Par Ilyes Zouari, Président du CERMF (Centre d’étude et de réflexion sur le Monde francophone). ww.cermf.org.
Contrairement à la partie francophone du Canada, où l’immigration en provenance d’Afrique subsaharienne a représenté le cinquième de l’immigration totale au cours de la période de cinq années 2016-2020, le Canada anglophone continue à restreindre l’accès aux immigrants subsahariens, qui n’ont représenté qu’un dixième de l’immigration reçue. Et dans le même temps, le Canada francophone se distingue en étant la partie la plus sûre de la fédération, avant un taux de criminalité largement inférieur au reste du pays…
Selon les dernières données publiées par Statistique Canada, relatives au recensement de 2021, la province du Québec, qui représente la partie francophone du pays, affiche un taux de 18,6 % d’immigrants en provenance d’Afrique subsaharienne parmi le total des immigrants permanents s’étant installés au cours de la période 2016-2020, et encore présents à la date du recensement. Pour rappel, le Québec est la plus grande province du Canada, et la deuxième plus peuplée, avec près du quart de la population canadienne.
Ce taux est ainsi considérablement supérieur à celui observé au Canada anglophone (qui compte également des minorités francophones, mais dépourvues de réel pouvoir), où l’immigration originaire d’Afrique subsaharienne n’a représenté que 10,6 % du total de l’immigration reçue sur la même période. Un taux qui est même encore plus faible si l’on ne tient pas compte des quelques dizaines de milliers d’Africains ayant récemment fui les États-Unis pour s’installer clandestinement et illégalement au Canada, et qui étaient très majoritairement composés de Nigérians s’étant naturellement dirigés vers le Canada anglophone.
L’Asie, priorité du Canada anglophone
Alors que la partie francophone du Canada, qui bénéficie d’une très large autonomie en matière d’immigration permanente, continue à mener une politique équilibrée entre les différentes parties du monde, force est de constater que la partie anglophone du Canada poursuit sa politique de marginalisation de l’immigration africaine, pour se concentrer massivement sur le continent asiatique qui a été la source de non moins de 67,2 % des nouveaux arrivés au cours de la période 2016-2020. Ainsi, et à titre d’exemple, le Québec a reçu à lui seul presque autant de nouveaux résidents en provenance du Cameroun au cours de cette même période (8 830, malgré la pandémie), que de nouveaux résidents Éthiopiens acceptés par l’ensemble du Canada anglophone (9 230), alors que l’Éthiopie est le second pays le plus peuplé du continent, avec une population quatre fois supérieure à celle du Cameroun…
Mais si le Québec gère lui-même la majeure partie de son immigration permanente, il n’a en revanche que peu de pouvoir en matière d’immigration temporaire, et aucun en matière d’octroi de visas touristiques ou d’affaires. Une situation qui pose parfois de sérieuses difficultés, comme il a encore été possible de le constater cette année avec l’apparition de deux grandes polémiques ayant trait aux obstacles dressés, d’une part, devant les jeunes Africains désirant effectuer leurs études au Canada, et d’autre part, devant les représentants de la société civile africaine souhaitant assister à une importante conférence internationale sur le Sida, organisée à Montréal au cours de l’été dernier. En effet, de nombreuses personnalités politiques, universitaires et culturelles québécoises se sont publiquement plaintes du taux extrêmement élevé de refus décidés par le gouvernement fédéral, à majorité anglophone, à l’encontre des Africains subsahariens ayant déposé une demande de permis d’études, et pour lesquels les trois quarts des demandes ont été rejetées en 2021 (soit le double que pour le reste du monde). Il est d’ailleurs à noter que les quatre pays africains ayant connu le taux de rejet le plus élevé au niveau de l’ensemble du Canada étaient des pays anglophones, à savoir le Soudan du Sud (100 % !), le Liberia (94 %), la Sierra Leone (92 %) et l’Éthiopie (88 %). De même, d’autres pays anglophones, pourtant politiquement assez proches du Canada anglophone, ont eux aussi essuyé un taux de refus particulièrement important, à l’instar du Ghana (82 %) et du Rwanda (81 %).
Quant à la grande conférence organisée à Montréal, le gouvernement fédéral avait également été très fortement critiqué pour avoir considérablement tardé à délivrer des visas à plusieurs centaines de représentants de la société civile africaine, invités à la conférence, et à laquelle un certain nombre n’a pu assister que virtuellement par internet.
Le Canada francophone, partie le plus sûre du Canada
Malgré l’importance de l’immigration africaine, généralement victime de nombreux préjugés à travers le monde, et en plus d’afficher régulièrement le taux de chômage le plus faible du Canada (seulement 4,4 % en septembre dernier), le Québec se distingue également en ayant régulièrement le niveau de criminalité le plus bas de l’ensemble des provinces et territoires du pays (selon une définition canadienne assez large du terme). Ainsi, et d’après les données de Statistique Canada, le taux de criminalité, qui prend en compte l’ensemble des infractions au Code criminel canadien (hors délits de la route), s’est établi à 3 207 infractions pour 100 mille habitants, contre non moins de 6 004 pour le Canada anglophone (et 5 375 au niveau national). De son côté, l’agglomération très cosmopolite de Montréal, qui regroupe non moins de 4,3 millions d’habitants, n’arrive qu’à la 29ème place au niveau canadien en matière de criminalité…
Le Canada francophone démontre ainsi au reste du monde que l’immigration africaine ne menace pas forcément la sécurité, l’équilibre des comptes publics et le bien-être général de la société d’accueil, à laquelle elle peut, au contraire, être source de plus-value dès lors que certaines conditions sont respectées en amont et en aval. La Canada anglophone, ou encore les États-Unis (dont l’ancien président Donald Trump avait même traité les pays africains de « pays de merde »), devraient le comprendre à leur tour.