«La France salue les efforts de la Mauritanie pour améliorer son climat des affaires»
Alliée stratégique de la Mauritanie dans la coopération sécuritaire au Sahel, la France reste un partenaire économique et commercial de premier plan. Dans cet entretien exclusif, SEM Robert Moulié, ambassadeur de France en Mauritanie, revient sur les points saillants de l’axe Paris-Nouakchott.
Quel est l’état du commerce entre la Mauritanie et la France ?
La France est un partenaire commercial important pour la Mauritanie, se plaçant au 3ème rang de ses fournisseurs en 2021. Sur la période récente, nos échanges commerciaux ont fluctué entre 200 et 300 M€ par an. Si les exportations françaises en Mauritanie ont connu une baisse de 25 % en 2021, due principalement à la baisse de nos exportations de céréales, pour atteindre 177 MEUR, la Mauritanie est le 13ème client de la France en Afrique subsaharienne, captant 2,5 % des exportations françaises dans la région, et le 97ème dans le monde. Nos importations ont quant à elles connu une hausse de 32 % mais restent relativement faibles, de l’ordre de 45 MEUR. La structure des échanges est stable. La France exporte essentiellement des produits pharmaceutiques, des équipements mécaniques et des produits alimentaires et agro-industriels et importe du minerai de fer et des produits de l’agriculture et de l’élevage.
Quelles sont les perspectives pour le commerce entre nos deux pays ?
L’une de mes missions est d’œuvrer pour assurer la promotion des opportunités économiques offertes par la Mauritanie aux entreprises françaises, au bénéfice des deux pays. La Mauritanie possède un potentiel important dans de nombreux secteurs : énergétique avec la découverte de GTA et d’autres gisements gaziers tels que Bir Allah ; mais aussi dans l’hydrogène vert comme en témoignent les deux grands chantiers lancés par CWP et Chariot dans le nord du pays. La Mauritanie possède également d’énormes ressources dans les secteurs productifs : d’abord dans la pêche, avec une des eaux les plus poissonneuses du monde et un accord liant la Mauritanie et l’Union européenne, qui est l’accord le plus important signé par l’UE en terme de quotas comme de montants. L’agriculture est également un secteur sur lequel il faut mettre l’accent, avec un potentiel de développement dans les filières de l’élevage et des produits laitiers notamment.
Je travaille donc, avec mes équipes, à promouvoir les opportunités d’affaires existantes en Mauritanie auprès des entreprises françaises susceptibles d’y investir, en lien avec l’Agence pour la promotion des investissements en Mauritanie (APIM). Le ministre français du Commerce extérieur devait venir en Mauritanie au début de l’année 2022, accompagné d’une importante délégation d’entreprises françaises intéressées par la Mauritanie, mais n’a pu faire le déplacement à cause des conditions sanitaires. Nous espérons que ce n’est que partie remise.
D’autres acteurs institutionnels et économiques français s’intéressent de près au pays : la Banque Publique d’Investissement (BPI) est venue en mission en Mauritanie en mars dernier, Business France, en charge du développement international des entreprises françaises, est venu en mission en mai et enfin Proparco, filiale de l’AFD qui accompagne les entreprises et les établissements financiers, s’est rendu en Mauritanie en juin dernier. Le MEDEF International est également un partenaire attentif aux opportunités de collaboration avec la Mauritanie.
Le soutien de la France au développement économique de la Mauritanie passe d’abord par une présence de nos entreprises dans le pays mais pas seulement. Au niveau macroéconomique, la France est, au même titre que d’autres pays européens, partie prenante du Club de Paris et de l’Initiative de Suspension du Service de la Dette (ISSD), qui a permis à certains pays de suspendre le remboursement de leur dette publique bilatérale pendant plusieurs semestres lors la crise de la Covid-19, afin de leur permettre de dégager des financements pour lutter contre la pandémie. C’est dans ce cadre que la France a signé avec la Mauritanie trois accords successifs de suspension du service de la dette, en 2020 et 2021, pour un montant total de 11,4 millions d’euros. Ces accords ont permis à la Mauritanie de consacrer les ressources ainsi libérées à l’augmentation des dépenses permettant d’atténuer l’impact sanitaire, économique et social de la crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19.
La Direction Générale du Trésor a par ailleurs ouvert depuis 2020 des outils de financements dont bénéficie la Mauritanie, notamment le FASEP qui permet le financement d’études de faisabilité ou de démonstrateurs de technologies vertes. Il y en a actuellement deux en cours, une étude concernant un « backbone » de fibre optique dans l’est du pays et un projet pilote de télémétrie dans la région du Tagant.
Enfin, la France salue les efforts de la Mauritanie pour améliorer son climat des affaires. Je peux citer à ce titre la création en 2020 de l’APIM, l’amélioration du cadre légal et la présence accrue de délégations mauritaniennes aux évènements économiques internationaux. Pourtant, il semblerait que ces efforts se heurtent encore à des réalités moins réjouissantes : les entreprises font régulièrement face à des difficultés d’ordre administratif, légal ou fiscal. Sans entrer dans les détails, ce sont des difficultés que je soulève régulièrement avec mes interlocuteurs mauritaniens.
Comment qualifieriez-vous la présence économique française en Mauritanie ? Comment se positionne la France sur les questions d’Oil and Gas et d’hydrogène vert en Mauritanie ?
La présence économique française en Mauritanie est d’abord et avant tout une présence dite « business » avec de grands groupes français qui sont présents dans le pays. Ceux-ci, tout en participant à l’activité économique du pays, favorisent aussi la formation de la main d’œuvre mauritanienne et financent des programmes de RSE. A ce titre, nous pouvons citer CMA CGM, la Société Générale, l’une des rares banques internationales de la place, le Bureau Veritas, le groupe VICAT, CNA-CIS etc… Au total, il y a une cinquantaine d’entreprises françaises ou de sociétés détenues par des Français dans le pays, qui créent plus de 2000 emplois directs et indirects, selon nos estimations. Nos entreprises sont présentes dans de nombreux secteurs : du secteur bancaire à la logistique en passant par le transport et le conseil. Si le secteur des hydrocarbures est dominé par la présence d’entreprises anglo-saxonnes, les entreprises françaises ont réussi à se placer en sous-traitance dans ce secteur, notamment sur le projet GTA. C’est par exemple le cas d’Eiffage Marine qui a construit le brise-lames, travail titanesque et performance technique. Dans le secteur des mines, réservé plutôt aux entreprises nationales mauritaniennes, les entreprises françaises savent intervenir en tant que fournisseurs de matériels ou d’infrastructures.
Par ailleurs, la France possède un réseau de « Conseillers du Commerce Extérieur de la France (CCEF) », véritable atout pour le soutien aux entreprises françaises qui veulent s’implanter dans le pays, grâce à leur connaissance de la Mauritanie.
La France est également présente en Mauritanie via le tourisme puisque les Français sont les plus nombreux parmi les touristes venant en Mauritanie. Sur la période 2017-2020, ce sont 3355 touristes français qui sont venus visiter la Mauritanie, notamment les magnifiques paysages de l’Adrar. Les déplacements depuis la France vers la Mauritanie, outre les vols directs opérés par Air France, sont facilités par les vols Paris-Atar opérés par la compagnie française ASL Airlines lors des dernières saisons touristiques. Au total, sur la période 2021-2022, malgré la pandémie de la Covid-19 qui perturbait encore les liaisons aériennes, la compagnie a opéré 16 vols. La France est également fortement engagée pour appuyer le développement économique et l’entreprenariat en Mauritanie via l’Agence Française de Développement (AFD). Celle-ci finance actuellement la mise à échelle du dispositif « Mon Projet – Mon Avenir » d’accompagnement des jeunes entrepreneurs mauritaniens, avec un accent sur l’entreprenariat féminin, et de gestion d’entreprise, en lien avec la Caisse des Dépôts et de Développement (CDD) et l’Agence nationale pour l’Emploi. Plus largement, l’AFD gère un portefeuille de 180 MEUR de projets en cours d’exécution dans différents secteurs (eau, assainissement, agriculture, appui aux infrastructures…). Les derniers chiffres du CAD de l’OCDE montrent que, pour 2019-2020, la France demeure le premier partenaire bilatéral de la Mauritanie avec des décaissements annuels moyens de 40 MUSD sur la période.
La Direction Générale du Trésor, qui relève du ministère français de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, soutient également le développement économique de la Mauritanie en finançant des démonstrateurs de technologies vertes innovantes menés par des entreprises françaises en Mauritanie et en apportant une garantie à des grands contrats via BPI Assurance Export.
La Mauritanie promeut à l’international les opportunités de partenariat public-privé (PPP) développées dans le pays. Comment la France s’inscrit dans cette dynamique ?
Le seul PPP réalisé en Mauritanie a été le projet de terminal à conteneurs de TCN, anciennement Arise Mauritania, d’un montant total de 320 MUSD, financé à hauteur de 50 % par le fonds français Meridiam. Il s’agit du plus gros investissement de Meridiam en Afrique. Bien que le projet ait été controversé à sa signature, il a été renégocié en décembre 2020 et un avenant au projet a été signé. C’est un investissement indispensable au développement économique de la Mauritanie puisque ce terminal permet d’accueillir des navires de grande capacité et offre un niveau de service élevé, permettant ainsi au pays d’adapter ses infrastructures portuaires à la croissance de ses échanges commerciaux. L’AFD est également impliquée dans la promotion des PPP en Mauritanie puisque c’est elle qui a accompagné les autorités dans l’élaboration du cadre législatif de cet outil. L’AFD appuie la Direction PPP du Ministère des Affaires Economiques et de la Promotion des secteurs productifs dans le renforcement de ses capacités sur l’analyse et l’évaluation juridique des projets ou encore sur la contractualisation et le suivi de l’exécution des projets. A cela s’ajoute un appui spécifique par Business France dans la préparation des appels d’offre pour les délégations de service public.
Je relève que, pour la tournée de promotion des PPP organisée par l’APIM, Paris a été la première ville étrangère d’implantation de l’évènement. Je me réjouis que plusieurs projets de PPP aient retenu l’attention d’investisseurs français, dans des domaines variés, ce qui augure de nombreuses collaborations futures entre nos deux pays.
Permettez-moi de terminer cet entretien en soulignant que la France accompagne la Mauritanie afin de consolider ses acquis dans tous les domaines. En ce qui concerne le développement économique, cela passe aussi bien par un soutien à la consolidation des grands équilibres macro-économiques que par un appui au développement de l’entreprenariat, promu par les autorités mauritaniennes.