Par Medea Degbe, partenaire à Noru Capital, et Yuen Wai Hung, consultant senior à Salient capital
Dans le petit monde de la finance Afrique, l’un des grands enseignements de l’année 2021 a été de voir les start-ups africaines gagner leurs lettres de noblesses. L’écosystème technologique du continent a levé plus de 4 milliards de dollars, soit un peu plus que le produit intérieur brut d’un pays comme la Sierra Leone. Pour une scène qui, il y a, encore une dizaine d’année était à ses balbutiements, on peut clairement parler d’une performance.
Mais derrière ces chiffres se cachent bien évidemment des inégalités. Celles-ci sont d’abord relatives à la répartition de ces investissements. Ainsi, l’Afrique anglophone se taille la part du lion. Sur les 8,8 milliards $ injectés dans le secteur entre 2015 et 2021, la région a absorbé l’essentiel, ne laissant que 417,9 millions à l’Afrique francophone. Des miettes. Les inégalités sont aussi sectorielles. La Fintech et l’IA constituent l’essentiel des destinations pour les investissements.
Une lecture simpliste de ces chiffres pourrait laisser penser que seul les pays anglophones offrent un écosystème mature et seuls les entreprises présentes dans la fintech et l’IA pourraient offrir de l’intérêt pour les investisseurs. Il vaudrait donc mieux s’appeler Paga ou Flutterwave que Meditect ou GoMedical. Mais la réalité est bien plus nuancée.
Salient Advisory et Noru Capital ont récemment réalisé une analyse sur les start-ups active dans la technologie de la santé (Health tech). Les résultats de ce travail démontrent que l’Afrique francophone a un potentiel fort dans ce domaine et que des innovateurs actifs dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso ou le Sénégal développent des solutions qui pourraient potentiellement révolutionner la façon dont les africains se soignent.
Des acteurs de la télémédecine comme Njureel (mise en relation de patients avec contact avec des services médicaux pratiques et de haute qualité), MaiSoin (soins à domicile et consultation en ligne), ou encore Tanél Health (logiciels de gestion de pharmacies privées) peuvent devenir les prochaines success stories africaines. En outre, la création d’accélérateurs dédiés à la Health Tech comme Next Health Accelerator, offrent aux jeunes pousses francophones du domaine à la fois un soutien technique et un réseau. Des projets comme «Investing in innovation», qui est soutenu par la Fondation Bill & Melinda Gates, apporteront du financement et un accès au marché aux innovateurs francophones du secteur.
L’avenir, s’annonce-t-il radieux pour la Health Tech d’Afrique francophone ? On note quelques signaux faibles. Ainsi, les investissements dans le secteur des soins de santé en Afrique sont passés de 30,9 millions $ en de 30,9 millions de dollars en 2019 à 221,6 millions de dollars en 2021. Les start-ups d’Afrique francophone connaissent un timide intérêt de la part des investisseurs. Si en 2019, un seul accord de financement avait franchi la barre du million de dollars, en 2022, il y en a déjà eu 15. Les jeunes pousses francophones ont déjà levé 240 millions $.
Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Le principal obstacle de la Health tech d’Afrique francophone est la réglementation. Ces entreprises évoluent dans un environnement flou quand il n’est pas particulièrement restrictif. Ainsi dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Burkina Faso, qui pourraient constituer des locomotives pour le secteur, les e-pharmacies doivent parcourir un chemin de croix. En effet, la législation restreint leur capacité à stocker, vendre ou faire de la publicité pour des produits médicaux. Pendant ce temps, leurs homologues anglophones jouent sur du velours. Des chaînes de pharmacies telles que Goodlife Pharmacy et HealthPlus se lancent désormais dans le commerce électronique. Konga Health et MyDAWA vendent des produits médicaux directement aux consommateurs.
La concurrence que se livrent les compagnies du secteur se joue en partie sur le terrain réglementaire. Et si à ce niveau, la flexibilité des législateurs anglophones est à saluer, elle s’oppose en Afrique francophone à un immobilisme que peine à cacher les nombreuses lois sur les start-ups visant à soutenir les innovateurs et à créer un environnement favorable aux entreprises.
Ces difficultés ne sont pas sans rappeler celles de la fintech continentale qui a dû affronter législateurs, banques commerciales et autres acteurs publics avant de s’imposer. Aujourd’hui, les nations africaines ont appris et offrent un accompagnement véritable à ces entreprises. Un effort identique est attendu en ce qui concerne la Health tech. Nouveaux cadres réglementaires, partenariats pour tester les solutions et permettre le passage à l’échelle… Il faudra une batterie de mesures pour passer de la parole aux actes.
Cet effort concerne également les investisseurs du domaine qui devront fournir à la fois des investissements très ciblés, et un soutien technique aux entrepreneurs africains afin de leur permettre d’accéder à des capitaux disponibles.
Pour les différents acteurs, l’enjeu est simple : il s’agit de changer profondément la façon dont les Africains se soignent en rapprochant les soins et services de leur public naturel. Une révolution, donc. Ni plus, ni moins.