Entretien exclusif avec Audrey-Cynthia Yamadjako, Chargée principale en finance climatique à la Banque Africaine de Développement, Coordonnatrice pour l’initiative des banques vertes en Afrique.
Ancienne de Nataxis, de PricewaterhouseCoopers (PwC) et de du Crédit Agricole Corporate & Investment Bank, Audrey-Cynthia Yamadjako a rejoint la Banque Africaine de Développement en 2016, plus précisément au Département Changement climatique et croissance verte dans lequel elle a en charge la gestion financière de 5 fonds climat et environnement. Cela représente un portefeuille d’investissement de 1,5 milliard de dollars pour 150 projets multi-sectoriels dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, l’agriculture intelligente, les infrastructures résilientes, le transport propre etc… Depuis Septembre 2021, elle coordonne l’initiative dite des “Banques Vertes”. Une initiative novatrice portée par la Banque Africaine de Développement (BAD) et qui a pour objectif de promouvoir la création d’un vaste écosystème de banques vertes en Afrique. Dans cet entretien, Audrey-Cynthia Yamadjako appelle les banques et les institutions financières africaines à ne pas rater le virage de la finance verte. Exclusif.
Alors qu’est-ce que c’est une “banque verte”?
Une Banque verte ou une facilite verte est un instrument financier qui a pour mandat de financer des projets durables qui atténuent l’impact sur l’environnement et favorisent l’adaptation face aux changements climatiques. Une banque verte peut être créée directement à cet effet ou peut être une enveloppe de financements directement logée au sein d’une banque commerciale. Les institutions financières africaines ont encore assez peu accès à cette finance verte, qui représente pourtant une réelle opportunité, au niveau local pour soutenir un développement durable. L’idée est de renforcer leurs connaissances des projets verts, sur comment les structurer, les évaluer en termes de risques, les financer en les rendant bancables via l’utilisation de financement mixte (ou blended finance). Ce modèle de financement souvent utilisé pour les projets de développement durable a pour particularité d’adosser à des capitaux privés, des ressources concessionnelles publiques (dons, prêts à taux concessionnels …) qui viennent dé-risquer et rendre attractif le projet.
Quel intérêt pour nos gouvernements et les banques commerciales africaines?
La finance climatique s’élève au niveau global à USD 632 Milliards, elle doit être multipliée par 5 à l’horizon 2030 afin d’atteindre les objectifs en matière de lutte contre le changement climatique. Pour l’Afrique uniquement, on évalue cette opportunité à USD 2,800 Milliards. Le gap est important . En 2021, le continent n’a pu capter que 3% des volumes de la finance climatique globale soit USD 20 Milliards. Il est donc indispensable de se doter au niveau local et régional d’outils tels que les banques vertes qui pourront capter ces ressources internationales, en mobiliser au niveau local et les investir, en ciblant les secteurs prioritaires nationaux, dans des projets de développement durable a fort impact économique, social et environnemental.
Que fait la Banque Africaine de Développement pour aider ses Etats membres à se doter de tels instruments ?
La BAD a très vite identifié ce mécanisme novateur comme représentant une opportunité pour nos Etats dans la réalisation de leurs objectifs en matière de lutte contre le changement climatique et pour la croissance verte. Elle a commencé par l’évaluation du potentiel de ce mécanisme dans 6 pays africains (Zambie, Mozambique, Ouganda, Tunisie, Ghana, Bénin). Les résultats de cette étude ont notamment été présentés en novembre 2021 à Glasgow lors de la COP26, qui a aussi assisté au lancement du programme phare d’accélération de l’adaptation en Afrique (AAAP), comprenant les banques vertes dans son pilier sur les initiatives financières innovantes pour l’Afrique. Le AAAP est une initiative conjointe de la Banque africaine de développement et du Centre mondial sur l’adaptation (GCA). Le programme vise à mobiliser 25 milliards de dollars américains d’ici 2025 pour accélérer et intensifier l’action d’adaptation au changement climatique sur le continent. Cette année, la BAD a déjà entrepris de mobiliser de l’assistance technique qui aidera des banques commerciales locales et régionales à créer et capitaliser leur propre véhicule d’investissements verts. De plus la Banque souhaite, à horizon 2023, doter l’Afrique d’un fonds de 1,5 Milliard de dollars US dédiés à soutenir cet écosystème de banques vertes africaines par la provision d’assistance technique, de ressources de capitalisation et d’investissements concessionnels.
Quels sont les critères d’accès à ces ressources ?
La Banque soutient dans cette initiative l’exhaustivité de ses membres régionaux et travaillera avec des banques locales qui démontrent d’une véritable stratégie dans le durable, ont la volonté de verdir leur portefeuille d’investissement, ont un enracinement local fort et présentant un portefeuille dynamique de projets. L’assistance technique fournie permettra entre autres de développer leur pipeline de projets verts et d’adaptation. Le modèle des banques vertes est un mécanisme qui a démontré son efficacité au niveau mondial à verdir les portefeuilles d’investissement des acteurs financiers locaux et dans la mobilisation de ressources dédiées à la croissance verte. On l’a très bien vu au sein même de la Banque africaine de Développement, qui alloue à la finance climatique 40% de ses investissements et continue d’accroître ses ambitions en doublant sa finance climatique à 25 milliards de dollars à horizon 2025.