Par Abderrahmane MEBTOUL (Algérie), Professeur des universités, docteur d’Etat (1974) en sciences économiques, Expert international.
Après une première tournée qui l’a conduit au Cameroun, au Bénin puis en Guinée-Bissau, Emmanuel Macron est attendu le jeudi 25 août prochain à Alger. Une visite d’une journée pour lancer ensemble un nouvel agenda bilatéral. Dans cette tribune, le professeur Abderrahmane Mebtoul estime que cette visite aux enjeux multiples est l’occasion de refonder une relation Algérie-France tourmentée par les querelles de mémoire et le fait colonial.
Pour l’Algérie, le devoir de mémoire est indispensable
Depuis des années, l’épanouissement de la relation «stratégique approfondie» entre l’Algérie et la France est systématiquement entravée, pour des «raisons» obscures, de puissants lobbies ne voulant pas d’une relation apaisée entre l’Algérie et la France. Ayant reçu depuis des années plusieurs importantes personnalités françaises en tant qu’expert international indépendant, les autorités algériennes ayant été averti, nous avons eu de longs entretiens sur des sujets sensibles, le devoir de mémoire et la coopération économique entre l’Algérie et la France qui est loin des énormes potentialités que recèlent les deux pays, thème d’ailleurs que j’ai abordé dans le cadre plus large de la coopération Europe/Algérie à l’invitation de la fondation allemande Friedrich Ebert et de l’Union européenne le 31 mars 2021.
Pour l’Algérie, le devoir de mémoire est indispensable pour consolider des relations durables entre l’Algérie et la France par la reconnaissance du fait colonial afin de dépassionner les relations entre l’Algérie et la France sans oublier la décontamination nécessaire à la suite des essais nucléaires français, où la responsabilité française est entière, comme cela a été souligné récemment par le chef d’État major de l’ANP. Les relations ne se limitent pas aux aspects économiques, l’Algérie, étant considérée comme un acteur-clé pour la stabilité de la région méditerranéenne et africaine. Dans plusieurs rapports entre 2018/2022, les autorités tant américaines qu’ européennes ont tenu à souligner qu’avec les tensions au niveau de la région, les autorités algériennes contribuent à la stabilisation de son voisinage immédiat, notamment au Sahel, et que l’Algérie demeure un acteur-clé au niveau régional.
L’effort continu, de modernisation des équipements, ainsi que les nombreux effectifs de sécurité dont l’Algérie dispose, ont permis au pays de contrer de façon efficace les menaces terroristes, notamment avec les crises libyenne et malienne. Dans le domaine économique, tous les pays, tout en respectant les accords internationaux, protègent une partie de leur production nationale grâce à l’État stratège et régulateur en économie de marché, pouvant détenir des minorités de blocage dans des segments stratégiques, à ne pas confondre avec le retour à l’État gestionnaire, comme le montrent avec l’actuelle crise mondiale, les décisions récentes de bon nombre de pays développés et émergents. Dans ce cadre, l’Algérie entend lever les obstacles qui bloquent l’attrait de l’investissement étranger par la lutte contre la bureaucratie et la corruption qui freinent l’attrait de l’investissement, tant local qu’étranger.
Sur le plan énergétique, au travers du GNL et des canalisations Medgaz et Transmed, l’Algérie est un acteur stratégique pour l’approvisionnement en énergie tant de la France que de l’Europe (voir sur ce sujet notre interview au quotidien français le Monde.fr du 04 mars 2022). L’essentiel pour l’Algérie est de favoriser une accumulation de savoir-faire managérial et technologique, grâce à un partenariat gagnant-gagnant, l’État pouvant détenir des minorités de blocage pour des segments stratégiques, l’objectif étant une valeur ajoutée interne positive, afin de mettre fin à la faiblesse du tissu productif, l’économie algérienne étant une économie foncièrement rentière : 98 % des exportations sont issues d’hydrocarbures brut et semi-bruts, et plus de 80 % des besoins des entreprises et des ménages sont couverts par les importations.
Dans la pratique de affaires, il n’y a pas de fraternité…
Mais il ne faut pas être utopique et être réaliste. Dans la pratique de affaires, il n’y a pas de fraternité, de sentiments et l’Algérie doit privilégier uniquement ses intérêts, comme c’est le cas de la France, car les opérateurs – qu’ils soient arabes, algériens chinois, russes français ou américains – étant mus par la logique du gain, ils iront là où les contraintes sociopolitiques et socio- économiques sont mineures, leur objectif étant de réaliser le profit maximum. Ainsi, ne tenant pas compte des importations/exportations de services ,dont les sorties de devises ont été de 10/11 milliards de dollars entre 2010/2020 pour retomber à 6 milliards de dollars selon le FMI en 2021, pour la balance commerciale selon les statistiques douanières, durant le premier semestre 2022, les importations ont été de 20,223 milliards de dollars, en augmentation de 7,41% par rapport au premier semestre 2021 (18,829 milliards de dollars) et les exportations se sont établies durant la même période à 25,922 milliards de dollars, en augmentation de 48,3% par rapport au premier semestre 2021 (17,480 milliards de dollars).
S’agissant des principaux partenaires commerciaux de l’Algérie, les Douanes algériennes, relèvent que les principaux fournisseurs sont la Chine (16,5%), la France (7,17%), le Brésil (6,51%), l’Argentine (6,44 %), et l’Italie (5,83%), tandis que les principaux clients sont : l’Italie (21,83%), l’Espagne (12,13%), la France (9,94%), les Pays-Bas (7,38%) et les Etats-Unis (5,75%). Les nouvelles relations internationales ne se fondent plus essentiellement sur des relations personnalisées entre chefs d’État ou ministres, mais sur des réseaux décentralisés, par l’implication des entreprises et de la société civile qui peuvent favoriser la coopération.
L’attractivité du marché algérien découle des avantages comparatifs suivants : la proximité géographique des marchés potentiels d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient ; la taille du marché intérieur estimée à plus de 45 millions de consommateurs ; des richesses naturelles importantes ; des ressources humaines ; un endettement extérieur inférieur à 6 milliards de dollars ; des réserves de change – bien qu’en baisse – de 44 milliards de dollars à la fin de 2021, des recettes en devises qui devraient dépasser 50 milliards de dollars en 2022. N’oublions pas également le nombre de résidents d’origine algérienne dans le monde, et notamment en France. Quel que soit le nombre, la diaspora est un élément essentiel du rapprochement entre l’Algérie et la France, du fait qu’elle recèle d’importantes potentialités intellectuelles, économiques et financières. La promotion des relations entre l’Algérie et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les universités, les entrepreneurs et la société civile.
Dans une étude parue en novembre 2011 à l’Institut Français des relations internationales Paris France sur les relations Europe /Maghreb, j’avais mis en relief que l’objectif stratégique est de réaliser une prospérité partagée conciliant développement et démocratie en tenant compte des anthropologies culturelles et grâce à la société civile (réseaux décentralisés) qui, à côté des États et des institutions internationales, sera le vecteur dynamisant au XXIe siècle. Dans une autre étude, sous ma direction, également pour l’IFRI en décembre 2013, sur «les enjeux géostratégiques de la sphère informelle au Maghreb», j’avais posé l’urgence d’intégrer d’une manière intelligente cette sphère informelle, produit de la bureaucratie centrale et locale qui enfante la corruption, loin des mesures bureaucratiques autoritaires, qui contrôle une part importante de la masse monétaire en circulation et des activités économiques dépassant largement les 50 %, limitant toute la politique économique des États, encore que servant de tampon social. C’est que la stabilité de la région euro-méditerranéenne passe par une entente entre l’Algérie – dont les frontières côtoient bon nombre de pays très fragiles, qui menacent sa sécurité –, et l’Europe via la France, du fait que celle-ci, pour des raisons historiques, tisse d’étroites relations avec bon nombre de pays limitrophes à l’Algérie.
Dépassionner les relations afin de favoriser la stabilité des deux rives de la Méditerranée
Cependant pour éviter les erreurs du passé, la leçon à retenir, c’est que les nouvelles relations internationales ne se fondent plus sur des relations de chef d’État à chef d’État ou de ministre à ministre, mais sur des réseaux et là il faut souligner que l’Algérie accuse un retard important. Tout en évitant d’instrumentaliser l’histoire, n’ayant de leçons de patriotisme à recevoir de personne, étant issu d’une grande famille de révolutionnaires, feu mon père ayant été emprisonné entre 1958/1962 à El Harrach et Lambèse, il s’agit aujourd’hui – comme je l’ai souligné il y a quelques années (2014) lors d’une conférence, au Sénat français, à l’invitation de mon ami Jean-Pierre Chevènement, ancien président de l’association Algérie-France et grand ami de l’Algérie – de dépassionner les relations afin de favoriser la stabilité des deux rives de la Méditerranée, et l’Afrique con tient à enjeux multiples en ce XXIème siècle, l’Algérie étant un pays pivot au sein de cet espace, et de préparer ensemble notre avenir à l’horizon 2025/2030.
En conclusion, le monde subit une profonde reconfiguration géostratégique où face aux importantes mutations géostratégiques avec les derniers événements couplés au réchauffement climatique, il ne sera plus jamais comme avant. ( voir notre contribution au site parisien AfricaPresse du 03 avril 2021). Nos deux pays doivent avoir une vision commune de leur devenir, nous imposant d’entreprendre ensemble et ce afin de contribuer ensemble à la stabilité régionale et au co-développement grâce au dialogue des cultures et la tolérance sources d’enrichissement mutuel. Il s’agit, en ce monde impitoyable où toute nation qui n’avance pas recule, de préparer ensemble l’avenir par le respect mutuel. Pour ma part, j’ai toujours souligné que l’Algérie entend ne pas être considérée sous la vision d’un simple marché et qu’il faille favoriser un partenariat gagnant-gagnant. Et c’est dans ce cadre que doit rentrer la coopération entre l’Algérie et la France, loin de tout préjugé et esprit de domination.