Organisé par le groupe français Avisa Partners depuis 2014, en partenariat avec le ministère des Affaires étrangères sénégalais (MAESE), le Forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique s’est tenu les 24 et 25 octobre 2022 sous le patronage de Macky Sall, hôte historique de l’évènement. Rassemblant près de 2.000 participants dont une cinquantaine de chefs d’État, ministres et dirigeants d’organisations internationales, l’édition 2022 s’est intéressée à la montée en puissance des capacités africaines de réponse aux crises du continent. Riche de promesses, le Forum 2022 a tendu à dessiner les contours d’une Afrique unifiée sur les questions de défense et de sécurité, dans un contexte international et continental troublé par la montée des périls.
Financial Afrik : Le Forum international de Dakar, qui a fêté ses 8 ans, a achevé son édition 2022 il y a 2 semaines. Au fil des années, comment a évolué cet évènement qui s’est désormais imposé comme un rendez-vous incontournable des enjeux sécuritaires en Afrique ?
Bertrand Slaski (Avisa Partners) : Le Forum a toujours évolué, et continue à se moderniser. Le phénomène majeur, c’est l’écho médiatique important qu’il a pris ces dernières années : la couverture média répond dorénavant aux meilleurs standards internationaux. Cette année, la présence d’un studio TV a été particulièrement appréciée et a permis un rayonnement accru. Les entretiens réalisés de manière quasi ininterrompue pendant deux jours ont véritablement permis au monde entier de suivre les travaux menés à Dakar et de mesurer la qualité des invités, experts et chercheurs internationaux présents. Beaucoup d’entre eux ont accordé des entretiens aux équipes présentes de CNBC et de TV5 Monde au bénéfice d’un très large public, tant anglophone que francophone.
Le forum de Dakar s’est tenu cette année dans un climat international tendu. Aux traditionnels enjeux sécuritaires africains s’ajoutent désormais les conséquences, notamment alimentaires, du conflit en Ukraine sur le continent. Dans ce contexte, comment avez-vous abordé l’organisation de cet évènement ?
Sur le fond, il est vrai que pendant longtemps, le Forum a fait la part belle aux enjeux sécuritaires en Afrique et plus précisément dans la Bande Sahélo-Saharienne (BSS). Chacun avait alors dans ses grandes priorités le suivi des événements se déroulant au Mali et leurs effets possibles sur la région et au-delà. Au vu de son importance et de son actualité, le sujet du terrorisme djihadiste et de son expansion en Afrique reste bien évidemment important dans les échanges qui se tiennent au Forum de Dakar. Il faut y ajouter maintenant les secousses que le Burkina Faso et la Guinée ont connues assez récemment mais aussi les interrogations autour de l’avenir du Tchad, du Bénin ou encore de la République centrafricaine. Sans oublier la guerre en Éthiopie, les drames que vivent les deux Soudans, la Somalie ou encore la progression inquiétante des islamistes de la Corne de l’Afrique vers le Nord Mozambique. La liste des périls africains est malheureusement très longue…
Pour autant, le Forum est ouvert sur le « grand monde ». C’est dans son ADN et il me semble que cela a d’ailleurs toujours été la volonté des autorités sénégalaises qu’il en soit ainsi. Cette ouverture s’inscrit véritablement dans la tradition de la diplomatie sénégalaise et est ancrée dans la culture des habitants du pays qui donnent corps au principe de Teranga. C’est la raison pour laquelle le soft power sénégalais connait autant de succès, tant dans la sous-région, que sur le contient et au-delà. Il faut aussi se souvenir qu’en 2021, les effets de la crise sanitaire ont été abordés au Forum, en présence de Charles Michel, président du Conseil européen et du Président sud-africain Cyril Ramaphosa.
Cette année, le retour de la guerre en Europe a également été traité, tout comme l’évolution des rapports de force entre grandes puissances. Enfin, au fil des éditions, à travers les prises de position des différentes personnalités présentes au Forum, on peut noter que l’Afrique n’entend plus être un sujet ou un objet de discussions mais bien un acteur des relations internationales. Les discussions autour de l’octroi d’un siège permanent pour l’Afrique à l’ONU en sont un exemple parmi d’autres. Récemment, grâce à l’action du Président Macky Sall à la tête de l’Union africaine (UA), cette volonté de prendre toute la place qui lui revient s’est imposée comme une évidence au plus grand nombre. Le dirigeant sénégalais a marqué de son style la présidence de l’UA, faisant entendre à l’ONU comme auprès des dirigeants la voix de l’Afrique. Et cela d’Ankara à Bruxelles ou encore Washington, en passant par Moscou.
Cette année, le Forum de Dakar a élargi sa vocation originelle et intégré de plus en plus le secteur privé, les filières universitaires et centres de recherche, mais aussi le monde des arts et de la culture. Que représente pour vous l’intégration de ces secteurs ?
Les questions de défense et de sécurité sont l’affaire de tous. Les militaires et les forces de l’ordre le disent depuis longtemps : le recours à la force est un moyen d’atteindre un objectif politique mais ne peut pas constituer une fin en soi. La diplomatie, l’aide au développement, l’éducation, les soignants et les militaires doivent mieux travailler ensemble et de manière plus intégrée. Cette position tend dorénavant à être partagée par le plus grand nombre, encore plus au regard de la complexité des défis nouveaux que les États doivent affronter. Aux conséquences des crises sanitaires, alimentaires, énergétiques, aux effets du changement climatique et de la numérisation, s’ajoutent des tensions déjà existantes liées à la montée des revendications communautaristes, à la remise en cause systématique de la parole et de l’action des dirigeants politiques, à un sentiment de déclassement, à une perte de repères culturels, etc. Il en résulte une situation explosive à l’échelle du globe.
En Afrique comme ailleurs, il faut entendre cette inquiétude et y répondre mais aussi faire confiance à la société civile et à la jeunesse. Rien ne peut se faire sans elles. Il faudra certainement leur donner à l’avenir une place encore plus importante dans les débats. Il faudra également relayer leurs propositions pour devenir un « Forum à impact ». C’est dans cette dynamique « responsable » que s’engage d’ailleurs le monde de l’évènementiel, un chemin que devrait suivre de manière naturel le Forum au regard de son ADN. Enfin, s’agissant du secteur privé, la fidélité des groupes Arquus et VICAT, pour ne citer qu’eux, montre que le Forum demeure un moment important pour partager avec les personnalités présentes une analyse de la situation du contient et de ses perspectives d’évolution.
L’édition 2022 démontre que la France n’est désormais plus qu’un acteur parmi d’autres du Forum de Dakar, où le nombre de participants grandit chaque année, qu’ils soient africains, occidentaux ou dirigeants d’organisations supra-nationales. Cette tendance témoigne-t-elle d’un intérêt accru des occidentaux pour les enjeux sécuritaires africains ?
Aujourd’hui, il est vrai que le Forum s’est installé dans l’agenda international. La présence du ministre saoudien des Affaires étrangères, de celui de la Turquie ainsi que du vice-ministre des Affaires étrangères de l’Inde marquent une nouvelle étape dans son développement et son ouverture au monde. Le Forum est toujours plus inclusif et en phase avec les grandes évolutions géopolitiques. Pour autant, la relation entre le continent et ses partenaires historiques, la France ou le Japon, reste forte. C’est un fait. Cette tendance montre aussi que l’Afrique intéresse le reste du monde. Ce continent, trop souvent peint comme une no go zone, est riche d’opportunités. De la même manière, elle traduit le fait que l’Afrique est de plus en plus perçue comme devant jouer un rôle plus important sur la scène internationale et qu’elle constitue un allié de poids avec lequel il faut parvenir à des partenariats.
2022 terminé, il est déjà l’heure de préparer 2023. Quels sont vos objectifs pour la prochaine édition ?
La singularité du Forum de Dakar et de son « modèle » s’est une nouvelle fois illustrée cette année. Si chacun est toujours ravi d’y retrouver des amis et d’y faire de nouvelles connaissances, cela n’empêche pas des prises de position fortes et des paroles franches. Malgré les éditions, cette spécificité du Forum lui évite de tomber dans le convenu et de garder tout son intérêt et toute sa force. C’est aussi le signe que l’on vient y parler en toute confiance et notre objectif est de conserver cette caractéristique du Forum qui le distingue d’autres cénacles plus convenus. Le succès du Forum tient également à la qualité des experts qui y participent, tout particulièrement lors de la tenue des ateliers. Ces derniers sont conçus, préparés et conduits en étroite coordination avec les équipes du Centre des Hautes Études de Défense et de Sécurité (CHEDS), tout au long de l’année. Les relations de travail sont excellentes avec ses personnels. « On est ensemble » comme le disent les Sénégalais et il ne s’agit pas là d’une simple formule s’agissant du CHEDS.
A l’avenir, toujours dans le domaine de la communication, nous projetons de travailler davantage le côté « immersif » et « engagement » du Forum pour qu’un plus grand nombre de personnes puisse véritablement participer à cet événement, y compris à distance. Dans une certaine mesure, ce travail a déjà commencé avec la présence d’influenceurs en 2021 et 2022 (fastinfos sur instagram, Mister Geopolitix sur YouTube, Victoria Bennardi sur TikTok, etc…). Ils permettent notamment d’adresser un public différent et d’avoir un Forum de Dakar « hors les murs » du CICAD. Notre ambition est tout simplement de réussir aussi bien le Forum en présentiel qu’en digital !