Accusées de prendre de haut les petites et moyennes entreprises en leur exigeant des garanties excessives, les banques se défendent en mettant en avant le manque de transparence et la sous-capitalisation de ces entreprises. Rien n’est irréversible, explique N’Guenor Codioro Haroune, co-fondateur du cabinet d’audit et conseil N&A Global Consulting Business & Advisors basé à Nouakchott. Ce consultant chevronné, docteur d’Etat en sciences de gestion, a travaillé pendant près de 20 ans chez Deloitte Maroc où il a accompagné de prestigieux clients au Maroc et en Mauritanie.
Comment expliquez-vous que les PME éprouvent tant de difficultés à accéder au crédit et que les taux d’intérêt qui leur sont appliqués soient si élevés ?
Avant de répondre à votre question, permettez-moi de rappeler l’importance de cette catégorie d’entreprises dans le tissu productif africain. En effet, la contribution des PME à la compétitivité, au développement économique et à l’emploi sont reconnues mondialement, les PME, qui constituent 95% des entreprises du continent, continuent de souffrir d’une faible capacité d’investissement et de financement. Souvent sous-capitalisées, elles ne disposent pas de garanties suffisantes à présenter aux banques alors que le financement bancaire constitue la principale source de financement externe. Le financement des PME représente une problématique décisive pour les banques africaines qui citent le manque de transparence des petites et moyennes entreprises au niveau de leur gouvernance et de leur communication financière comme principal obstacle à l’extension du crédit à ces structures. Le coût du crédit bancaire constitue aussi un réel frein. En effet, lors des phases d’amorçage, de démarrage ou d’expansion, les jeunes entreprises à fort potentiel ne peuvent pas faire face à des remboursements mensuels de leurs prêts bancaires. Ainsi, pour une meilleure maîtrise des risques bancaires, les établissements de crédit demandent davantage de garanties aux entreprises nouvelles et petites vulnérables aux fluctuations du marché. En conséquence, plusieurs projets obtiennent des crédits à un coût élevé et d’autres projets viables sont écartés par la banque et n’accèdent pas au financement nécessaire au lancement de leurs activités, ne permettant pas l’émergence d’initiatives citoyennes ou l’encouragement de l’innovation.
De votre expérience d’auditeur, qu’est- ce qui devrait être amélioré du côté des PME comme des banques ?
En Mauritanie par exemple, l’environnement externe des PME apparait comme source de menaces et de contraintes pour elles. L’aspect financier de la défaillance des PME n’est pas la conséquence exclusive de la présence de l’échec de celles-ci, mais c’est le résultat de l’interaction réciproque entre l’ensemble de ses aspects. Si la transformation de la nature de la relation entre banque et entreprises est nécessaire, elle doit être opérée dans le cadre d’une démarche globale qui prépare les conditions de mise en place d’une relation de confiance pérenne entre prêteur et emprunteur.
De par notre expérience la sortie de crise de la relation banque-PME se décline en deux axes : le premier axe est issu des aspects financiers. La recherche d’une relation de confiance pérenne banque-entreprise nécessite une plus grande transparence entre les deux parties. Le second axe résulte d’un dispositif d’accompagnement global des PME. Il s’agit de l’ensemble des meures et structures d’accompagnement destinées à dépasser et à combler les multiples difficultés dont l’entreprise est confrontée. Il faut que la frilosité des banques se transforme en un accompagnement du développement de la PME pour éviter une situation de difficulté. Pour ce faire, l’accompagnement doit relever d’une démarche globale et cohérente, qui suppose de favoriser un écosystème de PME qui nécessite l’adhésion totale de ces entreprises, compte tenu de leurs caractéristiques, de leurs besoins et des moyens propres dont elles disposent. L’implication de ces dernières permet non seulement de mettre en lumière leurs facteurs de succès mais aussi d’anticiper et de maitriser les situations de crise.
En quoi l’atomisation de l’offre bancaire et le faible nombre de banques à taille critique sur le continent constitue-t-il un frein au financement de l’économie ?
L’atomisation de l’offre bancaire et le faible nombre de banques à taille critique sur le continent constituent un frein au financement de l’économie. Limités, fragmentés et marqués par de fortes disparités, les secteurs bancaires en Afrique ne sont pas en capacité de répondre aux besoins de financement du secteur privé. En effet, premièrement, la taille restreinte de nombreuses économies du continent ne permet pas aux banques de tirer parti des économies d’échelle. Les clients souhaitant effectuer de petites transactions, y compris les ménages des classes populaires et moyennes et les petites entreprises, sont par conséquent exclus des services financiers classiques. La forte dispersion des populations dans de nombreux pays africains limite d’autant plus la taille effective du marché. La prestation de services financiers en dehors des centres urbains est rarement rentable dans le cadre des modèles économiques traditionnels des systèmes bancaires. Deuxièmement, un grand nombre d’agents économiques opèrent dans le secteur informel, ce qui alourdit les coûts et les risques pour banques et, par conséquent, exclut une grande partie de la population des services financiers classiques. Troisièmement, la volatilité – à la fois au niveau individuel, liée aux fluctuations des flux de revenus d’un grand nombre d’entreprises et de foyers, et au niveau global, liée à la dépendance de nombreuses économies africaines vis-à- vis des exportations de produits de base – augmente encore les coûts et les risques pour les banques. Enfin, les problèmes de gouvernance continuent d’affaiblir de nombreuses banques sur l’ensemble du continent et pèsent non seulement sur la prestation de services selon les lois du marché. En somme, le secteur bancaire a besoin de s’harmoniser et de travailler ensemble pour atteindre une masse critique qui puisse lui permettre de biper dans le radar du marché international et pouvoir présenter une zone homogène et lever les ressources à long terme qui pourraient financement le développement du continent.
Un mouvement de consolidation dans le secteur bancaire vous semble-t-il plausible ?
Il serait difficile de répondre par l’affirmative, en raison de fortes disparités régionales des secteurs bancaires en Afrique. Force est de constater que le secteur bancaire du continent est peu efficace et nécessite d’être restructuré pour augmenter le niveau de concurrence, tout en faisant émerger des banques d’une taille suffisante pour répondre aux besoins de l’ensemble du secteur privé local. La crise du Covid-19 a mis en lumière l’impérieuse nécessité de renforcer le secteur bancaire, de le rendre plus résilient et innovant, d’accroître la bancarisation et de faire émerger des champions nationaux. Déjà très impliquées, les institutions financières de développement (IFD) peuvent encourager les processus de consolidation, appuyer l’émergence de champions panafricains et favoriser l’accès à des ressources à long terme. À ce jour, peu de pays ont cependant entrepris de restructurer leur secteur bancaire ; ceux qui y sont parvenus demeurent l’exception. Le Nigéria est l’un de ceux-là et cette restructuration commence aujourd’hui à porter ses fruits, plusieurs banques ayant atteint une taille suffisante pour générer de réels rendements d’échelle et financer les grosses opérations du secteur privé local. Le secteur bancaire d’Afrique centrale et, dans une moindre mesure, d’Afrique de l’Ouest sont encore en majorité au début de leur phase de maturation La faible profondeur des systèmes financiers est bien évidemment un frein au développement de l’économie locale, et en particulier du secteur privé. De manière générale, le positionnement transversal des IFD leur permet de rapprocher les banques capables de développer des synergies, et ce faisant, de favoriser l’intégration bancaire régionale et la diffusion de savoir-faire entre différents marchés et permettre ainsi l’éclosion de banques résilientes et innovantes. Ce type de soutien permettrait aux banques d’apprendre à connaître les marchés voisins en sortant progressivement de leurs frontières et contribuerait ainsi à renforcer les capacités des systèmes bancaires africains.
Quelles sont les premières préoccupations des investisseurs qui viennent vous consulter en cabinet ?
Les principales préoccupations des investisseurs qui viennent nous consulter sont d’abord d’ordre fiscal, juridique, judiciaire et administratif. A ces difficultés s’ajoutent celles relatives au capital humain.