La guerre russo-ukrainienne a fini de transformer l’inflation artificielle et conjoncturelle liée à une reprise économique désordonnée post-coronavirus en une inflation structurelle. Cette dernière renchérit les prix des matières premières, ceux à la consommation et réduit drastiquement le pouvoir d’achat des populations. Elle conduit le monde, et l’Afrique en particulier, à devoir faire face à la vie chère.
Les Etats, principalement par des mesures comptables et de détaxation, essayent de contenir les effets de la hausse des prix des principaux produits et services de bases Mais cette hausse est sans commune mesure avec toutes les hausses précédentes enregistrées depuis 1961 notamment pour le prix des aliments selon l’Indice des prix alimentaires de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Or, en 2007, elle avait conduit à des « émeutes de la faim » au Sénégal.
Au mois d’août dernier à Freetown, des manifestations contre la vie chère ont déjà tourné à l’émeute. Une dizaine de personnes y ont trouvé la mort. L’Afrique, dont le dernier faire-part de décès présumé ne date que du début de la crise Covid-19, est donc de nouveau citée dans les pires scenarii. Certes, le pire n’est jamais sûr, mais sa seule perspective doit nous conduire à une vigoureuse réaction. En effet, l’opportunité est l’autre facette de la menace.
Or, si elles sont bien de véritables défis, les réponses à l’inflation structurelle sont l’opportunité pour l’Afrique de faire du secteur privé le cœur d’une nouvelle trajectoire de croissance forte, inclusive et durable. Une croissance qui soit porteuse de davantage de création de richesses et d’emplois. Au Sénégal, par exemple, le taux de croissance a été d’une moyenne supérieure à 6% entre 2014 et 2019 à la faveur des investissements publics prévus dans le Plan Sénégal Emergent. Cette moyenne ne doit rien au hasard, elle est inédite depuis 50 ans sur une telle période.
Le retour à un tel niveau de croissance est un impératif pour relever le défi d’une création d’emplois qui dépassent le nombre de nouveaux actifs, plus de 200 000, rentrant chaque année sur le marché de l’emploi. Or, l’emploi salarié productif privé constitue la principale réserve et la voie d’issue incontournable pour absorber cette nouvelle demande. Il constitue moins de 200 000 personnes sur les 350 000 emplois salariés au Sénégal, d’après le recensement général des entreprises effectué en 2017.
A cet égard, une étude récente de la Banque Mondiale, sur les sources de croissance liées à l’économie numérique, révèle la capacité du Sénégal de créer plus de 300 000 emplois décents chaque année, 427 000 en 2030 et jusqu’à 500 000 d’ici 2050, à la condition d’adopter des réformes radicales axées sur les incitations pour relancer l’économie après la crise COVID-19, notamment en remplaçant « structures et incitations existantes par une approche axée sur l’esprit d’entrepreneuriat et de la productivité. »
La crise COVID19, dans une douleur déjà indescriptible pour les entreprises, avait contraint plus d’un quart des entreprises à adopter des technologies numériques pour s’adapter et survivre. Les entreprises optent ainsi, à marche forcée, vers cette indispensable conversion vers un secteur productif plus moderne et compétitif. Le déclencheur s’est révélée être la nécessité de s’adapter pour survivre. Les subventions de contrepartie mise en œuvre par les pouvoirs publics pour accéder à cette modernisation ont alors démontré toute leur pertinence.
Aujourd’hui la réponse structurelle à la « vie chère » se situe à trois niveaux : énergétique, transport/ stockage/ logistique et productif. Je n’évoquerai que le dernier niveau qui a trait à l’envolée des prix des céréales et des oléagineux et tient principalement au niveau trop élevé de nos importations. La consommation moyenne par tête en céréales de base (riz, mail, maïs, sorgho) est de 119,3 kg par an. La consommation de riz prédomine avec une part de 59% en zones rurales et 77% en milieux urbains alors que le mil et les maïs occupent respectivement 28% et 11% en zones rurales contre respectivement 19% et 5% en milieux urbains.
La réforme radicale à ce niveau est connue de tous, « consommer ce que nous produisons, mais surtout produire ce que nous consommons ». Car, comme le disait Joseph Ki Zerbo « celui qui dort sur la natte d’autrui, dort par terre ». L’heure de dormir sur notre propre natte est venue, cela ne se fera pas sans douleur comme pour les premiers pas de modernisation de notre secteur productif. La vie chère nous impose littéralement ce changement radical, elle doit permettre à nos acteurs de la chaine de valeur céréales locales de produire et transformer dans un premier temps les 20 à 30% de céréales locales a incorporé à la farine de blé importé pour la production du pain. Les incitations complémentaires aux acteurs doivent faire passer à l’échelle les expériences ici et là qui démontre que c’est possible, souhaité, souhaitable et indispensable.
Au total, il y a tout lieu de se féliciter, en le constatant, que le Gouvernement du Sénégal (mais aussi d’autres gouvernements francophones subsahariens) poursuit le passage à l’échelle de notre économie. Le budget projeté de l’Etat pour 2023 l’illustre bien : il est à 6400 milliards de FCFA. Nous entrons d’ailleurs en cette année 2023 à venir, dans l’ère de la production concrète des premiers barils de pétrole et du gaz sénégalais. La vie chère ? Oui, ce n’est pas faux, mais on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise. Travaillons à faire advenir cette belle surprise, d’une vie chère jugulée et rapidement terrassée, dans le concours entre acteurs publics et secteur privé.