Par Benoit Ngom*, Président de l’Académie Diplomatique Africaine (ADA).
La prochaine visite du Président Macron en Algérie à partir du 25 août, après le Bénin et le Cameroun, semble indiquer sa détermination à maintenir le cap vers une relecture de l’histoire coloniale de la France.
La configuration de la nouvelle Assemblée Nationale française pourrait favoriser l’émergence de débats plus crédibles pour refonder la politique africaine de la France et satisfaire les aspirations de la jeunesse française qui souhaite en savoir plus et mieux sur l’histoire coloniale de son pays qu’elle vit à travers le prisme de la présence des immigrés en France.
Une relecture moins passionnelle de l’histoire coloniale peut être profitable à une France tiraillée entre des conservateurs nostalgiques d’un passé et d’une gloire que rien ne peut ressusciter et des forces du progrès, pragmatiques et réalistes qui savent que le renforcement mondial d’une bonne image de leur pays est le gage de la perpétuation de son influence morale, intellectuelle et économique qui lui permettrait de continuer de jouer dans la cour des grands.
Macron sait aussi que si la France perd son glacis francophone d’Afrique, sa voix risque de ne plus être plus audible que celle de l’Italie. Ok
Volonté d’une relecture de l’histoire coloniale
Monsieur Macron, pourrait-on dire a commencé sa campagne pour une relecture de l’histoire coloniale de la France avec sa déclaration en Algérie en Février 2017 en déclarant que « La colonisation est un crime contre l’humanité ».
Lors de la célébration du 75 e anniversaire du débarquement de Province, il rappela à certains de ses compatriotes la contribution des ancêtres des africains dont certains vivent aujourd’hui en France. A cette occasion il déclarait que « La France a une part d’Afrique en elle et sur ce sol de Provence, cette part fut celle du sang versé » .
Le Président français continua son intervention en soulignant que « C’est pourquoi je lance aujourd’hui un appel aux maires de France pour qu’ils fassent vivre par le nom de nos rues et de nos places, par nos monuments et nos cérémonies la mémoire de ces hommes qui rendent fiers toute l’Afrique et disent de la France ce qu’elle est profondément : un engagement, un attachement à la liberté et à la grandeur, un esprit de résistance qui unit dans le courage ».
Macron a eu aussi le courage de garder dans ses mains la patate chaude du dossier des Harkis, que ses prédécesseurs se sont refilés les uns après les autres, en exprimant d’une façon lucide la responsabilité de la France dans cette affaire. Ainsi lors de la cérémonie d’hommage qui leur était consacrée au Palais de l’Elysée, le président Macron a demandé « pardon » aux harkis, qui « ont prêté leur force, ont versé leur sang, ont donné leur vie pour la France ». ………C’est l’occasion, a-t-il ajouté, pour la France de reconnaître et de réparer ses manquements », et de dire « aux harkis et à leurs enfants à voix haute et solennelle que la République a alors contracté à leur égard une dette. » Dans cet esprit, il a également annoncé le vote prochain par l’Assemblée Nationale d’un texte de loi de reconnaissance et de réparation »
Cependant, cette volonté mainte fois exprimée par le Président français de procéder à une relecture de l’histoire coloniale française ne devrait pas se faire en sautant certaines pages dont celles relatives aux massacres de Thiaroye en 1944 et Madagascar en 1947.
Toujours est-il qu’armé de la conviction que seule une relecture honnête et humaniste de son histoire coloniale peut rapprocher durablement la France des peuples qu’elle avait dominés, Macron s’est lancé dans la tentative de trouver une solution à la restitution des biens culturels africains. Le processus de restitution, d’abord rejeté par le gouvernement français au nom du principe d’inaliénabilité des collections publiques, commence à prendre forme avec le retour de certains objets culturels au Bénin et au Sénégal.
L’ambiguïté d’une diplomatie de refondation
Cependant , la volonté de restituer les biens culturels africains, la reconnaissance de certaines erreurs du passé ne sauraient à elles seules fonder une diplomatie de refondation des relations entre la France et l’Afrique. En effet, une certaine cohérence dans le discours et la pratique des autorités françaises donnerait plus de visibilité à cette volonté exprimée de dépoussiérer l’histoire des relations entre la France et les états africains.
A cet égard, Certaines prises de position du Président Macron dont l’opportunité et la pertinence ne peuvent être contestées ont été obscurcies par des postures oratoires inutiles et inappropriées adoptées par les personnes à qui il avait confié la politique étrangère et de défense de son pays, mais parfois aussi par ses propres déclarations malencontreuses du point de vue de la jeunesse africaine attentive à la considération et au respect qu’on doit à leur continent.
Ainsi en est-il de sa récente déclaration au Cameroun ou il qualifiait d’ »hypocrisie « le fait que des états africains n’aient pas condamné ,comme la France, l’invasion de l’Ukraine par la Russie .Peut être qu’il aurait pu se passer d’un tel commentaire quand on sait que quelques jours après, à la suite de la visite du Président des USA en Arabie Saoudite , le Président Macron a reçu solennellement le Prince Bin Salman que l’Occident avait décrit comme un pestiféré dont il ne fallait nullement s’approcher. Comme s’il fallait comprendre que ce qui est « réal politik » au Nord serait « hypocrisie » au Sud.
La jeunesse africaine frustrée par l’attribution aléatoire des visas ou leur réduction drastique a du mal à comprendre cette posture de la France qui en plus du manque de considération n’exprime aucune empathie à son égard. Ces jeunes , qui pensent avoir rempli toutes les conditions pour bénéficier d’un visa qui souvent leur est refusé , ce qui les oblige parfois à emprunter les voies de la clandestinité, voient que les jeunes français peuvent venir chez eux sans avoir besoin de ce sésame.
Cette diplomatie à géométrie variable et ce mépris à l’égard d’une jeunesse qui a cru, à tort ou à raison, que ses ancêtres ont contribué à la libération de l’Europe ne peut que nuire aux intérêts de la France en Afrique. Ce qui peut expliquer ce sentiment anti français, qui a été exacerbé dans certains pays de l’Espace francophone comme au Burkina Faso, au Niger, au Mali et au Sénégal qu’il convient de contenir avant qu’il n’atteigne des situations difficilement contrôlables.
Porter les revendications légitimes des africains
Le mouvement de contestation de la politique française est essentiellement animé par des jeunes africains, souvent en dehors de tout embrigadement partisan, et qui sont loin d’accepter les relations que leurs dirigeants entretiennent avec l’ancienne puissance coloniale. Le sommet Afrique -France de Montpellier, en donnant l’occasion à la jeunesse africaine de s’exprimer sans détours, offrait à la France tous les éléments pouvant servir à une réelle refondation de ses relations avec l’Afrique.
En sa qualité d’ex puissance coloniale qui porte sa part de responsabilité dans la situation actuelle de l’Afrique, ses dirigeants devraient d’avantage essayer de soutenir les revendications légitimes des africains et éviter les discours et postures qui n’ont aucune prise sur une jeunesse africaine très informée, sure d’elle-même et vivant au rythme d’une société internationale mondialisée.
La France, grâce à sa connaissance du continent, devrait s’évertuer à privilégier la réalisation effective des désirs exprimés par les africains et éviter les discours moralisateurs que la réminiscence des effets négatifs de son passé colonial peut rendre inaudible.
*A propos de l’auteur
Président Fondateur de l’Association des juristes Africains (AJA), auteur de : « Arbitrage d’une démocratie en Afrique, la Cour Suprême du Sénégal éd. Silex, Paris et «Droits de l’homme et l’Afrique ed. Présence Africaine, Paris», Benoit Ngom est de nationalité sénégalaise, né en 1950, marié et père de plusieurs enfants. Titulaire du Doctorat d’Etat de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne , d’un DEA de Droit public général de Paris II Panthéon-Assas et d’un DEA de Développement et Études Internationales comparatives de l’Université de Paris I, Il a enseigné en France à l’Université d’Amiens et de Paris Saint Denis.
Actuellement, le Dr Benoit NGOM est Professeur et Président de l’Institut des Hautes Etudes pour la Justice et les Droits Fondamentaux en Afrique (IHEJDA). Co-fondateur de TRANSPARENCY INTERNATIONAL (1993), Benoit Ngom a organisé en 1987 à Dakar sous le mandat du Président Abdou Diouf , la première rencontre internationale entre l’ANC dirigé par Thabo Mbeki et les libéraux blancs parmi lesquels le Poète Breyten breytenbach, Frederik van Zyl Slabbert ou encore Alex Boraine qui dirigea par la suite à partir de 1995 avec l’Archevêque Desmond Tutu la Commission Vérité et réconciliation. Événement décisif dans le processus de la libération de Nelson Mandela.