«On a l’impression que l’Administration aborde systématiquement les questions fiscales dans une logique de jeu à somme nulle »
Le gouvernement ivoirien a adopté en conseil des ministres le 12 octobre 2022 un projet de budget d’une enveloppe globale de plus de 13 000 milliards de FCFA pour l’année 2023. L’annexe fiscale soutenant ce niveau de ressources met l’accent sur l’accroissement de la pression fiscale. Nous avons interrogé Louis S. AMEDE, directeur général de la Fédération nationale des industries et services de Côte d’Ivoire (FNISCI) qui nous expose l’analyse du secteur industriel dudit projet.
Le gouvernement ivoirien a apporté, la semaine dernière, la touche finale à son projet d’annexe fiscale à la loi de finance 2023. Quelle appréciation générale en font la FNISCI et ses entreprises ?
Une chose est certaine l’inclinaison de la politique fiscale ivoirienne, depuis la loi de finances 2021, est d’accroître les recettes fiscales par le renforcement de la pression fiscale qui, mathématiquement ou théoriquement, serait largement en deçà de la norme communautaire d’au moins 20% du produit intérieur brut (Pib). L’annexe fiscale 2023, pour ce que nous en savons depuis la semaine passée, ne s’écarte pas de cette ligne directrice. La note de cadrage du projet d’annexe fiscale signée du Ministre en charge du Budget, -et largement diffusé au secteur privé lors de sa sollicitation par la Direction Générale des Impôts pour lui faire ses propositions de nouvelles mesures fiscales-, était on ne peut plus claire sur cette orientation. Le moins qui puisse donc être attendu du projet d’annexe fiscale à la loi de finances pour la gestion 2023, au terme du processus en cours de son adoption, est qu’il épouse bien les contours de la note de cadrage.
Cette perspective sied elle au secteur industriel ? Vu que la note de cadrage du projet d’annexe fiscale que vous citez, arrête que la priorité soit accordée à la mobilisation des ressources intérieures ?
Bien évidemment que cette focalisation sur l’accroissement des ressources budgétaire par le renforcement de la pression fiscale n’est pas sans interloquer ! La question que se pose le secteur privé dans son ensemble, et singulièrement les acteurs de l’Industrie, c’est si améliorer tous azimuts la mobilisation des recettes fiscales suffit pour permettre à la Côte d’Ivoire d’atteindre le triple objectif de son plan quinquennal de développement 2021-2025 de : développer l’industrie nationale pour en faire un des piliers de la croissance ; assurer une meilleure productivité des facteurs et renforcer la gouvernance afin de soutenir le secteur privé ? Bien sûr que non ! Mais tout se passe comme si l’objectif, légitime et justifié du reste, d’améliorer la performance du dispositif fiscal national n’est, malheureusement, appréhendé que sous l’angle de l’accroissement des recettes intérieures avec pour corollaire l’occultation de l’autre pendant, tout aussi essentiel, qu’est l’incitation du tissu productif à l’investissement qui emporte l’adoption de mesures fiscales structurantes !
Est-ce à dire que le projet d’annexe fiscale pour 2023 n’est pas généreux en mesures incitatives à l’investissement ?
Je dirai plutôt pauvre en mesures structurantes ! Le projet d’annexe fiscale n’étant pas totalement dépourvu de mesures de soutien au secteur privé. C’est, par exemple, le cas de la disposition qui ramène de 100 millions de FCFA à 25 millions de FCFA pour les PME le montant minimum de leurs bénéfices à réinvestir en Côte d’Ivoire pour bénéficier d’une réduction de l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux ; ou, même, de la mesure d’ajustement de 10% à 4% du taux des droits d’enregistrement applicables aux mutations de propriété à titre onéreux de fonds de commerce ou de clientèle. Au passage il s’agit de mesures proposées par la FNISCI qui, au cours des quatre derniers exercices, est parvenue, à faire passer chaque année une moyenne de 3 à 4 dispositions dans l’annexe fiscale. Cette précision pour dire que notre perspective sur le paquet de mesures fiscales envisagées pour la gestion 2023 n’est donc pas circonstancielle.
De quels ordres seraient alors les faiblesses du projet d’annexe fiscale pour l’année 2023 du point de vue du secteur privé ?
La perspective de la FNISCI y afférente est plutôt structurelle. Tenant de la nécessaire cohérence permanente que la politique fiscale gagnerait à avoir avec les principaux objectifs stratégiques de développement du pays, traduit par le gouvernement lui-même, chaque cinq ans, au travers des programmes nationaux de développement (PND). Juste parce que la Côte d’Ivoire, au regard de ses ambitions économiques légitimes, est confrontée à un double défi : maintenir une dynamique économique forte, durable et inclusive tout en garantissant un niveau suffisant de recettes publiques. Ainsi, de l’analyse de la FNISCI, cette réalité doit structurer la politique fiscale. Cela ne nous paraît vraiment pas le cas. On a plutôt l’impression que l’Administration aborde systématiquement les questions fiscales dans une logique de jeu à somme nulle !
En tout cas, certains indices portent à croire que le secteur privé ivoirien dans son ensemble n’est pas très satisfait de la cuvée fiscale 2023.
Le problème ne se pose pas en ces termes, en général ! Et d’autant moins, en ce qui concerne le projet d’annexe fiscale 2023, que d’une part, les pouvoirs publics avaient pris la précaution de nous faire passer le message, au moment où ils nous faisaient transmettre la note de cadrage, que toutes les mesures proposées qui sortiraient du périmètre tracé par ladite note seront purement et simplement écartées. D’autre part, il est à souligner que, globalement, les dispositions retenues dans le projet d’annexe fiscale pour la gestion 2023 concordent parfaitement avec les axes et orientations de la note de cadrage. L’enjeu fiscal, pour la FNISCI n’est donc pas en termes de gains ou pertes pour les uns ou les autres, mais plutôt d’efficacité, d’efficience et de durabilité de la fiscalité. Et dans cette logique, préoccupant est pour nous, que le projet d’annexe fiscale 2023 soit dépourvu de mesures qui pourraient booster les investissements en R&D, en biens d’équipement, en machines et technologies, en acquisition de brevets et licences ; stimuler la coopération interentreprises dans la double optique de développement de pôles de compétitivité et d’une économie circulaire ; ou encourager la digitalisation des entreprises en cohérence avec les efforts en cours au niveau de l’Administration de digitalisation des procédures…
Faudrait-il s’attendre à ce que, comme en 2018, le secteur privé soit vent debout contre le projet d’annexe fiscale 2023 ?
Très honnêtement, personne n’y serait gagnant ! En novembre 2020, pour justifier la politique budgétaire pour l’année 2021 qui renforçait les charges fiscales supportées par les entreprises dans le but de compenser les effets négatifs de la pandémie de la Covid-19 sur les finances publiques, le gouvernement avait argué de l’impérieuse nécessité, convenue avec le FMI, que le pays amorça une trajectoire budgétaire qui ramènerait son déficit budgétaire, alors estimé à plus de 5,4% du PIB à fin 2020, dans les clous de la référence communautaire de 3% du PIB en 2023, après une réduction autour de 4% du PIB en 2022. Or, d’après le communiqué du conseil des ministres du mercredi 12 octobre 2022, relativement au projet de budget de l’Etat pour l’année 2023, et je cite : « l’orientation budgétaire de l’exercice 2023 s’inscrit dans une perspective de consolidation budgétaire avec une réduction du déficit projeté à 6% à fin 2022, à 4,8% du PIB en 2023 ».
Et alors ?
Et alors, si on s’en tient à cette information officielle, le déficit budgétaire, sur les années 2021 et 2022, n’est pas aligné, avec la tendance baissière souhaitée. Cet état de fait suggère, en toute honnêteté, qu’améliorer la performance générale du système fiscal ivoirien est une exigence objective ! La FNISCI et ses entreprises membres appellent juste à ce qu’en la matière, les dispositions des annexes fiscales de la période 2021-2025 concourent à faciliter l’application des règles fiscales et à améliorer le respect par les entreprises des obligations afin que l’Administration perçoive les recettes fiscales nécessaires sans faire peser des charges supplémentaires et parfois superfétatoires sur les entreprises du secteur formel. Évidemment que cette inclinaison de la politique fiscale suggérerait que la part belle soit faite aux mesures structurantes. Seulement ces dernières ont le défaut de faire dépendre l’accroissement effectif des recettes fiscales de l’augmentation attendue de l’activité économique du fait de leur capitalisation. Et la pratique attestant de ce que les entreprises ne montrent pas beaucoup d’hardiesse pour tirer le meilleur parti des dispositions accommodantes déjà existantes dans la législation fiscale ivoirienne, les pouvoirs publics ne montrent pas non plus un réel entrain à un enrichissement continue du dispositif. Malheureusement !