Beaucoup se demandent, certains sous influence de communications malveillantes, pourquoi les africains, anciens colonisés français, contrairement à la Guinée-Conakry, n’ont pas leur monnaie alors que de modestes contrées comme la Gambie anglophone ou même des derniers venus dans le concert des nations indépendantes à l’exemple du Soudan du Sud, également anglophone, en ont, voire la Mauritanie qui a décliné aussi bien l’usage du franc CFA que sa participation à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) créée dans sa sphère géographique naturelle d’appartenance à des fins d’intégration économique et de monnaie unique sous-régionale.
Bien entendu, ceux qui se posent une telle question sont dans le déni du franc CFA qu’ils assimilent à une monnaie coloniale française à partir de raisonnements paralogiques ou carrément malintentionnés.
Les commentaires qui suivent rappellent que l’indépendance et la souveraineté monétaires sont sans lien avec la dénomination d’un billet de banque, son lieu de fabrication et le régime de change (i), que battre monnaie peut effectivement être simple ou compliqué selon les cas (ii), que les monnaies nationales sont presque toutes des échecs en Afrique au sud du Sahara (iii) et que contribuer à la préservation du pouvoir d’achat est de nos jours une mission essentielle de banque centrale (iv).
1. Indépendance et souveraineté monétaires : rien à voir avec la dénomination d’un billet de banque, son lieu de fabrication et le régime de change.
Une monnaie est comme un iceberg avec sa face visible, qui est accessoire, et son imposante face cachée inaccessible sans prérequis. Elle est à la fois familière par sa face accessible à tous, parce que visible et tangible, et académique par sa face cachée adossée à un corpus et à des métiers. Son processus est simple ou compliqué selon son envergure géopolitique, celle-ci pouvant être nationale ou communautaire. Une monnaie est un condensé de moult considérations, visibles ou invisibles, régaliennes ou factuelles, incontournables ou optionnelles et accessoires ou déterminantes.
1. 1 De la dénomination et de son caractère accessoire
La dénomination d’une monnaie fait partie de sa face visible, sonore, familière et donc accessible. Elle n’est pas exclusive puisque l’homonymie ne suscite aucun problème particulier dans la pratique des banques centrales. Par ailleurs, la dénomination relève d’un formalisme associé à tout signe monétaire, supposé ou non indépendant et souverain. À ce propos, nombre de pays utilisent du reste une monnaie dont l’appellation est générique.
Enfin, la dénomination d’une monnaie n’est absolument pas un marqueur d’efficacité, ni d’efficience, ni de pertinence d’un signe monétaire. Elle n’est certainement pas neutre en termes de communication et c’est tout. Ceci explique en partie pourquoi il existe un grand nombre de signes monétaires qui optent pour la même appellation dollar, livre, franc, dinar etc. sans doute parce que ces signes monétaires anciens symbolisent, dans la conscience collective, des moyens de paiement popularisés à l’échelle internationale.
Malheureusement, il existe tant et tant d’amalgames dès qu’il s’agit du franc CFA, dont l’identité sonore en particulier et en général tout ce qui relève de sa face visible, familière et tangible révulsent certains non-initiés qui estiment que ce signe monétaire n’est pas africain mais appartient aux colons et néo-colons français. Son identité sonore (dénomination « franc CFA ») et son identité visuelle (présentation physique du billet de banque franc CFA) relèvent du volet tangible, factuel, optionnel et accessoire sur tout signe monétaire par opposition au volet intangible, régalien, incontournable et déterminant qui est la capacité d’une monnaie à préserver le pouvoir d’achat.
Le volet tangible, factuel, optionnel, accessoire du franc CFA, inclusivement son identité sonore, alimente un marketing mensonger et malveillant sur fond d’aversion montante contre la présence française en Afrique noire en dépit du fait que son volet intangible, régalien, incontournable et déterminant prouve sa pertinence dans la préservation du pouvoir d’achat qui est l’ultime finalité de tout signe monétaire. En somme dans le cas du franc CFA, l’accessoire préoccupe ses critiques davantage que le principal.
1. 2 De la fabrication à l’émission d’un billet de banque : deux métiers différents, un du secteur réel et un du secteur monétaire
La différence entre « Fabriquer » et « Émettre » un signe monétaire est faiblement comprise du public et source de graves confusions malveillantes instrumentalisées sur les réseaux sociaux : fabriquer est une activité du secteur réel que certaines banques centrales se sont appropriées, contrairement à émettre des billets de banque qui est un métier exclusivement banque centrale et régalien de nos jours.
Fabriquer, dans le sens de produire ou d’imprimer un billet de banque, est un peu comme fabriquer ou produire un bien économique (des véhicules par exemple) dont un pays a nécessairement besoin. Il s’agit d’un processus diversifié et complexe qui relève d’une décision d’opportunité, à savoir : fabriquer sur place dans le pays, quitte à faire installer la chaîne des valeurs y relative prioritairement à des besoins dans d’autres secteurs économiques (1ère option) ou passer commande à l’étranger (2e option) là où existent un savoir-faire et une imprimerie spécialisée.
Délocaliser la production de billets de banque et pièces de monnaie dans un pays autre que le pays émetteur n’a en définitive rien d’improbable, d’extraordinaire ou de soupçonneux.
Mais par contre, l’émission de billets de banque et de pièces de monnaie, c’est-à-dire leur première mise en circulation dans le public, est exclusivement du ressort du pays dont c’est le signe monétaire, qui fixe les conditions y relatives, et de sa banque centrale. C’est cette dernière qui procède à la mise en circulation selon des techniques et mécanismes universels de financement et de refinancement propres aux métiers des banques centrales. En la matière, la Banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest (Bceao) et la Banque des États d’Afrique centrale (Beac) n’ont aucun complexe de compétence à évacuer parce que, toutes proportions gardées, le processus de l’émission monétaire est le même pour toutes les banques centrales, que ce soit à la Banque de France, la Banque d’Angleterre ou la Fed (Banque Centrale des USA) ou la Banque centrale de Chine etc.
1. 3 Du régime des taux de change.
Le taux de change fixe convenu dans les relations entre États-parties au signe monétaire franc CFA fait l’objet de critiques passionnées et négatives rarement justifiées. Les reproches des contempteurs du franc CFA, réducteurs de la réglementation des changes et de la politique de la monnaie et du crédit en vigueur dans les États émetteurs, présentent le taux de change fixe comme un aboutissement et non un moyen, optionnel au demeurant, qu’il est en réalité. Pourtant, fixe ou variable, un taux de change ne confère ni indépendance ni souveraineté monétaire, ni utilité exclusive certaine mais suggère uniquement des obligations de gestion de la réglementation des changes, des obligations de politique de la monnaie et du crédit ainsi que des obligations de politique économique. Il échappe souvent
aux critiques du franc CFA que son modèle d’intégration monétaire s’appuie sur trois fondamentaux liés que sont un taux de change fixe, une garantie de change et une monnaie de référence; en outre, le modèle du franc CFA ne met pas en concurrence les États-parties, comme en zone euro, mais en saine compétition dans la solidarité via notamment une mutualisation, non pas partielle comme en zone euro mais intégrale, des réserves en devises et de leur gestion et une harmonisation, à défaut d’une uniformisation, des conditions-clé d’un vivre ensemble monétaire forcément délicat entre États non seulement indépendants mais de gouvernance faiblement vertueuse ou convergente.
Dans le cas des États-parties au franc CFA, le taux de change fixe est lourdement justifié par les exigences endogènes d’un vivre ensemble monétaire et solidaire que résument des taux d’intérêt directeurs uniformes, une politique uniforme de la monnaie, du crédit et des changes, mise en œuvre par une banque centrale unique et commune, une mutualisation intégrale des réserves en devises et de leur gestion ainsi qu’une réglementation bancaire, prudentielle et financière quasiment uniformisée ; un taux de change qui ne serait pas fixe intra-zone et interpays dans ces conditions serait difficilement justifiable, constituerait un déni de pratique de change au sein d’une union monétaire et une source permanente de conflits entre les États-parties etc. S’y ajoute que les États émetteurs du franc CFA ont choisi de mettre leurs réserves en devises à l’abri des vicissitudes des marchés de change via une convention de compte liant leur banque centrale aux autorités monétaires françaises; dans ce cadre, celles-ci leur assurent, à un prix convenu à l’avance (taux de change fixe), un découvert automatique en compte en cas de besoin, qui leur évite des ruptures de paiements internationaux, y compris surtout de la dette souveraine et ses conséquences, grâce à la garantie de convertibilité illimitée de leur signe monétaire par la France.
Le dispositif contractuel liant les émetteurs de franc CFA à la France, nation garante in fine de la continuité des paiements internationaux des co-contractants, est assorti de mesures prudentielles pour les différentes parties au contrat, à savoir: rémunération des réserves en devises et compensations financières, en cas de pertes de change, versées par la partie française à la partie africaine, droit de regard de la partie française notamment sur l’évolution des réserves en devises rapportées à l’émission monétaire de la partie africaine à des fins prudentielles et de sauvegarde de la qualité du signe monétaire franc CFA (convertible et garanti par la monnaie de référence française).
De ce qui précède et en dépit d’un environnement réglementaire et organisationnel fortement imprégné d’exigences de vivre ensemble solidaire, de pays à la gouvernance généralement fébrile, le taux de change fixe est présenté par les contempteurs du franc CFA comme le pire des régimes de change, le meilleur étant selon leur jugement sans appel le taux de change variable et ses différentes variantes.
Parmi les critiques, celles axées sur la cosmétique du signe monétaire prend largement le dessus sur les fondamentaux que sont les conditions dans lesquelles les régimes de taux de change, fixe ou variable, sont mis en œuvre. En effet, un régime de taux de change fixe a des exigences de performance budgétaire plus élevées qu’un régime de change variable,de nature spéculative par essence et porteuse d’une fiscalité aveugle quand les cours de la monnaie nationale se dégradent et érodent le pouvoir d’achat. Par ailleurs, un régime de taux de change fixe, assorti de l’obligation de constitution de la totalité des réserves en devises dans la monnaie de référence, se métamorphose totalement quand l’obligation de constitution des réserves de change dans ladite monnaie de référence est levée au profit d’autres monnaies internationales. De même, un taux de change, fixe par rapport à une monnaie de référence dont le pays émetteur paie des compensations quand la monnaie de référence perd au change, comparée à un panier de devises convenu d’avance, n’est plus tout à fait du change fixe. Le modèle du franc CFA est riche de toutes ces subtilités prudentielles et fonctionnelles associables à la pratique du taux de change fixe.
Dans l’absolu, un régime de change fixe se gère et est loin du modèle figé, improductif et dépourvu de pertinence qui alimente les critiques malveillantes dont fait l’objet le franc CFA. Il est surtout sans commune mesure avec ce qui serviliserait les africains, doublement coupables, selon les influenceurs anti franc CFA : d’abord coupables de pratiquer du taux de change fixe entre eux-mêmes d’une part et d’autre part entre la France et eux, puis coupables de bénéficier d’une garantie de change de l’ancien colon en soutien à leur signe monétaire. En d’autres termes, aux émetteurs de franc CFA il est reproché de ne pas être en régime de taux de change variable comme les pays dont les monnaies sont dépourvues de mécanisme de garantie de change, inconvertibles, volatiles et incapables de protection des pouvoirs d’achat; ces récriminations leur sont faites sans justifier les raisons qui motiveraient une rupture des pertinentes conventions de garantie de convertibilité de leur signe monétaire, autres qu’un désamour de la présence politique française en Afrique.
En définitive, une monnaie indépendante et souveraine ne tient ni du symbolisme de sa dénomination, ni du pays où sont fabriqués, selon des métiers d’artisan, les billets de banque mis ensuite en circulation dans le public selon des métiers de banque centrale, ni du régime de change, fixe ou variable. Aucune monnaie ne saurait donc prétendre être indépendante et souveraine comme en rêvent certains activistes africains, des seuls faits de dénomination, d’appropriation des processus de fabrication ou d’impression de billets de banque et de régime de change : à moins qu’elle ne soit plus hégémonique que le dollar américain. L’indépendance et la souveraineté monétaires relèvent d’un sophisme de politicien, dont abusent les anti franc CFA pour manipuler l’opinion publique africaine non avertie. En dehors du dollar américain, de plus en plus remis en question, une monnaie indépendante et souveraine tient d’une chimère de non-initié.
2. Battre sa monnaie en solitaire ou en association avec un ou plusieurs autres pays : deux processus différents comme le jour et la nuit.
Battre sa monnaie comme le Ghana le fait avec le cedi ou le Nigéria avec le naira ou encore la Guinée-Conakry avec le franc guinéen est un jeu d’enfant pour un initié, comme fabriquer un bijou sur mesure l’est pour un bijoutier qualifié, sans que ceci ait quoi que ce soit à voir avec la situation de ces trois pays immensément riches et parmi les plus riches d’Afrique. La raison est dansle processus beaucoup plus facile à mettre en œuvre quand seulun pays est concerné : comme un bijou qui doit plaire et convenir à une seule personne et non à plusieurs à la fois.
Par contre, battre et gérer un signe monétaire qui doit plaire et convenir à plusieurs pays indépendants, avec parfois des décideurs despotes par-ci et semi-lettrés par-là, devient compliqué ou extrêmement compliqué selon le modèle de vivre ensemble monétaire envisagé dont le plus avant-gardiste est l’union monétaire dotée d’une seule banque centrale et d’une gouvernance indépendante des politiques. C’est en ceci que le cas du franc CFA est infiniment plus complexe qu’il ne parait. En outre, c’est ce qui explique que tous les pays qui, contrairement aux émetteurs de francs CFA, ne se sont rien vu proposer comme modèle de vivre ensemble monétaire par l’ancien colonisateur, ont tous leur monnaie. C’est le cas chez les anglophones, lusophones et hispanophones avec comme exemple le plus récent le Soudan du Sud, nouvellement indépendant du Soudan, qui asa Livre Sud-Soudanaise ; c’est loin d’être un choix du Soudan du Sud indépendant mais simplement l’absence d’alternative.
L’Angleterre, ancien pays esclavagiste et colonisateur par excellence, aurait proposé un vivre ensemble monétaire, à l’instar de la France avec la Zone Franc, que plusieurs de ses anciennes colonies africaines auraient « sauté dessus » semblablement à une aubaine.
En décolonisant, l’Angleterre a juste permis à ses anciennes colonies d’utiliser sa monnaie, la livre sterling, via la Livre de l’Afrique occidentale britannique (1907-1968) comme monnaie fiduciaire et rien d’autre : toutes les anciennes colonies ou assimilées vont s’y faire. Elles vont autoriser un cours légal et libératoire de la livre sterling chez elles, puis adopter la dénomination « livre » suivie du nom du pays pour la monnaie locale, comme les défuntes livre ghanéenne et livre nigériane, avant de trouver une autre dénomination, différente de la livre le cas échéant, pour leur monnaie nationale.
Les nouvelles monnaies post coloniales de l’espace anglophone sont demeurées malgré tout proches de la Livre Sterling, en dépit du fait que les autorités monétaires britanniques, à l’opposé des françaises avec le compte d’opérations auprès du trésor français, n’aient rien proposé de particulier pour les incontournables comptes d’opérations utilitaires que les pays voulant payer ou se faire payer en livre sterling font ouvrir par leur banque centrale, dans les livres de la Banque d’Angleterre, pour leurs transactions financières internationales. De nos jours encore, une demi-douzaine de pays politiquement indépendants ont la livre comme appellation de leur monnaie nationale. D’autres comme le Nigéria ou le Ghana l’ont abandonnée au profit respectivement du naira et du cedi.
Au final, sans contingence administrative ni formalisme de jure avec les monnaies de ses anciennes colonies africaines, comme seuls les français en ont eu le réflexe, les anglais se sont néanmoins et sans flonflon constitués une Zone Sterling de fait sous leur discrète mais efficiente influence. Leur Livre Sterling est une monnaie de réserve importante et parmi les premières dans le monde, tout particulièrement pour les pays du Commonwealth. Il y a quelques années, en panne de devises lui interdisant de passer commande à l’étranger, n’est-ce pas la Grande Bretagne qui a fourni plus de 800.000 doses de vaccin au Nigéria, émetteur du naira, pour faire face à une épidémie de méningite dans le nord du pays ? En langage monétaire, c’est ni plus ni moins du « Compte d’opérations » auprès de la Banque d’Angleterre et du clientélisme monétaire de cette dernière comme ne le critiquent jamais les anti franc CFA.
3. Les monnaies nationales au sud du Sahara, autres que le rand sud-africain et le franc CFA : des monnaies d’apparat.
La plupart des expériences de monnaies nationales en Afrique au sud du Sahara sont des échecs car elles sont incapables de préserver le pouvoir d’achat des populations ; en outre, elles encouragent vertement les trafics de devises, les surfacturations frauduleuses d’importation, les dénis de rapatriement de recettes d’exportations etc. et facilitent la corruption des Chefs d’État.
Les monnaies nationales inconvertibles sont pourtant présentées abusivement à l’opinion publique comme indépendantes et souveraines, et brandies en symboles républicains.
Les plus en vue comme le naira du Nigéria, le cedi du Ghana, le zaïre du Congo-Zaïre anciennement Franc congolais redevenu Franc congolais et le Kwanza angolais ont perdu, à l’instar du franc guinéen notamment et de bien d’autres, plusieurs fois leur valeur de lancement en raison de leurs cours de change souvent baissiers et leur aptitude à céder leurs fonctions d’intermédiaire des échanges, de réserve de valeur et d’unité de compte au dollar américain. Le Nigéria pétrolier avec son naira, l’Angola pétrolier avec son Kwanza et l’immensément riche République Démocratique du Congo (RDC) avec son zaïre puis franc congolais etc. sont associés aux plus gros scandales de corruption et de détournement de deniers publics en Afrique sub-saharienne par des Chefs d’État, en raison des performances délictuelles de leurs ex Chefs d’État respectifs Sani Abacha, Eduardo Dos Santos, Désiré Mobutu Sese Seko et Joseph Kabila Kabange fils de Laurent-Désiré Kabila parmi tant et tant d’autres délinquants dans les fonctions de Président de la République.
Gardés sous forme d’épargne, les revenus en cedi, naira, dalasi, franc guinéen, leone, dollar libérien, kwanza, franc congolais ou dollar zimbabwéen etc. s’émiettent pour cause d’hyperinflation. Les populations sont grugées via ce qui est communément appelé l’impôt des pauvres ou encore l’inflation récurrente et parfois brutale dans ces pays provoquée par un trop-plein de monnaie nationale, de surcroît de faible qualité dans ses trois fonctions que sont : intermédiaire des échanges (moyen de paiement), réserve de valeur (pour épargner) et unité de compte (pour tenir sa comptabilité et avoir une bonne et stable idée du patrimoine notamment).
Le Zimbabwe de Robert Mugabe et le Ghana des militaires putschistes de la décennie 1970 sont de véritables cas d’école de pays où les billets de banque émis par la « Banque Centrale nationale et souveraine » ne peuvent être gardés dans la perspective de transactions et a fortiori pour épargner, parce qu’ils auront perdu leur valeur de manière significative au moment de leur utilisation. Le Zimbabwe détient même le faiblement envié record de pays dont la monnaie est la plus faible au monde, conséquence de l’incurie et de la corruption de ses dirigeants : aujourd’hui, ce pays-visage de la décolonisation et du panafricanisme n’a plus de monnaie nationale. Totalement naufragé, le dollar zimbabwéen a disparu et a été remplacé par le dollar américain en 2009. Une véritable honte et un désastre monétaire pour l’Afrique soi-disant des libertés dont devraient méditer les anti franc CFA et anti français primaires.
Dans le domaine de la monnaie et des signes monétaires, l’Afrique est un continent où les dirigeants rusent et abusent de duplicité et ne font aucun effort pour vivre avec des monnaies nationales en poche et freiner les trafics de devises et blanchiment d’argent sale qu’autorisent les modèles en vogue de monnaie à cours légal et libératoire limité à l’espace national. Cependant, les Chefs d’État africains au sud du Sahara se réclament tous ou presque pro intégration économique et monétaire mais rament comme ils peuvent à contre-courant en cultivant une pseudo pertinence de leur monnaie nationale et de leur banque centrale. Presque tous vivent avec le dollar américain en poche, certains parmi les plus corrompus allant jusqu’à ignorer la couleur des billets émis par la banque centrale des pays qu’ils dirigent, conscients de la calamité que ces signes monétaires représentent pour le pouvoir d’achat ; un tel comportement ne surprend guère dans les pays à monnaie nationale inconvertible où la réglementation des changes est piétinée par ceux qui sont chargés de veiller à sa mise en œuvre dans l’intérêt général.
4. Contenir l’inflation et préserver le pouvoir d’achat : nouvel objectif des banques centrales modèles.
La capacité du pays émetteur d’un signe monétaire, via sa banque centrale, à financer directement ou indirectement les besoins du Trésor public (crédit au Gouvernement) et celledes banques commerciales en activité à mettre en place des crédits à l’économie et à recevoir des dépôts du publicsont des facteurs-clé de pertinence d’unemonnaie. Souvent galvaudées et travesties en slogans politiques et propagandes mensongères dans certains milieux populistes et universitaires, ce sont ces capacités qui symbolisent les notions et velléités d’indépendance et de souveraineté monétaires,; elles sont de nature et de portée endogènes et gérables, sur le marché intérieur, par les pouvoirs publics. Par contre, le marché des changes, cette impondérable donne exogène sur l’agenda des banques centrales, est une jungle de règles en faveur du plus fort ; nul ne saurait toutefois l’apprivoiser, en l’état actuel de la science monétaire, au seul profit de l’indépendance et de la souveraineté de sa monnaie.
Toutes les monnaies disposent de potentiels de pertinence : euro et franc CFA en tant que monnaies génériques et communautaires ou cedi, naira et franc guinéen etc. à cours légal et libératoire limité à l’espace national. Ce sont les mauvais usages de ces potentiels de pertinence dans les pays émetteurs qui entrainent le naufrage du pouvoir d’achat et corrélativement, l’élargissement de la précarité et de la pauvreté en prélude au désastre de l’économie. Le Zimbabwe du nationaliste despote Robert Mugabe, le Ghana des militaires putschistes des années 1970 et la Guinée-Conakry du dictateur-sanguinaire Ahmed Sékou Touré, tous des pays naufragés en leur époque, constituent trois cas typiques de ce à quoi conduisent les abus du financement monétaire de l’économie induits par des gouvernants inappropriés ou corrompus et une perfide interprétation de l’indépendance et de la souveraineté monétaires.
Dans les faits, c’est cette faculté à préserver le pouvoir d’achat qui détermine le degré d’indépendance et de souveraineté d’une monnaie. Au demeurant, elle peut être compromise par une interférence intempestive et nuisible des pouvoirs politiques dans la gestion de la banque centrale car ce sont de traditionnels demandeurs insatiables de financement monétaire du déficit budgétaire. Elle peut par ailleurs être compromise par l’inflation importée ou une dégradation continue des cours de la monnaie nationale sur le marché des changes ou des dérèglements dans le secteur réel interne. En tout état de cause, l’indépendance et la souveraineté monétaires ne sont donc pas le fait qu’une monnaie porte une dénomination cousue de symboles, ni même que les billets de banque qui en sont la représentation fiduciaire soient fabriqués sur place ou à l’étranger, ni le fait que tout étranger, venu de contrée proche ou lointaine en qualité de personne-ressource ou de partenaire, soit écarté pour causes de nationalisme et de confidentialité, au demeurant indue, de la définition, de la mise en œuvre et du contrôle de la politique monétaire.
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Le franc CFA, avant-gardiste dans son concept y compris de nos jours, a ses racines lesplus anciennes dans une époque coloniale révolue et les plus récentes dans des réformes structurantes majeures postindépendance des États-parties. C’est le symbole d’un assemblage réussi de plusieurs monnaies nationales réparties en deux groupes, respectivement en Afrique de l’ouest et en Afrique centrale, interagissant avec pertinence comme intermédiaire des échanges, réserve de valeur et unité de compte ; ce signe monétaire générique a renoncé à changer d’identité sonore après les indépendances, à l’instar des moyens de paiement historiques vertueusement popularisés à l’échelle internationale comme le peso, la livre, le franc, le dinar ou le dollar etc. Au fil des décennies, il n’a de cesse de connaitre des aggiornamentos permettant aux pays émetteurs de demeurer, en Afrique et dans le monde, des champions du vivre ensemble monétaire et solidaire et d’obtenir des résultats probants à tout le moins dans la préservation du pouvoir d’achat.
Vilévo DÉVO, 06 octobre 2022
* L’opinion de l’auteur ne saurait refléter, ni de près ni de loin, la position de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest où il a servi pendant 25 ans avant d’être à son propre compte comme Consultant depuis plus de 15 ans.
Un commentaire
Chers Debo, il faut savoir qu’il n’y a aucune justification pour l’aliénation d’un pays à un autre à travers l’élément principal de l’économie qu’est la monnaie. Vous êtes en train d’expliquer qu’il est plus simple pour un esclave de rester chez son maître pour bénéficier des repas et autres chocolats gratuits, mais sachez que les Hommes de valeur préfèrent la liberté et l’autonomie et font les efforts qui vont avec. Votre posture de facilité sous une monnaie appartenant au trésor français relève de la paresse intellectuelle et du manque d’estime de soi. Comme vous le dites, si des pays anglophones ont leurs monnaies, les autres pays francophones peuvent également avoir les leurs. J’ai parcouru plusieurs pays d’Afrique qui ont leur monnaies et ils sont loin d’avoir le potentiel économique des pays comme la côte d’Ivoire ou le Cameroun ou le Mali. Rien de sérieux ne peut Justifier la location de la monnaie dans ces pays.