Entretien avec Stefan Maré.
Au Burkina Faso , la mine de Karma est quasiment à l’arrêt, minée par des attaques terroristes répétitives qui ont fait des victimes et, surtout, des conflits entre actionnaires de la Holding qui détient la majorité des actions de la société minière. C’est ce dernier point qui explique l’éviction depuis août dernier de Stefan Maré, alors directeur général adjoint de la holding par le conseil d’administration. Actionnaire à hauteur de 22% de Néré Mining, la holding qui a racheté Riverstone Karma, M Maré n’entend pas céder face à «des manœuvre. Nous précisons que les parties citées dans cet entretien, notamment, Elie Justin Ouédraogo et Grégory Quérel, n’ont pas fait suite à nos sollicitations.
Il y a 6 mois, le monde de l’industrie minière célébrait le rachat de la mine de Karma avec cette exclamation: enfin, une mine contrôlée majoritairement par un actionnariat local.
En effet, en mars dernier, notre holding Néré Mining rachetait Riverstone Karma SA pour 25 millions de dollars. Cette acquisition a effectivement suscité un espoir non seulement pour les burkinabè mais aussi pour les africains en ce sens qu’elle consacrait la prise de contrôle d’une société minière locale par des investisseurs locaux notamment burkinabè.
Je suis à cet égard heureux de partager le sentiment de joie et de fierté qui m’a animé à l’époque. En effet, ancien enfant de troupe du Prytanée Militaire du Kadiogo (PMK), j’ai eu l’opportunité de faire mon chemin dans le privé en fondant et développant des sociétés notamment dans les domaines des NTIC, de la logistique, etc. L’idéal qui m’a toujours guidé est d’apporter ma pierre au développement de l’Afrique.
Dans ce cadre, le projet Néré Mining était une aubaine pour moi car il devait me permettre d’investir dans l’industrie minière burkinabè, de créer des emplois et de contribuer au développement économique du Burkina Faso notamment par le paiement des diverses taxes et impôts miniers. J’étais d’autant plus enthousiaste pour participer à ce projet qu’il était porté par un aîné que je considère toujours comme un papa à savoir Monsieur Elie Justin Ouédraogo qui avait en outre l’avantage de bénéficier d’une forte expérience dans le domaine minier du Burkina en qualité d’ancien Ministre chargé des mines et d’ancien Président de la chambre des mines du Burkina. Avec Elie Justin Ouédraogo, nous avons été approché par Grégory Quérel pour participer à l’aventure Néré Mining en souscrivant au capital social de la société. Il s’agissait d’une révolution dans l’industrie minière locale.
C’est la première fois qu’une mine industrielle est détenue majoritairement par des nationaux. Je considère que les hommes d’affaires africains doivent s’approprier de leurs ressources et c’est cette idée qui m’a conduit à tenter l’aventure. Mais hélas, j’ai rapidement déchanté au regard des divergences apparues avec mes ainés notamment Grégory Quérel.
Qu’est ce qui s’est passé pour que vous soyez révoqué de votre poste de directeur général adjoint ?
J’ai dénoncé des pratiques comptables et demandé l’arrêt de l’ingérence des administrateurs de la Holding (Néré Mining) dans la gestion de la mine ( Riverstone Karma) qui a un directeur général et un personnel. Nos bisbilles sont parties de là.
Au titre des pratiques qui n’étaient pas conformes à l’orthodoxie comptable, j’ai réclamé avec insistance le rapatriement des plusieurs millions de dollars dus à Néré Holding lors du rachat de la société Riverstone Karma. En effet, conformément au contrat d’achat de la société Riverstone Karma, une partie du prix d’achat de la société minière qui devait être rétrocédée aux acheteurs par le vendeur en vertu d’une clause d’ajustement de prix, soit un montant de 2,2 millions de dollars, n’a toujours pas été rétrocédée à la société Riverstone Karma. Cela est dû au fait que suite à un accord entre actionnaires, l’argent a été viré provisoirement en faveur de la société One Continental Investment, détenue par Gregory Querel et basée à Maurice. Celui-ci devait reverser les fonds mais à ce jour il multiplie les prétextes et évoque des dépenses non justifiées pour ne pas s’exécuter. Ces sommes devaient nous permettre d’investir dans la sécurité de la mine. Pendant ce temps, les dettes de l’entreprise s’accumulent. De plus, les fournisseurs ne sont pas payés et, faute de moyens, la mine ne peut plus poursuivre ses opérations.
Pourquoi avez-vous accepté de faire virer les ressources dues à Néré dans les comptes de One Continental Invest ?
Mes associés m’ont demandé à titre provisoire et en attendant des clarifications sur le régime fiscal de l’opération, d’accepter le transfert des fonds soit la somme de 2,2 millions de dollars en faveur du compte de la société One Continent Investment qui est un actionnaire de Néré Mining appartenant à Monsieur Grégory Quérel. Cette société devait rétrocéder les fonds à Néré Mining lorsque les informations attendues seraient disponibles. Mais à ce jour, elle ne l’a pas fait et sans être excessif, l’on pourrait considérer cela comme un abus de biens sociaux de la part de l’actionnaire pour ne pas qualifier cet acte d’escroquerie. En tout état de cause, Néré Mining entend faire valoir ses droits relatifs et ses avocats y travaillent ardemment.
Quelle est la position des différents actionnaires par rapport à ces faits ?
J’avoue que je suis perplexe. Autant je ne comprend pas les motivations de Gregory Querel qui maintient l’argent dû à la mine dans sa propre holding logée dans un paradis fiscal, autant je ne m’explique pas l’attitude de mon compatriote Elie Justin Ouédraogo qui devait défendre bec et ongles les intérêts de la mine de Karma.
Vous êtes donc confrontés à un conflit entre actionnaires et à des menaces d’attaques terroristes ?
La mine fonctionne aujourd’hui au ralenti. Nous avons perdu la majorité de nos fournisseurs et sous-traitants. Une partie du personnel est en chômage technique ou relocalisée dans la ville voisine de Ouahigouya à 17 km du site des opérations.
Mais les autres actionnaires vous ont revoqué de toutes vos fonctions au sein de la Holding ?
En effet, j’ai été révoqué de manière brutale et vexatoire de mon mandat social de directeur général adjoint au motif que je n’aurais pas anticipé les attaques terroristes dont la mine de Karma est victime. Vous imaginez ? Au même moment, mon directeur général Grégory Quérel qui est le patron de la société est toujours en place.
Dans la même dynamique, mon contrat de travail de Directeur général adjoint a été résilié de manière sauvage sans égard aux conditions de forme et fond prescrites par le code du travail pour protéger le travailleur burkinabè. Du reste, mes avocats sont saisis de la question et vont faire valoir mes droits devant les instances compétentes.
Dans ces conditions, quelle est, d’après vous, la situation comptable de la société ?
Notre résultat est déficitaire, le malaise grandit au sein du personnel et l’on assiste à une vague de démissions et de licenciements. Mon objectif est de sauver les emplois locaux ( Karma emploie quelque 600 collaborateurs et un millier d’emplois indirects). Alors que les départs se multiplient à Karma, Elie Justin Ouédraogo, devenu PDG de Néré Mining, continue à nommer des proches à des postes de responsabilité au sein de la mine. A titre d’exemple, son fils cumule les postes de responsable des affaires administratives, de responsable des achats et de directeur des relations communautaires. Dans un tel climat, le directeur administratif et financier de la holding a démissionné, celui de Riverstone Karma a aussi jeté l’éponge deux mois après le rachat ainsi que le responsable des achats. Le métallurgiste et des géologues ont quitté le navire.
Tout le monde n’est pas prêt à cautionner ce qui se passe au sein de la mine.
Malgré toutes ces difficultés, vous vous imaginez que le nouveau directeur général adjoint, Grégory Quérel, essaie depuis Paris, de diriger une société basée au Burkina Faso. Ce qui est impensable et inimaginable ailleurs !
Comment voyez-vous l’avenir de la mine ?
Karma a besoin d’être consolidé et renforcé. Elle est un bouclier et un rempart pour la ville de Ouahigouya contre l’infiltration des groupes armés. Nous avions des atouts pour bâtir le socle sur lequel s’élèvera l’industrie minière burkinabé. Malheureusement, les règles élémentaires de gestion sont ignorées. Toutes formes d’ingérence doit cesser afin de laisser le talent des employés s’exprimer.
Une mine repose avant tout sur ses travailleurs qui forment sa communauté.
Karma ne saurait être un deal de plus ou une entreprise familiale, encore moins la propriété d’une personne. Karma est une mine nationale qui a de grandes ambitions.
Karma fait vivre plus d’un millier de personnes. Karma est la seule industrie de la région du Nord, éprouvée par les conséquences de l’insécurité. Nous n’avons donc pas le droit d’assister impuissant à sa fermeture. Si rien n’est fait, je redoute un drame social comme à Poura (Ndlr : première mine du pays fermée dans les années 90 pour mauvaise gestion). J’en appelle à l’implication de l’Etat au regard des risques élevés de pertes d’emplois d’autant que notre site est aux portes des zones contrôlées par les groupes armés.
La gestion d’une mine doit être transparente. La holding a un contrat d’assistance technique avec la mine mais ne devrait nullement s’immiscer dans sa gestion au quotidien. C’est l’autre point de clivage avec mes partenaires. Nous devons maintenant tout mettre en œuvre pour respecter nos engagements vis-à-vis de nos bailleurs et de l’ensemble de nos partenaires pour retrouver notre crédibilité et sauver la mine, les milliers d’employés et participer au développement local des localités impactées par la mine qui comptent énormément sur nous.