Par Dr Abderrahmane MEBTOUL, professeur des Universités, docteur en sciences économiques.
La Déclaration d’Alger signée par le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le président français Emmanuel Macron, le 27 aout 2022, pour un partenariat renouvelé selon l’APS, jette les bases d’une coopération nouvelle entre l’Algérie et la France, dont la création d’un Haut Conseil, chargé de permettant de suivre les relations et leurs évolutions, une réunion des premiers ministres et des membres des deux gouvernements devant se tenir dans les prochains mois, ainsi que des visites bilatérales pour fixer l’agenda de coopération entre les deux pays.
Au chapitre politique, l’Algérie et la France ont décidé de créer un «Haut Conseil de coopération» au niveau des Chefs d’Etat, qui se « tiendra tous les deux ans, alternativement à Paris et à Alger selon les modalités à définir ultérieurement . Pour les questions de défense et de sécurité, les chefs d’Etats réuniront les responsables des deux pays chaque fois que nécessaire.
Pour la question mémorielle, l’Algérie et la France ont décidé d’assurer une prise en charge intelligente et courageuse des problématiques liées à la mémoire ayant convenu de créer une commission conjointe, d’historiens français et algériens «chargée de travailler sur l’ensemble de leurs archives de la période coloniale et de la guerre d’indépendance sur une base scientifique qui verra l’ouverture et la restitution des archives, des biens et des restes mortuaires des résistants algériens, ainsi que celles des essais nucléaires et des disparus, dans le respect de toutes les mémoires. Concernant le problème des visas et de l’émigration clandestine, les deux pays ont convenu de trouver des solutions «concrètes et opérationnelles» aux problèmes des mobilités notamment pour les « étudiants, entrepreneurs, scientifiques, universitaires, artistes, responsables d’associations et sportifs », permettant de conduire davantage de projets communs.
Dans le domaine économique et socio-culturel , la France et l’Algérie ont convenu de renforcer leur coopération en «priorité sur les secteurs d’avenir : le numérique, les métaux rares, la santé, l’agriculture et le tourisme et dans le domaine de l’énergie, il a été convenu de « coopérer sur la transition énergétique – notamment à travers une coopération dans les domaines du gaz et de l’hydrogène et de lancer un programme de recherche d’innovation technologique sur la récupération et le traitement du gaz de torchage. Autre aspect abordé, le renforcement de la coopération sur les fouilles archéologiques afin de renforcer la coopération entre l’Institut Pasteur de France et l’Institut Pasteur d’Algérie pour favoriser les mobilités de chercheurs et mettre en œuvre des programmes de recherche conjoints. Sur la jeunesse, il a été décidé de conclure un nouveau pacte pour la jeunesse, portant sur l’ensemble de ses dimensions et se traduisant par la mise en œuvre de projets concrets dont la « création d’un incubateur de start-ups en Algérie » et « l’appui à des projets d’investissement d’avenir en France et en Méditerranée, initiés notamment par les PME, à travers le Fonds de 100 millions d’euros pour les entrepreneurs issus de la diaspora maghrébine qui sera implanté à Marseille.
3 axes qui devraient concilier à la fois le devoir de mémoire et préparer l’avenir dans un monde incertain et turbulent en profond bouleversement géostratégique entre 2022 et 2030
Sur le devoir de mémoire. Depuis des années, l’épanouissement de la relation stratégique approfondie entre l’Algérie et la France est systématiquement entravé, pour des «raisons» obscures, par de puissants lobbies ne voulant pas d’une relation apaisée entre l’Algérie et la France. La visite avait pour objet essentiel d’atténuer les tensions qu’ont récemment connues les deux pays. Dans ce cadre, le facteur culturel se basant sur la tolérance et le respect d’autrui est important pour aplanir les divergences. C’est que l’ère des confrontations n’a eu cours que parce que les extrémismes ont prévalu dans un environnement fait de suspicion et d’exclusion. Connaître l’autre, c’est aller vers lui, c’est le comprendre, mieux le connaître et non lui imposer un schéma social contraire à ses valeurs. Dans ce cadre, le devoir de mémoire est important pour l’Algérie afin de préparer l’avenir loin de tout esprit de domination. Comme mis en relief précédemment, l’installation de la commission annoncée de chercheurs algériens et français sur toute la colonisation et la Guerre d’Algérie par le devoir de vérité est importante.
Sur le volet géostratégique et la stabilité de la région du Sahel. Face aux tensions géostratégiques dans le monde, chaque pays a des positions spécifiques – notamment le conflit en Ukraine, le Sahara occidental et les tensions au Mali et en Libye. Dans plusieurs rapports entre 2018 et 2022, les autorités tant américaines qu’européennes, russes et chinoises, ont tenu à souligner qu’avec les tensions observées dans la région, l’Algérie contribue à la stabilisation de son voisinage immédiat, notamment au Sahel, et demeure un acteur clé au niveau de la région méditerranéenne et africaine.. L’instabilité de la région a un effet négatif sur toute l’Europe – dont la France – et renvoie d’ailleurs à l’urgence d’une nouvelle architecture des relations internationales fondée sur le co-développement. C’est dans ce cadre qu’ont eu lieu la rencontre entre les différents services de sécurité algériens et français ayant réuni, du côté algérien, le Chef d’état-major de l’armée (ANP), le directeur général de lutte contre la subversion, le directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) et le directeur général de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE), et, du côté français, le ministre français des Armées, le chef d’état-major des armées et le directeur général de la Sécurité extérieure, rencontre présidée par les deux chefs d’Etat, ainsi que la rencontre au ministère de la défense nationale entre le chef d’Etat-major de l’ANP et le ministre français de la défense en présence de différents responsables., rencontres médiatisées dans la plus totale transparence. Selon l’agence de presse algérienne APS, reprenant une note du MDN, « cette visite constituera une étape charnière du processus de compréhension mutuelle entre les deux parties, insufflée par la volonté politique des Présidents des deux pays ».
Sur volet économique comme cela avait été annoncé par la partie française, il n’ y a pas eu de grandes annonces durant cette visite où, pour la concrétisation de nouveaux projets, il a été convenu la mise en place de commissions spécialisées entre les différents départements ministériels. Malgré sa désindustrialisation, la France demeure la deuxième puissance économique en Europe, derrière l’Allemagne, pouvant coopérer dans certains projets dont elle détient la technologie. La France, par rapport aux années passées, a perdu des parts de marché pas seulement en Algérie, mais aussi en Afrique. En 2019, la France a été fournisseur de l’Algérie à hauteur de 10,9 % et a été le principal client de l’Algérie (à hauteur de 14,11 %).
Selon les statistiques douanières, durant le premier semestre 2022, les principaux fournisseurs de l’Algérie sont la Chine (16,5 %), la France (7,17 %), le Brésil (6,51 %), l’Argentine (6,44 %) et l’Italie (5,83 %). Tandis que les principaux clients de l’Algérie sont : l’Italie (21,83 %), l’Espagne (12,13 %), la France (9,94 %), les Pays-Bas (7,38 %) et les États-Unis (5,75 %).
Dans la pratique des affaires, il n’y a pas de fraternité et de sentiments. L’Algérie doit privilégier uniquement ses intérêts, comme c’est le cas de la France, car les opérateurs – qu’ils soient arabes, algériens, chinois, russes, français ou américains – étant mus par la logique du gain, ils iront là où les contraintes sociopolitiques et socio-économiques sont mineures, leur objectif étant de réaliser le profit maximum. L’Algérie est par ailleurs, un acteur stratégique pour l’Europe dans son approvisionnement énergétique (11 %), mais pouvant doubler ses capacités à l’horizon 2025/2027. Le volet énergétique a été abordé avec les excellentes relations entre Sonatrach et Gaz de France, la France étant le pays qui dépend le moins du gaz russe (environ 15 à 17 %), grâce au nucléaire.
Comme cela a été souligné par le président français Emmanuel Macron, l’Algérie est un partenaire stratégique pour la France. L’attractivité du marché algérien découle des avantages comparatifs suivants : la proximité géographique des marchés potentiels d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient ; la taille du marché intérieur étant estimée à plus de 45 millions de consommateurs ; des richesses naturelles importantes ; des ressources humaines ; un endettement extérieur inférieur à 6 milliards de dollars ; des réserves de change – bien qu’en baisse – de 44 milliards de dollars à la fin de 2021, contre 194 milliards de dollars au 1er janvier 2014, des recettes en devises qui devraient dépasser 50 milliards de dollars en 2022. N’oublions pas le nombre de résidents d’origine algérienne dans le monde, recélant d’importantes potentialités intellectuelles, économiques et financières. La promotion des relations entre l’Algérie et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les universités, les entrepreneurs et la société civile.( voir Pr A. Mebtoul Institut Français des relations internationales IFRI décembre 2011 les axes de la coopération Europe/Maghreb et conférence juin 2021 à l’invitation de la commission européenne à Alger sur ce même thème).
Quelle conclusion ? Espérons que cette visite permettra de promouvoir l’esprit de paix, d’amitié, d’excellence, d’ouverture d’esprit et d’unité entre la France et l’Algérie, tous deux acteurs stratégiques du pourtour méditerranéen ; une mer qui, depuis 3000 ans, a vu la naissance de grandes civilisations, religions, cultures et traditions. Le monde subit une profonde reconfiguration géostratégique et, face aux importantes mutations géostratégiques avec les derniers événements couplés au réchauffement climatique, ne sera plus jamais comme avant. Comme je l’ai fortement souligné lors du sommet de la société civile, qui est au centre de la coopération euro-méditerranéenne et euro-africaine, tenu à Marseille le 24 juin 2019, où j’ai présidé la délégation algérienne et ayant donné une conférence sur les enjeux géostratégiques en Méditerranée en présence du président Emmanuel Macron, représentant l’Algérie en tant que président de la commission transition énergétique des 5+5+Allemagne, qui a réuni les ministres des Affaires étrangères, dont l’Algérie, le FMI, la Banque mondiale et les représentants de la Commission européenne, il s’agit de préparer – ensemble – l’avenir par le respect mutuel afin de contribuer – ensemble – à la stabilité régionale et au co-développement grâce au dialogue des cultures et la tolérance – source d’enrichissement mutuel.