Par Ousmane DIENG, Economiste & Financier, également professionnel de la Stratégie, de l’Organisation et du Contrôle.
Jadis, le prix Nobel d’économie, Milton Friedman affirma que l’inflation serait exclusivement une cause monétaire. Toutefois, l’on observe, d’une part, sous la menace de conflits armés récurrents, pouvant déboucher à l’usage d’armes nucléaires et d’autre part, des dérèglements périodiques des chaines mondiales d’approvisionnement de biens et services et à travers notamment la fonction logistique (entrant et sortant), indispensable au commerce international et aux transactions financières ; devrions-nous, nous entêter dans l’affirmation selon laquelle, l’inflation est un phénomène exclusivement monétaire. Voici un parfait exemple d’une « vérité » devenue obsolète, mais qui a prévalu durant l’ère de la « préhistoire » sur l’échelle de la pensée économique d’avant la révolution de Steve Jobs (c’est-à-dire celle de l’accès à l’information). Attention à l’intrus (l’inflation) et par conséquent l’instabilité financière. Combattons-le et quoi qu’il en coûte (un remède de cheval).
Ainsi, pour juguler l’inflation, il faudra baisser les rideaux des commerçants, à défaut, d’éconduire les clients. Ah ! Ces « maudits clients » ont suffisamment de liquidité (du cash) et ils achètent à tour de bras. Par conséquent, il faut nécessairement renchérir le loyer de l’argent à travers le relèvement des taux directeurs des Banques Centrales à l’échelle des pays et des Communautés économiques et monétaires.
Dans quel monde sommes-nous ? Peut-être en Ukraine ?! Je ne pense pas, qu’en ce moment, ces malheureux Ukrainiens se promènent devant des commerces encore en activité avec des sacs remplis de billets de banques ou de cartes bancaires fortement créditrices pour exprimer une demande de biens et de services ou de produits financiers à travers les plateformes connectées des marchés boursiers de Londres, de New York, de Dubai, de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) et d’ailleurs.
Admettons que l’inflation soit un phénomène exclusivement monétaire. Il y a un excédent de la demande par rapport à l’offre sur le marché des biens et services et par conséquent sur la demande de monnaie à travers la masse monétaire en circulation. Il est probable que les ménages préfèrent consommer plutôt que d’épargner les unités monétaires dont ils disposent. Les entreprises à leur tour, préfèrent parier sur la hausse des prix pour ajuster l’offre à la demande au lieu d’investir pour augmenter des quantités de biens et services pour ajuster la demande. Du moins, à court terme, cette option serait la plus « raisonnable » en absence de stocks disponibles. Au temps pour moi, le stock est un investissement à financer. C’est une composante du Besoin en Fonds de Roulement. Pas d’inquiétude, nous devons produire les biens à flux tendu (juste-à-temps) avec des délais de livraison-clients relativement moyen, à défaut d’être long. La logistique sortante est extrêmement performante et par conséquent, nous n’avons pas de soucis majeurs à nous accommoder de circuits de distribution relativement longs et de sites de production éloignés de notre marché (nos clients).
C’est la globalisation, le mot magique et tendance. L’essentiel des stratégies pays et des entreprises ainsi que celles de la libre circulation des capitaux ont été établies sur la base de ce postulat magique, sans limite et sans fin. Levons des fonds en devises sur les marchés internationaux (le capital) tout en mettant des restrictions sur la libre circulation du travail. En Afrique, le succès d’une telle levée de fonds est perçu comme un trophée de guerre par les Ministres de l’Economie et des Finances. En effet, le mirage du taux d’intérêt relativement bas, libellé en devise de la dette extérieure est un gage d’une bonne notation financière. Cette notation en devise et en monnaie locale mesure notre capacité à honorer nos engagements vis-à-vis des créanciers.
Nous avons presque atteint le fond d’un naufrage collectif et des limites tangibles de nos modèles économiques. Les achats à termes de matières premières y compris l’énergie n’ont pas permis de mitiger le coût financier additionnel et économique d’une perturbation des chaines d’approvisionnement. Dans certains pays de référence, on parle d’un plafonnement du profit des pétroliers et d’un probable retour des lampes tempête. Nous voici dans une inflation galopante, à deux chiffres.
Par conséquent, il s’opère un arbitrage entre le court terme et le moyen-long terme dans le prisme de l’analyse de la politique monétaire. Ces « maudits ménages » ont assez de cash qu’ils ont ramassé via une injection monétaire sans contrepartie en production de biens et services par les autres agents économiques. Ce revenu magique est obtenu en l’absence d’un travail fourni. Dès lors, il va falloir réduire drastiquement la masse monétaire en circulation, en optant pour le renchérissement du loyer de l’argent (taux d’intérêts) et par conséquent limiter le crédit pour financer l’investissement et la consommation (crève-la-faim).
Voici en résumé, la limite des modèles économiques et monétaires qui ont prévalu avant la révolution de Steve Jobs à travers l’accès à l’information. Pendant qu’on y est, retournons au troc et explorons les vieilles recettes des grands-mères, peut-être que nous trouverons de quoi sauver notre pouvoir d’achat ? Et l’Afrique dans cette irrationalité ? Pas d’inquiétude, on suit les précurseurs. On applique de manière drastique cette vieille recette devenue obsolète et inadaptée à nos réalités. Pour preuve, les taux d’intérêts libellés en monnaie locale ont, de tout le temps, été excessifs dans nos économies. Est-ce pour autant que l’investissement a été le plus important sur le Continent qu’ailleurs à travers le Monde ?
Qui d’entre nous en Afrique, a reçu de l’argent magique sans contrepartie d’un travail fourni et en dehors du mécanisme de redistribution à l’échelle sociale. Peut-être que c’est le cas à travers l’aide au développement ? Qui en Afrique se rue vers le commerçant du coin pour augmenter sa demande de biens et services ? Peut-être, la classe moyenne, si elle existe ou si elle a atteint une masse critique. Bien entendu, nous parlons du travail légal qu’exerce la majorité des ménages sur le Continent.
Les innovations technologiques réduisent l’espace-temps à l’échelle de la pensée économique
Les innovations dans les Technologies de l’Information et de la Communication ont mis au rebut, l’essentiel des certitudes et des incertitudes qui ont alimenté l’histoire de la pensée économique, depuis Adam Smith jusqu’à Steve Jobs (l’accès à l’information). Au mieux, ces courants de pensées sont devenus l’ombre d’eux-mêmes. La preuve, l’économie est en passe de faire imploser l’Union Européenne (UE). Après le Brexit, le spectre d’une sortie de l’Allemagne de cet espace économique et monétaire semble être une hypothèse probable. On nous parle dans un langage diplomatique de brouille dans le couple Franco-allemand. La locomotive de l’UE serait en panne d’énergie.
La Grande-Bretagne, malgré le Brexit, s’enlise dans des mandats extrêmement volatiles et valse d’un gouvernement à un autre. Le mandat le plus court d’un gouvernement a été de 42 jours. L’économie est passée par-là. Le Fonds Monétaire International (FMI) se tourne davantage vers d’autres pays que l’Afrique pour tirer sa sonnette d’alarme. Semble-t-il, nous observons un nouveau phénomène de contagion des mauvais élèves. Le Ghana qui avait craché dans la soupe du FMI est contraint de lancer un signal de détresse, un SOS, au risque de connaitre une faillite et de plonger dans cycle d’instabilité politique que nous redoutons tant dans l’Espace Economique et Monétaire Ouest Africain (CEDEAO). Que pouvons-nous faire dans l’espace CEDEAO pour tendre la main à ce pays frère qu’est le Ghana ? Ou bien, c’est le sauve qui peut ? C’est du moins, le ressenti que nous éprouvons à l’égard de ce pays, l’un des piliers de l’intégration sous régionale. A qui la faute ? Certainement, à l’inflation !
Et pourtant, le Ghana semble-t-il, a une souveraineté monétaire contrairement aux pays ayant en partage la monnaie « coloniale », qu’est le Franc CFA. Une certitude, il y’a quelque chose qui ne tourne pas rond dans la façon dont nous concevons et nous articulons notre pensée économique et particulièrement pour l’Afrique.
Au-delà du drame que nous observons dans les conflits armés à travers le Monde, c’est l’Ukraine semble-t-il qui a bon dos. C’est la guerre en Ukraine !!! L’on découvre que nous manquons de facteurs de mitigation des risques politiques dans notre pensée économique notamment celle de l’époque dite contemporaine que je qualifierai d’après « révolution de Steve Jobs ».
En effet, l’information est disponible en temps et en heure et elle est accessible à l’ensemble des agents économiques. Point d’incertitude sur une longue période dans la pensée économique contemporaine. Nous parions que la guerre en Ukraine ne sera pas plus longue que celle des grandes guerres du 20e siècle (14-18 et 39-45). Deux options se présenteront : soit il y’aura un vainqueur ou bien l’amorce d’une négociation pour la paix des braves.
Les esprits les plus sceptiques pensent à une généralisation de la guerre, genre, une nouvelle guerre mondiale serait un scénario probable. Si un tel est le cas, vous pouvez avoir la certitude que l’Afrique observera de loin la généralisation de ce conflit et sans elle. L’époque « d’aller au front » pour défendre les autres et pas sa propre cause est révolue. En lieu et place d’une médiation de sa part, elle pourrait plutôt saisir cette cynique opportunité pour se réinventer en ne comptant que sur ses propres forces à savoir ses richesses, sa jeunesse et son « mindset ». La génération des petits enfants des Tirailleurs Sénégalais (africains) ne reproduira pas les mêmes erreurs du passé. En voilà une autre certitude ! Soyons optimiste, mais pas naïf !
S’il est indéniable que Steve Jobs et tous les pionniers de la télécommunication ont révolutionné nos vies et nos économies, nous sommes de ceux qui pensent que les Télécoms et l’économie du numérique sont des leviers par excellence pour sortir l’Afrique de la précarité, en dépit des efforts consentis par nos gouvernants.
Ces efforts se traduisent par des politiques économiques mises en œuvre à travers la construction d’infrastructures, de projets structurants, de conduite de politiques budgétaires et dans une moindre mesure de politiques monétaires, d’initiatives d’intégration régionale, de promotion des échanges et de réduction du déficit de la balance commerciale.
Nous pouvons également citer la promotion des investissements directs étrangers et des financements endogènes. Des initiatives en faveur de la création d’emplois, de l’insertion des jeunes dans le monde professionnel et de l’autonomisation des femmes sont également mises à contribution. L’action publique fait davantage l’objet de suivi-évaluation et de contrôle dans le cadre de mécanismes connus. Des initiatives en faveur de la lutte contre la corruption, bien qu’étant au stade embryonnaire sont des signaux favorables et encourageants pour l’assainissement de l’environnement des affaires dans le secteur public et privé. Toutefois, l’histoire récente de la pensée économique a mis en évidence une utopie dans la mise en application des théories dites dominantes, et en particulier en Afrique au sud du Sahara.
L’utopie des avantages comparatifs et l’irrationalité des agents économiques
De tous temps, les politiques publiques ont été définies et mises en œuvre sur la base des théories dominantes de la pensée économique. Présentement, David Ricardo (1772 – 1823), pour ne citer que lui, éminent économiste et philosophe devrait se retourner dans sa tombe. S’il pouvait observer les conséquences de sa théorie (sa fiction) des avantages comparatifs sur les économies de nos jeunes états d’Afrique au sud du Sahara. C’est un désastre depuis les indépendances (62 ans) qui se traduit par des économies d’une extrême fragilité et qui nous maintient dans la précarité. En résumé, prétendre de nos jours, que la production agricole et industrielle à travers la transformation de matières premières sur le Continent Africain serait très onéreuse pour nos pays respectifs et qu’il serait préférable d’importer les biens et services dont nous avons besoin, est sans nulle doute une anomalie qu’il conviendrait de corriger et sans délai. Autant le Plan Marshall (1947 – 1952) avait contribué à redresser l’Europe après la guerre, pour autant un plan aussi ambitieux s’impose pour redresser les économies au Sud du Sahara face à cette utopie des avantages comparatifs.
En effet, la théorie des avantages comparatifs semble ignorer que la diversité des monnaies entre les pays qui commercent entre elles et par conséquent, la parité (le taux de change) des différentes monnaies compromettraient (à moyen et long terme) les avantages dits comparatifs recherchés par David Ricardo. C’est le cas notamment des pays qui ont été contraints de renoncer aux politiques d’industrialisation sur plusieurs décennies, avec le consentement et toute la rigueur des illustres « hauts fonctionnaires et des économistes » lors du suivi et la mise en œuvre de cette consigne (exigence).
Au final, on sème la tempête et on récolte la précarité pour la simple et bonne raison, semble-t-il : « vous n’avez pas intérêt à professionnaliser vos filières agricoles, à transformer sur place vos matières premières afin de retenir dans vos économies la valeur ajoutée qui sera générée. Mieux, vous n’avez pas la technologie et des capitaux dont vous aurez besoin. En résumé, tout ceci est coûteux pour vos économies ». Des éléments de langage ont été identifiés pour la conduite de ces politiques. Malheur à tout haut fonctionnaire du Ministère de l’économie et des finances qui s’aventurait dès lors dans un questionnement rationnel et un esprit critique. En effet, le communiqué hebdomadaire du Conseil des Ministres, aurait affiché lors de sa réunion hebdomadaire suivante sa filiation ainsi que son matricule de solde en tête de page, au titre des mesures individuelles : « appelé à d’autres fonctions ». Dans ce plaidoyer de l’époque en faveur de la théorie des avantages comparatifs, l’attention a été mis, certes sur les coûts de production tandis que les revenus qui seraient générés par la transformation locale des matières premières ont été occultés. C’est ainsi que le consentement de toute « l’intelligentsia » Africaine de l’époque a été obtenue.
Au final, on se retrouve dans un cercle vicieux d’une course effrénée de constitution de réserves de change afin d’éviter d’une part, des dévaluations cycliques (contre-performance) de nos monnaies et d’autre part, des poussées inflationnistes que nous avons du mal à contenir au plan budgétaire et monétaire. On observe dès lors, des fluctuations cycliques dans nos faibles économies dès qu’un événement se produit : la crise de subprime, la guerre en Ukraine, les élections législatives ou présidentielles, une conférence de presse, l’avis d’un influenceur très suivi sur les réseaux sociaux, un Tweet d’un Président de la République, une tempête de sable dans le Golf, un attentat terroriste et j’en passe.
En effet, la théorie ou la fiction des économistes n’est sacrée, que si le postulat selon lequel, « toutes choses égales par ailleurs » est démontré ainsi que la rationalité des agents économiques. Un tel postulat n’a de sens que dans les amphithéâtres des cours magistraux des étudiants des facultés de sciences économiques et des écoles de commerce. Ces génies en herbe, convaincus que « toutes choses égales par ailleurs » seront plus tard, les décideurs du Monde et par conséquent les « maîtres de nos destinées ». Malheureusement, l’on constate que rien n’est égal par ailleurs. La rationalité est relative. Elle est conditionnée par des systèmes de valeurs qui sont propres à chaque communauté (religieuse, générationnelle, socio-culturelle, …) et par une quête d’une universalité et au rythme de jeux d’alliances, d’influences, d’intérêts, d’agression et/ou d’oppression. Un système de valeurs en parfaite inadéquation avec le fondement de la pensée économique.
Ces fondements sont ceux de la satisfaction du besoin des agents économiques (ménages, entreprises et Etats) à travers le commerce, la coopération, la lutte contre la pauvreté, la création et l’accumulation de la richesse, la prospérité, … En résumé, la rationalité – un postulat de base de la pensée économique – évolue au gré des contextes et des enjeux du moment. La pandémie, la guerre en Ukraine en sont des parfaites illustrations. Si l’on n’y prend pas garde, elles finiront par ruiner nos économies. Une forte inflation est un signe avant-coureur d’une récession économique que nous avons intérêt à éviter.
Le mirage de Milton Friedman et d’un monde libre
S’il est incontestable que nous témoignons un respect à l’éminent économiste – le Nobel Friedman – que nous avons tant admiré et respecté sur les bancs de l’amphithéâtre en sciences économiques et des écoles de commerces, force est de constater que l’observation empirique auprès des agents économiques tant au niveau des ménages, des entreprises que des Etats nous conforte dans nos positions. La théorie de Milton Friedman n’est pas celle de la loi élémentaire d’Issac Newton, qui émane d’une simple observation de la pomme qui chute de son arbre. La suite, nous la connaissons. C’est celle de la théorie de la gravitation universelle. Essayons de simplifier le rôle de la monnaie dans l’économie et nous pourrions enfin nous rendre à l’évidence, des distorsions (disparités) entre les variétés de monnaies et leurs impacts au sein des communautés économiques et monétaires notamment entre celles qui sont admises dans les transactions internationales et d’autres qui n’ont de cours légal que dans certains pays et pas dans d’autres. C’est ainsi que l’on prend conscience, par simple observation, que notre planète Terre ne serait plus « ronde » à force de tourner en rond dans la définition et la conduite des politiques économiques et monétaires dans un monde en perpétuelle mutation. A ce rythme, la théorie monétaire de Friedman finira par nous affamer, à défaut d’une fin tragique. Et comme par hasard, ce serait, l’instant choisi par un homme ou une femme politique pour se pavaner devant le peuple qui perd de sa souveraineté et dans l’espoir de nous vendre un rêve devenu obsolète et des idéaux de la nuit des temps.
Soyons pragmatique et l’économie a besoin de pragmatisme. De Smith à Keynes, en passant par Friedman et d’autres, des économistes ont tous eu raison à un moment donné. Ils ont eu le mérite de produire de la connaissance scientifique. Il nous revient alors, de progresser dans le sens que nous estimons être justes et équilibrés. En économie, aucune vérité n’est permanente. Nous sommes conscient qu’aucune crise économique d’une grande ampleur ne serait profitable à quiconque d’entre nous sur cette planète. Autant, nous avons besoin de consommateurs pour exprimer une demande de biens et de services, autant nous avons également besoin de producteurs pour nous proposer une offre. Le marché servira à la rencontre de ses deux composantes à travers des prix capables de maintenir un modèle économique viable.
Juguler l’inflation sous l’angle strictement monétaire serait contreproductif
Prétendre juguler l’inflation dans les économies subsahariennes, sous l’angle strictement monétaire serait contreproductif. Le coût du loyer de l’argent est trop important dans nos économies confrontées régulièrement à des déficits de financement. Le relèvement des taux directeurs (refinancement, prêt marginal, rémunération des dépôts) de plusieurs points de base par les banques centrales de nos pays à travers l’objectif de réduire la demande de monnaie et par conséquent celle des biens et services pour juguler l’inflation ne nous parait pas aussi efficient qu’on puisse le penser. Quid du taux de change de nos monnaies ? Parlons-en ! Il serait la résultante des flux financiers sortants et entrants dans chaque pays. Pour la plupart de nos Etats, les flux financiers sortants prennent le dessus sur les flux entrants. A ce rythme et de manière cyclique, le spectre d’une dévaluation de nos monnaies est plus que probable et l’inflation qui en résulterait.
La gronde populaire observée récemment au Ghana pour dénoncer la baisse du pouvoir d’achat ou la « piscine party » du peuple révolté de Sri Lanka dans le Palais Présidentiel suffit pour mesurer les conséquences de l’inflation dans nos économies. C’est la raison pour laquelle, nous devons prendre conscience des limites des décisions issues des Comités de Politique Monétaires prises pour juguler l’inflation. Le renchérissement du loyer de l’argent dans nos économies subsahariennes, structurellement déficitaires d’offres de financement au profit des entreprises locales pour booster une offre endogène de biens et services pour satisfaire en priorité une demande locale et en second lieu une demande extérieure ne fera que différer le problème et par conséquent accentuer la pauvreté. Ces mesures, si elles sont pertinentes dans les pays qualifiés de riches à travers l’agrégat Produit Intérieur Brut (PIB), nous devons garder à l’esprit cette piqûre de rappel : « rien n’est égal par ailleurs ».
En réalité, l’économie à travers sa pensée, ses modèles et ses pratiques (applications) dépend fortement du bon vouloir des peuples regroupés en Etats ou dans d’autres formes d’organisations. Pour illustrer mon propos et face à un tel scénario : « Quel sera alors l’impact sur nos économies, d’une décision de l’Egypte (en marge du COP 27 pour le climat) de construire un barrage hydroélectrique sur le Canal de Suez dans le cadre d’un projet pharaonique d’approvisionnement en eau potable par le dessalement de l’eau de mer et son approvisionnement en énergie ? Si cette décision pourrait certes compenser son déficit en eau potable (consommation et irrigation) et qui serait la conséquence de la construction par l’Ethiopie du barrage de la renaissance en amont du Nil ; elle aurait malheureusement des conséquences désastreuses dans les échanges internationaux via le Canal de Suez.
Face à une telle hypothèse (au mieux une fiction), qu’aurions-nous fait, nous, populations d’Afrique au Sud du Sahara fortement dépendantes du commerce international ? Outre les subventions pour atténuer l’inflation sur le pouvoir d’achats des ménages, nous voyons mal quels sont les leviers dont disposent nos états.
Dans ce cynisme des jeux d’intérêts et d’influences dans les relations humaines, nous sommes de ceux qui pensent que le Rwanda ne se fera pas surprendre par un conflit armé avec son voisin proche ou lointain, sans pour autant prendre les dispositions idoines. Si nous pouvons délivrer un conseil de sage, nous dirons qu’il faudra réfléchir par deux fois avant d’engager une guerre contre un peuple qui a échappé à une tentative d’extermination. Nous rajouterons également qu’il ne faut pas commettre les erreurs du passé. Nous devons enfin comprendre, le postulat selon lequel : les modèles économiques ne sont viables qu’en temps de paix et si toutes choses égales par ailleurs. Par conséquent, l’Afrique au Sud du Sahara doit avoir le courage de réinventer son modèle économique dans le sens d’un meilleur accès au financement et la promotion d’une offre locale de biens et services dont nous avons besoin.
Une monnaie – devise – dédiée exclusivement à l’investissement et à parité égale avec toutes les monnaies dédiées uniquement à la consommation
L’inflation comme phénomène exclusivement monétaire tel qu’expliqué par Milton Friedman à travers notamment son courant de pensée le Monétarisme, gagnerait à être mis à jour dans une version 5.0, en différenciant ainsi :
– une monnaie – une devise – qui n’aurait de cours légal que pour l’investissement et à parité fixe avec toutes les monnaies répertoriées dans le concert des nations ;
– des monnaies pour la consommation et l’épargne ayant des cours légaux dans chaque pays, exactement ce que l’on observe présentement dans le monde des affaires avec des parités fixes ou flexibles selon des politiques souverainistes de chaque pays.
Nous interpelons les principaux intervenants de l’Africa Investment Forum 2022 qui se tient à Abidjan en Côte d’Ivoire pour un plaidoyer dans ce sens.
Cette option serait une étape transitoire sans pour autant bouleverser de manière drastique le système monétaire international actuel et donner l’impression que chaque pays serait le maitre de sa destinée et de sa compétitivité dans un monde qui ne peut fonctionner que dans le cadre des échanges commerciaux. Aucun pays à travers le monde ne peut prospérer économiquement en totale autarcie.
Ce compromis, pour une première étape, dite transitoire d’une durée d’une décennie au moins permettrait de préparer l’opinion et les politiques à une seconde étape, dite d’aboutissement, à travers le réajustement à défaut d’une neutralisation des taux de change actuels, dans l’espoir d’une décision politique ou d’un consensus international et d’une paix durable. Il s’agira de corriger une distorsion aux règles de la concurrence dans le commerce international.
Au plan des normes comptables internationales, il existe des leviers à notre portée pour limiter l’impact de la parité entre les monnaies sur la situation financière des entreprises et refléter l’image fidèle des comptes en monnaie locale. C’est en cela que l’inflation importée à travers le taux de change (offre et demande de devises) serait un phénomène récurrent dans les économies du reste du monde. Sur ce point, Milton Friedman garde toute sa pertinence et son génie mais pas à l’échelle des monnaies non admises comme moyen de paiement dans les transactions financières internationales.
De notre position de pays ne pouvant pas battre une monnaie en devise, nous sommes de facto victimes d’un surcoût à l’importation et une subvention à l’exportation que nous accordons contre notre gré au profit des agents économiques extra territoriaux (zone monétaire commune). En effet, les politiques monétaires décidées ailleurs par la FED, la BCE, et les autres banques Centrales des pays émetteurs de monnaies en devise, auront une incidence directe et mécanique sur les économies du reste du Monde. Un effet domino ou par mimétisme sera accentué par les politiques monétaires des autres Banques Centrales.
Tout le monde relève ses taux directeurs pour le renchérissement du loyer de l’argent, donc un frein à l’investissement déjà structurellement déficitaire dans les pays dits les moyens avancés. On constate ainsi une réduction de l’offre domestique de biens et services et de financement au profit de l’offre extérieure. C’est la solution magique, une trouvaille pour juguler l’inflation dans nos économies. Quand l’offre est inférieure à la demande, les prix volent au plafond. Qui peut affirmer que nous sommes présentement dans une situation de demande supérieure à l’offre ? Si vous avez eu connaissance d’une banque Centrale dans nos économies subsahariennes qui distribue des billets de banque au point de mettre à la disposition des ménages un pouvoir d’achat supplémentaire au point de tirer les prix vers le haut, face une offre limitée, dites-le nous, et nous irons nous servir auprès de cette institution.
A cela, ajouté le coût du financement déjà excessif dans nos économies, Milton Friedman n’a jamais enseigné en l’état, une telle théorie.
C’est la raison pour laquelle, un alignement des monnaies au 31 Décembre (date à convenir) est nécessaire et laisser le soin au Forex (marché de change) d’agir sur le taux de change dans des amplitudes de fluctuation autorisées plus (+) ou moins (-) 20%, inhérent au jeu de la compétitivité entre les pays.
Comptablement, il s’agira alors de procéder à une valorisation des actifs, au taux du dollar du jour de l’entrée en vigueur de la neutralisation de la parité entre les monnaies afin de répondre et de remplir convenablement la fonction de réserve de valeur dévolue à la monnaie. Ce n’est qu’après cette décision, que l’on pourrait tirer notre chapeau à Milton Friedman à travers sa théorie de la neutralité de la monnaie et que l’inflation pourrait (peut-être) être un phénomène exclusivement monétaire.
L’essor des économies africaines viendra des Fintech et de l’écosystème des opérateurs de Télécommunications
Nous pensons que la dynamique et les performances observées dans l’écosystème des Fintech en Afrique pour une meilleure inclusion financière est notre meilleur atout pour trouver des leviers additionnels pour redresser nos économies, longtemps cantonnées à l’état primaire.
L’inclusion financière dans nos économies d’Afrique au sud du Sahara a été facilitée par l’écosystème des Fintech, des opérateurs de téléphonie mobile, des fournisseurs d’accès à internet et dans un sens plus large par les nouvelles technologies numériques. Cet écosystème est la solution par excellence pour sortir de la pauvreté et source d’innovation afin de réinventer le financement de nos économies en Afrique Subsaharienne.
Face au marché oligopolistique des banques commerciales, dont nombre d’entre-elles ont longtemps exclu de leurs stratégies une frange importante des agents économiques dits de l’informel, il a été démontré à travers un « Business Model » viable, qu’il est possible de réduire drastiquement le coût des services financiers.
La Fintech WAVE en est une parfaite illustration face aux offres de Mobile Money des Opérateurs traditionnels de Télécommunications. Il s’agit d’un cas d’école à enseigner dans les cours d’économie et de stratégie : rendre gratuit les services qui génèrent 70% du chiffre d’affaires des concurrents. Il faut le faire !
Là où WAVE a semblé manquer de stratégie gagnante, est de n’avoir pas pu lancer simultanément son offre de service dans les huit pays de l’UEMOA rendant ainsi plus difficile sa pénétration dans les marchés des pays autres que le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Cette latence a permis ainsi à la concurrence de s’ajuster. Mieux, d’anticiper sur les autres marchés rendant ainsi et à priori plus difficile d’engranger des parts de marché additionnelles. Nous observons de près la suite des évènements pour le plus grand bonheur des millions de personnes en attente d’une meilleure inclusion financière. C’est dans cet état d’esprit que nous exposons à travers cette publication, qu’il est possible de bâtir des modèles économiques viables à des coûts compétitifs sur les transactions financières.
Steve Jobs et tous les précurseurs des nouvelles technologies numériques offrent aux millions d’africains au sud du Sahara, la possibilité d’accéder aux services financiers et de sortir des stéréotypes selon lesquels, la micro et la méso finance est un segment de marché à haut risque pour justifier un coût excessif du loyer de l’argent (taux d’intérêt) ; faute de n’avoir accès aux services bancaires classiques (compte courant, compte d’épargne, les moyens de paiement, l’historique des transactions financières, le crédit à la consommation, le crédit d’investissement, …).
D’une part, les banques se digitalisent et nouent des partenariats avec les Fintech pour offrir des services financiers à l’endroit des ménages et d’autres part, les opérateurs de Télécom deviennent également des banques. Cette dynamique doit être maintenue et encouragée par les politiques publiques.
A terme, nous observons une disruption du marché de financement de l’économie dans les pays au sud du Sahara à travers d’une part, la segmentation du marché entre l’offre de financement des Entreprises et des Etats qui sera exclusivement assurée par les banques et les marchés financiers et l’offre des crédits à la consommation réservée exclusivement aux Fintech adossées ou pas aux opérateurs de Telecom, si la réglementation leur confère le pouvoir de collecter l’épargne et l’octroi du crédit.
Il s’agira ainsi de créer une rupture dans les pratiques observées présentement sur le marché à savoir l’obligation de s’adosser à des partenariats tels que les banques et limitant ainsi le rôle des Fintech dans le Mobile Money à de simples distributeurs de services financiers au profit des banques traditionnelles qui ont peiné ou n’ont pas consenti d’efforts nécessaires qu’il aurait fallu pour promouvoir l’inclusion financière ; faute d’une réglementation très contraignante. D’où les segments de micro et méso finance très lucratifs en sus du segment des banques. Dans l’appât du gain, on observe des intégrations verticales pour se positionner sur tous les segments de marché. Est-ce la bonne stratégie pour élargir l’offre de financement ?
Nous recommandons, la mise en place d’un modèle d’octroi du crédit par les Fintech de Mobile Money, exclusivement pour les crédits à la consommation sur la base d’autres paradigmes : (i) de plafonner le taux d’intérêt entre Cent (100) et deux cent (200) points de base de marge sur le taux directeur de la Banque Centrale ; (ii) d’avoir accès directement aux guichets de refinancement de la banque Centrale ; (iii) de permettre la possibilité de convertir le crédit téléphonique ou la data (internet) en dépôt monétaire moyennant un coût compétitif de la transaction que les opérateurs de Télécommunications factureront afin que les consommateurs puissent faire un arbitrage entre le besoin d’une communication téléphonique ou de consommation de data (données) et d’un besoin d’achat d’autres biens et services afin de répondre à des besoins ponctuels ; (iv) de permettre l’octroi du crédit (financement) sur la base de l’historique de consommation de crédit téléphonique et de la Data (donnée) sur une période de référence afin de déterminer la maturité et le montant du financement qui sera alloué ; (v) de concevoir une plateforme pour orienter ces crédits à la consommation exclusivement pour l’achat de biens et services qui seront produits par les entreprises locales afin de stimuler et d’orienter la demande intérieure vers l’offre locale et non importée.
Ce mécanisme serait une incitation en faveur de la demande de biens et services produits localement, et d’encourager les banques à octroyer des crédits d’investissement et d’exploitation aux taux du marché pour promouvoir l’offre afin de contenir les prix à des niveaux acceptables et contribuer ainsi à pérenniser la rentabilité des entreprises éligibles à cette plateforme dédiée au financement et au commerce intérieur.
Ce modèle économique rendu possible par le génie des Fintech de Mobile Money, permettra d’accélérer l’inclusion financière (à défaut d’éviction de certains acteurs du marché), de réduire drastiquement le coût du crédit sur le segment de la micro et le méso finance ; à l’instar de ce que WAVE a réussi, en contraignant des Entreprises de Mobile Money, filiales d’opérateurs de Télécommunications, à baisser et à rendre raisonnable le coût des services financiers relatifs aux opérations de dépôts, de retrait et de transfert d’argent.
… En définitive
Le gestuel de Khaby Lame à travers ses mains qui acquiescent ou désapprouvent des procédés, des produits, des services, et d’autres situations avec la plus grande simplicité, quasiment sans mots superflus nous inspire à tout égard. Ainsi, nous appelons à la simplicité et à nous départir des concepts creux déconnectés de la réalité économique du monde dans lequel nous vivons et où nous espérons continuer de nous épanouir.
L’économie ne se limite pas qu’à la main invisible de Adam Smith, encore moins à la théorie du monétarisme de Milton Friedman. Voilà deux théories en parfait déphasage avec les réalités qui sont les nôtres. Un coup de balai s’impose ! Qui osera franchir le pas ? Telle est la question !