Avec sa visite au Rwanda, le secrétaire d’État américain Antony Blinken terminait ce jeudi une tournée diplomatique marquant le retour des Etats-Unis dans le jeu d’influence sur le continent africain. Cette dernière étape fut sans conteste la plus scrutée par la communauté internationale et la plus délicate pour le diplomate américain qui dès son arrivée, a abordé un sujet sensible avec le Président Paul Kagame : la situation dans l’Est de la RDC, très fragilisée par le groupe terroriste du M23.
Hasard du calendrier ou pas, cette visite intervenait quelques jours après la fuite du rapport d’experts des Nations unies, selon lequel l’armée rwandaise aurait « lancé des interventions militaires contre des groupes armés congolais et des positions des Forces armées congolaises » depuis novembre 2021 et jusqu’en juin 2022.
Même si Kigali réfute toute intervention en RDC, ces accusations d’ingérence sont de plus en plus fréquentes et viennent mettre à mal les relations bilatérales avec le Rwanda qui semble de plus en plus s’éloigner de son statut d’allié stratégique des Etats-Unis dans la région.
Par la voix de son porte-parole Patrick Muyaya, le gouvernement congolais avait affirmé attendre des Etats-Unis une « condamnation du Rwanda en tant que pays agresseur de la RDC ». Le secrétaire d’État américain n’a pas ouvertement parlé d’agression mais a toutefois fait passer des messages très clairs aux autorités rwandaises.
« Nous avons discuté des rapports crédibles qui indiquent que le Rwanda continue de soutenir le groupe rebelle M23 et possède ses propres forces en RDC (…) Chaque pays de la région doit respecter l’intégrité territoriale des autres » a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à l’issue de sa rencontre avec le Président rwandais.
Quelques heures plus tôt à Kinshasa, l’ancien conseiller de Barack Obama affirmait que les Etats-Unis étaient « très préoccupés par les informations crédibles selon lesquelles le Rwanda a soutenu le M23. Nous demandons à toutes les parties de la région de cesser tout soutien, toute coopération avec le M23 ou d’autres groupes armés non étatiques. »
Le rapport du groupe d’experts des Nations Unies soumis au Conseil de sécurité avait fuité quelques jours après la parution de celui de Human Rights Watch (HRW) qui confirmait également l’incursion du Rwanda et sa complicité avec le M23 dans la commission de crimes contre la population congolaise.
En amont de la visite du secrétaire d’Etat américain en Afrique, l’ONG internationale avait d’ailleurs appelé Antony Blinken à « affirmer que les Etats-Unis imposeront des sanctions ciblées aux responsables gouvernementaux et aux autres personnes qui soutiennent des groupes armés qui commettent des abus. »
Une visite également marquée par le thème des droits de l’Homme.
La préoccupation des Etats-Unis à l’égard du Rwanda ne s’arrête pas à la situation sécuritaire dans le Nord-Kivu. Antony Blinken a profité de sa rencontre avec le Président Paul Kagame pour faire part de ses « graves inquiétudes » sur la question des droits de l’Homme.
Il a entre autres abordé le sort de Paul Rusesabagina, résident permanent des États-Unis et rendu célèbre par le film « Hôtel Rwanda » qui a été condamné en septembre dernier à 25 ans de prison pour huit accusations de terrorisme liées à une organisation opposée au régime du président Paul Kagame.
Human Rights Watch (HRW) et d’autres organisations internationales avaient également demandé une prise de position américaine sur la question des droits humains, appelant le secrétaire d’Etat à « signifier d’urgence qu’il y aurait des conséquences à la répression et aux abus exercés par le gouvernement au Rwanda et au-delà ».
« Comme je l’ai dit au président Kagame, nous pensons que les gens dans tous les pays devraient pouvoir exprimer leurs opinions sans peur d’intimidation, d’emprisonnement, de violence ou de tout autre forme de répression », a déclaré le diplomate américain à l’issue de sa rencontre avec le chef de l’État rwandais.
Ce sujet est très présent dans les discussions à Washington et est vu comme une dérive autoritaire pour de nombreuses personnalités politiques. Fin juillet, Robert Menendez, président de la commission des affaires étrangères du Sénat, avait même appelé à reconsidérer le montant de l’aide américaine envoyée au Rwanda.
Une tournée africaine pour lancer la nouvelle stratégie américaine sur le continent
Cette visite sous haute tension est venue ponctuer le déplacement du secrétaire d’État en Afrique subsaharienne qui fut également marquée par l’annonce de la nouvelle politique africaine des Etats-Unis. Washington entend mettre en œuvre un véritable partenariat et non pas une « relation déséquilibrée ou transactionnelle ». Après le Sommet Europe-Afrique et le Forum sur la coopération sino-africaine, Antony Blinken a confirmé que les Etats-Unis organiseront un Sommet USA-Afrique, le 13 décembre prochain dans la capitale américaine. Avec ou sans Paul Kagame ?