradigme actuel et la mentalité de la dépendance afin de prendre son destin en main. C’est à cette condition qu’on pourra réaliser l’Agenda 2063 de l’Union africaine, consistant à bâtir « l’Afrique que nous voulons ».
Un commentaire
Triste cette situation ou l’Afrique semble incapable de sortir de cette lancée, renforçant d’année en année cette dépendance ombilicale. Les défis les plus difficiles à surmonter sont les problématiques à racines structurelles.
Pour agir, il faudrait disposer de canal réglementaire pouvant déboucher sur une prise en compte des diagnostics des situations (exemple cette description relatée dans cet article) mais, également d’un suivi des recommandations allant dans le sens des solutions idoines portées par les décideurs des pays africains.
Combien d’articles pertinents provenant d’experts émérites africains et traitant des thèmes cruciaux sur les problèmes de développement de l’Afrique finissent à être classés sans suite et archivés dans les tiroirs ? Triste encore .