Par Yves Eonnet.
À observer le secteur de la banque de détail en Afrique, année après année, je reste persuadé qu’un nouveau modèle bancaire reste indispensable à l’économie africaine. Lorsque, par exemple, 57 % de la population en UEMOA n’a pas de compte bancaire. Lorsque les opérateurs télécom font croire à tout le monde qu’ils s’occupent du problème tout comme les fast-foods nous font croire qu’ils remplaceront les restaurants. Lorsque les banques africaines, utilisant un modèle inspiré directement des banques occidentales, ne s’adressent qu’aux entreprises et au sommet de la pyramide. Et surtout lorsque la technologie digitale révolutionne tous les métiers et toutes les industries, il est impossible aux banques de ne pas se transformer.
On parle de technologies digitales, de néobanque, de fintech etc. mais je pense que c’est à la culture même de la banque qu’il faut s’attaquer, et toutes les banques du monde sont concernées par ce même défi. Or les banques africaines ont une chance inestimable, celle d’avoir à accueillir des dizaines de millions de nouveaux clients qui ne sont pas encore bancarisés.
L’exclusion financière est un handicap majeur pour toutes les économies du continent et freine l’émergence d’une classe moyenne, mais il s’agit d’une opportunité pour tous les banquiers. Grâce aux dernières technologies utilisant le mobile, les réseaux, le cloud et de meilleurs mécanismes de sécurité, apporter des services financiers à tous les exclus de la banque devient non seulement possible mais rentable. Pour atteindre cet objectif, le rôle de la banque doit se transformer. Elle doit devenir le centre et l’animateur local de chaque écosystème, elle doit mobiliser l’épargne de ses nouveaux clients pour financer en circuit court les entreprises et ainsi accélérer le développement économique et social.
Alors que l’inflation augmente partout dans le monde, que la globalisation de l’économie est de plus en plus contestée et que les interdépendances atteignent leurs limites, les banquiers doivent prendre conscience que l’avenir de la banque se cache à côté de chez eux, chez leurs clients. Ils doivent abandonner l’idée d’une banque standard, identique pour tous, inspirée du productivisme bancaire occidental et travailler à proposer une banque pour chacun, répondant aux attentes spécifiques et aux besoins locaux. C’est l’un des grands arguments en faveur de la technologie digitale pour les banques : baisse des investissements et des coûts, connectivité avec les écosystèmes pour construire des réseaux de partenaires et création rapide et économique de nouvelles fonctions.
Cette nouvelle banque devrait s’inspirer des innovations récentes adoptées par l’agriculture. Après des années d’industrialisation et de productivisme agricole, les effets pervers se sont multipliés. La baisse des qualités nutritionnelles des produits et l’impact sur l’environnement sont en train de contraindre l’agriculture à évoluer. Portées par une volonté de respect de la nature, de cohérence avec les écosystèmes locaux et de qualité, les méthodes de permaculture commencent à faire bouger les lignes. Une évolution similaire est non seulement possible mais souhaitable pour le monde bancaire.
Contrairement à ce qu’écrivait Jacques Attali après la crise de 2008 : « le métier de banquier devrait redevenir modeste et ennuyeux », il faudrait au contraire que la banque arrive à changer sa culture pour créer ce que l’on pourrait appeler une permaculture bancaire, respectueuse de son environnement commercial et social et davantage préoccupée par l’évolution à long terme de l’économie locale dans laquelle elle se développera. La banque africaine deviendrait alors un acteur déterminant pour un nouveau développement économique et servirait de modèle à tous les banquiers du monde.
La Silicon Valley de la banque n’est pas en Californie où la population est surbancarisée mais en Afrique où des dizaines de millions de nouveaux clients attendent que la banque se transforme pour pouvoir être servis, un nouveau modèle dont les bénéfices rayonneraient bien au-delà de l’Afrique.