Par Seck El Hadji Abdoulaye, économiste chercheur au département des sciences économiques et administratives de l’Université du Québec à Chicoutimi.
L’actualité sénégalaise a été alimentée ces jours-ci par la décision du député Guy Marius Sagna de ne pas prendre ses bons d’essence chez TOTAL et SHELL. Au moment où certains applaudissent cet acte, d’autres remettent le débat sur l’actionnariat de TOTAL. Selon eux, rejeter TOTAL c’est priver de dividendes à des milliers de sénégalais. Pour mieux aborder ce sujet, il est important de préciser deux points relatifs à TOTAL Sénégal.
1/ TOTAL Sénégal est une filiale du groupe français TOTAL. On parle de filiale lorsqu’une société (Groupe TOTAL) possède plus de la moitié du capital d’une autre société (TOTAL Sénégal).
2/ Les milliers d’actionnaires sénégalais évoqués semblent être moindres si nous raisonnons en termes relatifs. Suivant la fiche société de Sika Finance, les actions de TOTAL Sénégal sont détenues à 69,1% par le groupe TOTAL. En détails, il s’agit de TOTAL Africa Ltd (46%) et de TOTAL Outre-mer (23,1%). La première est une société immatriculée au Royaume-Uni sous le numéro 546167 et la seconde une société de droit français enregistrée 542038716. Dès lors, les investisseurs de nationalités sénégalaises et autres ne possèdent que le capital flottant (30,9%).
En réalité, l’intervention du député Guy Marius Sagna doit plus interpeller l’Etat du Sénégal en ce qui concerne la législation de la préférence nationale. Nous admettons que des efforts sont en train d’être consentis particulièrement avec la loi 2019-04 du 01 février 2019 relative au contenu local. Cette loi impose à toute entreprise désirant profiter de l’exploitation du pétrole et du gaz, de s’approvisionner, dans la mesure du possible, en biens et services sénégalais et d’ouvrir son capital aux investisseurs sénégalais avec des minimums de 51% selon les catégories. Ces dispositions permettront de remédier à la domination financière de certaines sociétés de droits sénégalais. En revanche, cette loi doit être revue et élargie à d’autres secteurs stratégiques.
Au-delà du secteur privé, l’administration publique doit créer un cadre législatif susceptible de pousser ses différentes composantes à acheter sénégalais à travers la commande publique. Une telle initiative permettrait de promouvoir surtout les PME qui constituent 99,8% des entreprises sénégalaises selon les RGE de l’ANSD en 2017.
Dans ce sens, le Québec a tiré des leçons de la pandémie de la Covid-19 en adoptant le 25 mai 2022 le projet de loi 12. Ce dernier est une loi destinée à l’achat québécois et qui ordonne les organismes publics, lors de l’attribution d’un contrat, de PRIVILÉGIER l’acquisition de biens et services ou de travaux de construction québécois auprès des entreprises de la région concernée par l’acquisition.
Somme toute, l’appropriation du «consommer local» par les populations passera d’abord par l’institutionnalisation de ce slogan dans l’administration publique sénégalaise. Parler de cette dernière, c’est évoquer l’importance des procédures. De ce fait, les acteurs du secteur privé devront être accompagnés administrativement et financièrement pour qu’ils puissent répondre aux exigences du code des marchés publics.